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Pierrick Destraz, la voix de son père

En pleine révolution existentielle, l’artiste de 49 ans Pierrick Destraz a réenregistré quatorze chansons écrites et composées par son père dans les années 1970. Un retour vers le passé qui marque le futur que se construit Tonton Pierrick, l’ex-batteur d’Explosion de Caca.

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Dans la grande pièce de sa maison, Pierrick Destraz a réécouté tous les 45 et 33 tours enregistrés par son père. Noura Gauper

On s’installe au premier étage, dans une longue pièce mansardée grande comme un loft. Enseigne néon d’une bière américaine, baby-foot, robots en fer-blanc, le musée d’un fan de rock. Contre un mur, la pochette dédicacée du premier LP de Mötley Crüe et un billet souvenir de la dernière tournée du groupe en 2015. Dessous, un maxi dédicacé de Kiss, «I was made for lovin You…»

Au milieu de la pièce trône un vénérable fauteuil de barbier et, dans un coin, prêtes à jouer, une dizaine de guitares. Pierrick Destraz choisit une Fender Spook peinte par Vince Ray et entonne «La forêt»: «Pleurez la forêt/ Qu’on taille et qu’on détrousse/ Pleurez la forêt/ Où plus rien ne pousse...» Sa voix tremble un peu. Et l’émotion monte encore d’un cran quand il enchaîne dans un sourire: «On aurait pu se croiser/ Cent fois sur le même trottoir/ Se frôler, mais sans se voir... Si je t’aime c’est pour la vie...» La voix culottée d’un fumeur fraîchement repenti semble plus assurée: «Celle-là, je l’ai plusieurs fois chantée au chevet de ma mère malade.»

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Henri Dès photographié en 2010. Entre 1966 et 1975, il a publié une douzaine de disques pour adultes. Daniel Balmat

En 1975, quand son père, Henri Dès, a composé cette chanson, Pierrick avait 5 ans. Avec Mary-Jo, sa maman emportée par un cancer en 2017, la petite famille (Camille, sa sœur, naît cette même année) vit alors en banlieue parisienne. Et la chanson «A pied» (quand on n’a pas de quoi se payer un ticket de métro) rappelle que la vie n’était pas tous les jours facile, tandis que papa s’efforçait de gagner sa vie en chantant pour les adultes. Entre variété (Henry Dès avait terminé 3e ex-æquo au Concours Eurovision de la chanson en 1970) et cabaret Rive gauche: «Ses chansons me rappellent mon enfance, je les fredonnais même si je ne les comprenais pas, j’inventais des mots.»

Chansons d’un autre temps

Des chansons comme on n’en fait plus beaucoup, des chansons à texte, écrites il y a plus de quarante ans, bien avant qu’un nouveau répertoire n’ouvre à Henri Dès le cœur des enfants et la voie du succès. «L’été dernier, j’ai rêvé une nuit que je chantais sur scène les anciennes chansons de mon père... J’ai réécouté tous ses disques et ça a fait tilt! Tout n’est pas bon à prendre, mais il y a des trésors de textes et de mélodies… Je trouve dommage qu’elles restent dans un tiroir... J’en ai sélectionné une trentaine et je me suis mis à les bosser dans l’idée d’en faire un spectacle.»

Quatorze de ces chansons paraissent aujourd’hui (en téléchargement et en CD), dans des arrangements dépouillés, guitare, basse, percussions, quelques notes de banjo ou de mandoline. Ses deux spectacles Tonton Pierrick astique le rock lui ont donné le goût du solo. «J’ai envie de pouvoir me passer d’ingénieur du son, de juste prendre ma guitare, de chanter sur de petites scènes ou simplement chez les gens.»

Pierrick se demande si on ne va pas le trouver un brin opportuniste. «Mais pour moi, c’est un peu comme un fils qui reprend la boîte de son père, une boîte qui aurait fait faillite! Bon, ce n’est pas tout à fait comparable et je ne me considère ni comme un chanteur ni comme un guitariste. Mais je trouve cool que ça reste dans la famille.»

Explosion de Caca a un incroyable talent

Quand on lui demande s’il n’a jamais songé à composer ses propres chansons, la réponse fuse à sa manière, simple et sincère: «Non, j’ai essayé plus jeune, mais c’est compliqué pour moi, je n’ose pas trop aller au bout, j’ai la trouille, il y a comme une ombre au-dessus de ma tête... Je pourrais peut-être écrire des textes, mais mon père, lui, sait le faire merveilleusement bien...»

