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Politique

Pierre-Antoine Hildbrand: «Ne pas être importuné par la mendicité est un droit»

Faute de bases légales suffisantes, Pierre-Antoine Hildbrand reconnaît l’impossibilité d’encadrer la mendicité. Le municipal PLR chargé de la Sécurité à Lausanne estime aussi que les villes ne peuvent pas lutter seules.

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Mendicité

Sollicités plusieurs fois par jour dans la rue, aux terrasses de restaurants, dans les transports publics, les citoyens ressentent une lassitude croissante face à la mendicité.

FLORIAN CELLA/24HEURES

La mendicité fait son grand retour dans les centres-villes après deux ans de pandémie. Faut-il l’interdire ou mieux l’encadrer légalement? Si oui, comment? Ces questions déchirent les villes suisses depuis près de quinze ans. A l’instar de Lausanne où, comme dans le reste du canton de Vaud, la mendicité est interdite depuis 2018. Mais cette interdiction générale n’est plus appliquée dans le canton depuis janvier 2021, à la suite d’un arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). La balle est désormais dans le camp du Grand Conseil, qui doit plancher sur de nouvelles bases légales compatibles avec la CEDH. Municipal PLR, chargé de la Sécurité à Lausanne, Pierre-Antoine Hildbrand détaille les solutions envisagées pour mieux encadrer la mendicité.

>> Lire aussi: La main tendue à la rue

Pierre-Antoine Hildebrand

Pierre-Antoine Hildbrand, municipal PLR chargé de la Sécurité à Lausanne.

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- Avec la levée des restrictions sanitaires et malgré l’interdiction vaudoise de 2018, la mendicité serait en recrudescence dans les rues de Lausanne. C’est un constat établi par votre service ou simplement le sentiment subjectif de la population?
- Pierre-Antoine Hildbrand: Je ne dispose pas de chiffres, mais il est certain que la situation actuelle n’est pas satisfaisante. Elle n’est pas souhaitable tant vis-à-vis des personnes importunées que de la mendicité. Personne ne peut être pour la mendicité. Toute la question est de savoir comment réduire la misère.

- En tant que municipal et chef de la Sécurité, de quelle marge de manœuvre disposez-vous?
- J’ai très peu de marge de manœuvre dans la mesure où les dénonciations ne sont plus suivies d’effets. Nous avons une loi qui n’est plus applicable juridiquement. Cela veut dire que le Grand Conseil vaudois doit rapidement réécrire la loi en tenant compte de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Il doit également définir les situations dans lesquelles des formes de mendicité pourraient être interdites et sanctionnées. Nous avons des propositions concrètes: dans les transports publics, sur les terrasses, dans les files du marché, près des distributeurs d’argent, etc.

- Les propositions sont là. Mais quel est le calendrier?
- La balle est vraiment dans le camp des députés du Grand Conseil vaudois. Ils doivent débattre des deux motions. Ensuite, le Conseil d’Etat aura toute la légitimité pour proposer un changement de loi.

- Toutes les villes suisses font face à la problématique de la mendicité. Bâle s’est d’ailleurs alliée à d’autres villes, dont Lausanne, pour demander au Conseil fédéral d’agir. Quel était le message?
- Le message consistait à rappeler au Conseil fédéral que la Suisse contribue à hauteur de 1,3 milliard de francs à la lutte contre les inégalités sociales et économiques via sa contribution à la cohésion européenne. Les pays de l’Est, dont la Roumanie, en bénéficient. Il faut s’assurer que cet argent contribue à l’intégration économique et sociale des minorités vivant dans ces pays afin de leur offrir d’autres perspectives que la mendicité. Donc, nous voulions nous assurer auprès du Conseil fédéral que l’argent destiné à cette population soit utilisé à bon escient. Nous nous attaquons à la mendicité, pas aux mendiants.

- Pensez-vous que des mesures d’accompagnement et de réinsertion seront acceptées par la population rom?
- Contre tous les pronostics, oui. Depuis l’interdiction de la mendicité sur le sol vaudois en 2018, il y a eu de vraies démarches. Plusieurs personnes ont quitté la mendicité pour effectuer des travaux saisonniers dans l’agriculture, la restauration ou la construction. C’est la conséquence de cette interdiction. Je pense donc qu’un cadre légal plus restrictif de la mendicité n’est pas un obstacle à une meilleure intégration des Roms en Suisse, bien au contraire.

- Vous discutez de cette problématique avec d’autres villes suisses, dont Bâle. Qu’en est-il?
- En légalisant la mendicité, il y a deux ans, Bâle-Ville s’est mordu les doigts. La décision a débouché sur la multiplication de campings sauvages dans les parcs. Aujourd’hui, la ville fait marche arrière. Nous, nous n’avons actuellement pas les instruments juridiques pour lutter contre ces phénomènes.

