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Pascale Burri, la coiffeuse qui redonne espoir aux femmes atteintes de cancer

Spécialisée dans les perruques médicales, Pascale Burri, coiffeuse à Peseux (NE), a survécu à un cancer rare en 2006. Aujourd’hui, ce vrai rayon de soleil aide des femmes en souffrance à se reconstruire en réutilisant leurs propres cheveux. Original.

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Les cheveux naturels constituant une «pascalette» peuvent être lavés, retravaillés, décolorés et teints.

Pour Elga, jeune Chaux-de-Fonnière luttant contre un cancer du sein depuis octobre dernier, Pascale Burri a confectionné une «pascalette» personnalisée avec les cheveux de trois autres femmes, solidaires.

Guillaume Perret

«J’ai transformé une expérience négative, mon cancer, en quelque chose de positif. J’en suis sortie grandie et plus à l’écoute.» Née à La Chaux-du-Milieu (NE), Pascale Burri, 51 ans, est une femme rayonnante. Coiffeuse de formation, spécialisée dans les perruques médicales, elle reçoit chez elle, à Peseux (NE), des femmes souffrant de cancer auxquelles la chimiothérapie laisse peu d’espoir de garder leur chevelure. «Je leur propose un accompagnement», souligne-t-elle.

Souriante et bavarde, Pascale Burri a le contact aisé. Se déplaçant avec des béquilles depuis une opération à un pied, six jours plus tôt, elle rigole en descendant l’escalier. Cadette de deux sœurs, cette coquette blonde vient d’un milieu ouvrier, horloger. Une histoire familiale chahutée. Recomposée. Après l’école secondaire au Locle, elle enchaîne avec un apprentissage de coiffeuse à La Chaux-de-Fonds. «Un choix par défaut», dit-elle. Elle-même s’imaginait plutôt dessinatrice en bâtiment, mais le dessin technique était alors un milieu masculin. «Moi, j’étais timide et renfermée, poursuit-elle, toujours dans les jupes de ma mère.» Ce sera donc la coiffure, comme sa tante, «mais sans passion». Pascale Burri va pourtant se distinguer sur le plan cantonal. Meilleure apprentie en pratique et en théorie.

Un cancer sournois à 35 ans

Elle file ensuite sans enthousiasme à Schaffhouse où, après quelques mois, sa mère, qui a 50 ans, lui annonce avoir un cancer du sein. Le choc. «On m’a dit qu’elle n’en avait plus que pour un an. Maman se battra durant dix-sept ans!» Entre deux allers-retours, elle rencontre son futur mari. Après un détour par Genève, qu’elle détestera, le couple acquiert une villa à Peseux (NE). A rénover. Deux enfants naissent, mais le couple prend l’eau.

La «pascalette»,  une perruque confectionnée par Pascale Burri, permettant d’associer les cheveux coupés, collés sur un fin bandeau, à un accessoire type foulard ou, comme ici, à un chapeau.

Stratagème original, la «pascalette», nom donné à la perruque confectionnée par Pascale Burri, permet d’associer les cheveux coupés, collés sur un fin bandeau, à un accessoire type foulard ou, comme ici, à un chapeau.

Guillaume Perret

Pascale Burri soutient sa mère tout en élevant ses enfants. Elle s’engage au sein de la Ligue neuchâteloise contre le cancer. Généreuse. Hyperactive. «Trois mois après ma séparation, on m’a diagnostiqué un cancer rare et sournois découvert par hasard lors d’un contrôle gynécologique, raconte-t-elle. J’avais 35 ans, je menais une vie saine et sportive, sans tabac ni alcool, et l’on m’annonçait souffrir d’un cancer touchant en principe les grandes fumeuses de plus de 50 ans…» Le chagrin de ses deux gamins de 9 et 11 ans la mine. «Je leur ai volé une partie de leur enfance», affirme-t-elle.

Son mari absent, elle doit faire face. «J’ai connu les vaches maigres. Ce qui m’a poussée en avant? L’instinct de survie et surtout mes enfants. Jusque-là, j’étais restée très dépendante, de ma mère, puis de mon ex-mari. J’ai dû lutter pour assumer.»

L’idée de perdre ses longs cheveux lui est insupportable. «La repousse, c’est trois ans minimum. Comme ma chimio était expérimentale, j’avais l’espoir de les garder, mais ils sont tombés.» Un traumatisme. «Cette épreuve me rapproche de mes clientes, qui sont ici en confiance, protégées du regard d’autrui. On parle. Je les informe. Parfois je les prends dans mes bras, mais je ne suis pas là pour les rassurer. Ça, c’est plutôt le rôle des médecins.»