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Tous les matins, le musicien commence sa journée par une demi-heure de méditation. Noura Gauper

Sur la table, les quatre CD de Wooloomooloo, groupe australo-suisse au sein duquel Pierrick a joué de la batterie entre 1988 et 1996. Une période durant laquelle il accompagne aussi son père en tournée à travers toute la francophonie, jouant à plus de 30 reprises à l’Olympia de Paris. «C’était super, mais parfois aussi un peu compliqué pour moi. J’avais envie d’avoir mon propre truc, mon propre groupe…»

En 1999, sous le pseudonyme de Mouloud Rochat, ce sera Explosion de Caca. Grâce à, ou malgré, son nom «pipi-potache», le duo délirant accédera en 2013 à la demi-finale de l'émission «La France a un incroyable talent».

Méditation de pleine conscience

Devant la fenêtre ouverte, un petit coussin sur lequel le musicien commence toutes ses journées par une demi-heure de méditation. «Ça a été le point de départ de beaucoup de changements.» Sur les conseils d’une amie, Pierrick s’était initié en 2014 à Vipassana, une méthode indienne de méditation de pleine conscience qui commence par une retraite de silence complet pendant dix jours. «Le fait de se pencher sur son intérieur modifie notre vie. Quand tu réalises toutes les incohérences entre ce que tu penses et ce que tu fais, tout ce qui est obsolète, tout ce qui n’a plus de raison d’être, alors tu changes naturellement. D’abord de petits trucs, pas forcément tous les jours, mais après une année, ça fait pas mal de petites choses, de petits gestes que j’avais l’habitude de faire et dont je me suis affranchi.»

En 2015, Pierrick se libère ainsi de vingt-cinq ans d’addiction aux drogues dures. En 2017, sa rencontre avec Virginia Markus, militante antispéciste qui partage désormais sa vie, induit de nouveaux changements. En 2018, il cesse toute consommation de tabac et d’alcool.

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Depuis leur rencontre en 2017, Pierrick et Virginia Markus partagent leur vie et leur engagement contre les souffrances infligées aux animaux. Noura Gauper

«J’étais végétarien depuis l’âge de 17 ans, mais quand Virginia m’a fait prendre conscience de la manière dont étaient traités tous les animaux que l’on élève, que ce soit pour les manger ou pour du lait, du cuir ou des œufs, j’ai cessé d’utiliser tous les produits issus des animaux.»

Militant plutôt qu’activiste

Pour défendre cette cause, on a vu Pierrick et sa compagne participer à une manifestation contre la construction d’un nouvel abattoir à Aubonne (>> lire l'article de L’illustré du 4 avril 2018). Des actions avec lesquelles l’artiste prend aujourd’hui quelques distances. «Je me suis lancé là-dedans parce que le combat est très noble et je reste un militant qui continue à dire que ce que l’on fait subir aux animaux n’est pas juste. Mais c’est dur d’être activiste, non pas le fait de le faire, mais de le vivre: être arrêté, menotté, c’est traumatisant. Tu as des potes qui partent en prison, tu apprends que tu es sur écoute, les gens commencent à te regarder de travers, des amis ou la famille prennent de la distance; j’allais faire mes courses en rasant les murs.»

«On a reçu des menaces, uniquement parce qu’on dit des choses qui dérangent. Beaucoup de gens sont conscients de ce que l’on inflige aux animaux, mais dès que l’on veut toucher à leurs habitudes… On est d’accord, tous ces inconvénients ne sont rien comparés à ce que subissent les animaux au quotidien, et l’activisme est primordial aujourd’hui. Mais Virginia fait ça beaucoup mieux que moi!»

Projet de domaine

Entourés de chiens sauvés de la fourrière, de Masha, une poule promise à la mort parce qu’elle ne pondait plus suffisamment, d’un chat aveugle de naissance, Pierrick et Virginia sont en train de se construire une nouvelle vie. «J’aimerais bien me libérer de mon attachement encore très fort au matériel…»

Ils projettent l’achat d’un domaine suffisamment vaste pour servir de «sanctuaire», de refuge à tous les animaux qui auront pu échapper à notre insatiable consommation. Aspiration à une vie plus simple, plus saine, en cultivant son jardin en permaculture: «Je ne dis pas que je suis tout le temps comme ça, mais c’est vers ça que je tends. A partir du moment où tu entends ton cœur, c’est difficile de le museler.»


Par Jean-blaise Besencon publié le 13 mai 2019 - 10:31, modifié 18 janvier 2021 - 21:04