- De quels phénomènes parlez-vous?
- De la mendicité ou des mendiants? Je le répète: nous luttons contre la mendicité, pas contre les mendiants. Ces personnes ont une vie en dehors de la mendicité, une dignité. Elles peuvent exercer d’autres métiers. Par contre, il n’est plus tolérable de mendier au centre-ville lorsque cela nuit à l’accessibilité de toutes et tous aux espaces publics. Si vous prenez les transports publics ou retirez de l’argent, vous avez le droit de ne pas être importuné. C’est cet équilibre qu’il faut trouver dans le cadre de l’arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme.

- A Lausanne, de quels moyens disposez-vous pour garantir cet équilibre consistant à ne pas pénaliser la mendicité tout en préservant le sentiment de sécurité des commerçants et de la population?
- Nous avons réfléchi à cette question avec Béatrice Métraux (conseillère d’Etat verte sortante, ndlr), les juristes de l’Etat de Vaud, de Lausanne, les polices cantonales et municipales et la députée Florence Bettschart. Nous pouvons très bien définir les comportements que nous ne souhaitons pas. Ce que l’on essaie de préserver, c’est la liberté de donner ou de ne pas donner de l’argent. S’il y a démarchage actif, si plusieurs personnes viennent vous demander de l’argent, on peut se trouver dans une situation de contrainte. Il y a aussi des situations de vulnérabilité, où une personne est sollicitée alors qu’elle vient de sortir son porte-monnaie pour payer son kilo de carottes au marché. Nous voulons donc préserver le droit de donner et de ne pas être importuné.

- Cela revient à ce que chaque policier demande à chaque personne qui a donné si elle l’a fait en toute liberté ou sous contrainte. Cela semble impossible…
- En effet, c’est très compliqué. Cela impliquerait d’obtenir que la «victime» signe un témoignage dans lequel elle reconnaît s’être sentie sous pression. La police pourrait ensuite infliger une amende de quelques centaines de francs. Ce n’est pas gagné d’avance, ni pour la police, ni pour la justice, ni pour l’efficacité des normes juridiques. Il faut donc aussi interdire la mendicité dans des situations objectives et prédéfinies: aux arrêts de bus et dans le métro, devant les distributeurs d’argent ou l’entrée des commerces. Ainsi, les choses sont claires.

- La lutte contre la mendicité ou son encadrement, c’est avant tout un problème de clivage politique et juridique?
- La municipalité, dans sa composition actuelle, considère qu’il est possible d’avoir un compromis gauche-droite sur la réglementation de la mendicité ou certaines de ses formes. Il est très ennuyeux de ne plus avoir de base légale permettant de savoir où est la limite.

- Vous vous acheminez donc vers la solution genevoise qui est d’interdire la mendicité dans certaines zones du centre-ville?
- L’espace public doit appartenir à tout le monde. Mais tout n’y est pas permis. En excluant la mendicité de certains lieux, on favorise le travail de la police.


La situation par canton

 

Genève:

Depuis le 12 février dernier, la nouvelle loi genevoise sur la mendicité interdit la pratique dans des zones définies par le Conseil d’Etat genevois situées sur le U lacustre, soit de Baby-Plage jusqu’à la Perle du Lac. C’est l’option choisie par le canton à la suite de l’arrêt, en janvier 2021, de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH), invalidant dans la foulée la loi genevoise sur la mendicité de 2008.

Vaud:

Depuis novembre 2018, la mendicité est interdite dans le canton de Vaud. La loi est toujours en vigueur mais n’est plus appliquée depuis l’arrêt de la CEDH de janvier 2021. Deux motions doivent être débattues au Grand Conseil, creusant le clivage politique sur la question. La gauche demande l’abrogation de la loi. La droite plaide pour l’interdiction dans certaines zones
des centres-villes.

Fribourg:

Dans le canton de Fribourg, la mendicité est punissable d’une amende dans certains cas: «la personne qui, par cupidité ou fainéantise, mendie ou envoie mendier des enfants ou des personnes sur lesquelles elle a autorité», précise le Ministère public fribourgeois citant la disposition cantonale de la loi d’application du Code pénal suisse (LACP).

Neuchâtel:

Le Ministère public neuchâtelois a pris des dispositions similaires. La mendicité reste autorisée dans les cas d’urgence ou occasionnels et n’est condamnée que quand elle devient une habitude. Elle est punissable d’une amende si l’acte implique des enfants ou si la personne envoie mendier d’autres personnes sur lesquelles elle a autorité.

Valais:

Le Valais reste très permissif. En 2020, le Conseil d’Etat avait refusé une interdiction cantonale.

Jura: 

Enfin, le Jura ne dispose pas de loi sur la mendicité. En 2010, le parlement jurassien avait rejeté nettement une motion, précise la République et canton du Jura. Seules certaines communes, comme Porrentruy, ont légiféré sur la mendicité.

Par Mehdi Atmani publié le 1 juin 2022 - 08:40