Son rayon à elle? Les perruques médicales. «Combien de femmes m’ont dit que perdre leurs cheveux avait été plus douloureux à vivre que l’ablation d’un sein? Pourquoi? Parce que ça se voit!» La chevelure est constitutive de la féminité. Perdre ses cheveux, c’est ne plus être tout à fait femme. Et c’est encore plus vrai dans l’univers des réseaux sociaux, centré sur l’apparence. «La pire des phrases qu’on puisse alors entendre? «Mais t’inquiète pas, tu vas guérir, tes cheveux repousseront.» Comme si la douleur de ne plus se sentir soi-même n’était rien.»

Pascale Burri

La cinquantaine radieuse, Pascale Burri, déborde d’empathie pour ses clientes. Elle a elle-même vaincu un cancer en 2006.

Guillaume Perret

Une cliente inspirée

Pascale Burri raconte qu’un matin, pendant sa maladie, tandis qu’elle désespérait devant son miroir, son fils de 11 ans lui balance: «Enfin tes cheveux tombent, ça veut dire que tes cellules cancéreuses tombent aussi!» Remarque discutable sur un plan médical, mais pleine de sagesse enfantine. Pugnace, la jeune maman enverra le crabe dans les cordes.

Aujourd’hui, c’est Elga, pétillante Chaux-de-Fonnière affrontant un cancer du sein depuis quatre mois, qui rend une visite de courtoisie à Pascale Burri, qu’elle a rencontrée sur le conseil d’infirmières.

Utilisant des mèches de cheveux naturels de trois femmes, la coiffeuse lui a confectionné une «pascalette» personnalisée. Un nom original, soufflé par Pascal, son compagnon, pour identifier un stratagème inédit intégrant la récupération de cheveux coupés. «Il y a quelque chose d’absurde à jeter les cheveux, explique Pascale Burri, parce que c’est une matière qui s’altère très peu avec le temps.»

Pascale Burri fait des perruques avec les cheveux de ses patientes.

Les cheveux naturels constituant une «pascalette» peuvent être lavés, retravaillés, décolorés et teints. Elga a opté pour un modèle avec foulard, personnalisé. Elle avait déjà perdu ses cheveux lorsqu’elle a rencontré Pascale Burri, qui l’accompagne désormais.

Guillaume Perret

«L’année passée, une cliente sage-femme est venue me voir et a insisté pour conserver ses cheveux. Elle voulait essayer de les coller sur un support pour les réutiliser. En tant que coiffeuse, j’ai trouvé l’idée brillante et je la remercie de m’en avoir parlé, parce que le procédé me permet aujourd’hui d’aider d’autres femmes en souffrance. Il m’a fallu six mois pour trouver le bon moyen de les souder proprement sur un support ajustable, en l’occurrence un bandeau partiellement recouvert d’une bande velcro. On peut ensuite les laver, les friser, les colorer, sans déclencher de réaction allergique.» Un vrai job de coiffeuse.

«Pascalette», mode d’emploi

La «pascalette» consiste donc en ce support inédit, complété d’un foulard ou d’un chapeau pour couvrir le crâne. «On peut ainsi réutiliser les cheveux de la patiente, c’est super!» ajoute la coiffeuse, qui a déjà confectionné huit «pascalettes». Chacune exige quatre heures de travail. Pascale Burri a convaincu l’assurance invalidité (AI) de rembourser l’accessoire. «C’est top et super facile à mettre, réagit Elga. On reste féminine. Ça m’aide à oublier la maladie.» Son sourire fait plaisir à voir.

Installée sur le Littoral neuchâtelois, Susanne a elle aussi sa «pascalette». «J’ai eu un cancer en 2016 et Pascale s’est occupée de ma perruque, confie-t-elle, mais j’ai récemment fait une récidive. Pascale m’a proposé une solution nouvelle, avec mes propres cheveux.» Un plus. «Non seulement mes cheveux n’ont pas fini à la poubelle, mais je peux les porter!» Précieuse alternative à la perruque. «Se retrouver sans cheveux, c’est perdre un peu sa dignité, poursuit-elle. Je ne connais aucune femme qui ait eu un cancer du sein et assumé complètement de perdre ses cheveux.» Ancienne malade elle-même et professionnelle avisée, Pascale Burri a trouvé le moyen de revaloriser des femmes fragilisées. La souriante coiffeuse n’envisage toutefois pas le dépôt d’un brevet: «Je ne suis pas dans un processus industriel. Je rends service.» Chapeau!

Par Blaise Calame publié le 2 mars 2023 - 09:09