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Portrait de Vladimir «Napoleonovitch» Poutine

Cela fait vingt-deux ans que Vladimir Poutine dirige sans partage le plus grand pays du monde, qu’il élimine ses opposants, qu’il pratique le mensonge d’Etat, qu’il bafoue les principes démocratiques les plus élémentaires et qu’il mène un train de vie de monarque. Pourtant, jusque dans le monde démocratique, à gauche comme à droite, Vladimir Poutine compte des admirateurs. Un peu comme Napoléon.

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Le président russe en tenue de commandant en chef de l’armée russe. C’était en 2020, à bord du croiseur lanceur de missiles Maréchal Ustinov, lors de manœuvres militaires.

Alexei Druzhinin/Russian Preside

En lançant son armée à la conquête de l’Ukraine, Vladimir Poutine est cette fois allé trop loin. Cette infamie devrait lui faire perdre une grande partie de ses admirateurs dans le monde. Reste que la bienveillance que lui témoignaient depuis deux décennies aussi bien des milieux populaires que des chapelles intellectuelles, à gauche comme à droite, reste un mystère. Essayons quand même de comprendre.

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Jeudi 24 février, Moscou, 4 heures du matin (heure suisse): Vladimir Poutine annonce avoir ordonné le lancement d’une «opération militaire spéciale» de l’armée russe en Ukraine. Il menace implicitement toute intervention étrangère de représailles nucléaires.

Russian Presidential Press Servi

Le Bonaparte russe

La meilleure explication de sa popularité date de son entrée en politique. Poutine a bel et bien sauvé la Russie de l’implosion. De nombreux historiens s’accordent d’ailleurs à comparer les premières années de pouvoir du Russe à celles de Napoléon Bonaparte. Les deux autocrates ont su rétablir rapidement l’ordre public, l’économie nationale et l’autorité de l’Etat dans des situations post-révolutionnaires qui semblaient désespérées. Pour y parvenir, le petit officier corse et le petit espion de Saint-Pétersbourg ont mis en place des régimes policiers implacables. C’était le prix démocratique à payer pour sauver leur peuple de la misère et leur pays d’un possible effondrement. Hélas, dans l’histoire, les tauliers providentiels, une fois leur bénéfique coup de balai terminé, ont rarement la sagesse et l’humilité d’organiser une transition démocratique.

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Le maître du Kremlin, pourtant peu connu pour sa piété, soigne ses relations avec le clergé orthodoxe pour des raisons de politique intérieure. Ici, il se baigne dans le lac Seliger, lors de la fête de l’Epiphanie.

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Le renard

Après avoir réussi à restructurer son pays livré à un libéralisme sauvage, Vladimir Poutine va de nouveau surprendre tous ceux qui ne lui donnaient qu’une faible espérance de vie politique, à commencer par ceux-là même qui l’avaient installé au pouvoir. La ruse de l’ancien espion en poste à Dresde va faire merveille et démontrer qu’il a bel et bien le gabarit d’un chef d’Etat. Il sélectionne minutieusement ses soutiens et vire tous ceux qui pourraient lui faire de l’ombre, tout en entretenant des apparences de légitimité démocratique et un dialogue amical avec l’Ouest. Des dizaines de biographies et de documentaires relatent ces années de consolidation du pouvoir. Poutine partage avec Bonaparte le même flair, la même capacité d’anticipation qu’exige le jeu d’influences permanent de l’exercice du pouvoir.

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Les réels talents de judoka de Poutine ont été médiatisés dès le début de sa prise de pouvoir.

Mikhail Svetlov/Getty Images

La brute

La ruse suffit pourtant rarement pour conserver son trône. Dès le début des années 2000, Poutine dégaine le pistolet à silencieux: Alexandre Litvinenko, Anna Politkovskaïa, Anastasia Babourova, Boris Nemtsov, Natalia Estemirova, Sergueï Iouchenkov… La liste des opposants et de journalistes d’investigation assassinés s’allonge impunément au fil des ans. Quand le régime ne tue pas, il emprisonne les gêneurs avec des procès presque aussi kafkaïens que ceux de l’ère stalinienne. Enfin, comme pour varier les plaisirs, il pratique l’empoisonnement, tantôt mortel, tantôt invalidant, à la dioxyne (le président ukrainien Viktor Iouchtchenko en 2004), au polonium (l’ancien agent russe Alexandre Litvinenko en 2006 à Londres) et désormais au Novitchok (l’ex-agent double russe Sergueï Skripal en 2018 en Angleterre et l’opposant Alexeï Navalny en 2020). Ce terrorisme d’Etat qui sévit depuis vingt ans en Russie ne suffit pourtant pas à déligitimer Poutine auprès d’une majorité de Russes et de ses admirateurs occidentaux. Il faut dire que dès 1999, alors qu’il était encore le premier ministre de Boris Eltsine, Poutine avait réglé le problème de l’insurrection de la Tchétchénie au prix de 150 000 morts civils, selon l’estimation la plus crédible. Et cela n’avait pas choqué grand monde.

Vladimir Poutine n’a d’ailleurs jamais caché une attirance personnelle pour la violence. Son sport préféré n’est ni le football, ni le hockey sur glace, ni même le judo, qu’il pratique lui-même avec un certain talent. C’est le MMA, synthèse ultra-violente de boxe, de lutte et d’arts martiaux, un «sport» qui semble lui procurer des émotions quasi sensuelles. Une soirée de gala annuelle réunissant ces gladiateurs venus du monde entier est d’ailleurs organisée chaque année à Sotchi en l’honneur du président, ravi de poser aux côteś de Conor McGregor, de Khabib Nurmagomedov et autres stars du MMA.

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Un homme, un vrai, en pleine partie de chasse en Sibérie en 2010.

Dmitry Astakhov/Sputnik,/Kremlin Pool/AP/Keystone

Inculte

La culture est, avec la science, une des deux noblesses de l’espèce humaine. Sa consommation aide à prendre la hauteur nécessaire au gouvernement éclairé d’une nation. De Gaulle et Churchill, par exemple, possédaient une immense culture littéraire. Vladimir Poutine, lui, a beau diriger une des superpuissances culturelles et scientifiques mondiales, son érudition et sa curiosité artistiques semblent proches de celles d’une huître. A-t-il jamais lu un roman de Dostoïevski jusqu’au bout? Ecoute-t-il du Rachmaninov? S’offre-t-il parfois une visite au Musée de l’Ermitage? S’intéresse-t-il aux progrès de la science? Si c’est le cas, sa propagande reste muette. En revanche, le président russe a eu droit à toutes les mises en scène viriles imaginables: Poutine judoka, Poutine cavalier, Poutine et le tigre de Sibérie, Poutine pêche le saumon, Poutine et les bikers…

Poutine est néanmoins sorti enchanté d’un cinéma il y a quatre ans: le président était allé voir le dernier film de Djakhongir Faïziev, «La légende de Kolovrat», grande production cinématographique nationale qui raconte les exploits, au XIIIe siècle, d’un jeune chevalier levant une armée afin de défier l’envahisseur mongol. Une œuvre «impressionnante et qui va droit à l’âme», avait-il commenté. En revanche, les artistes plus critiques que patriotiques ont la vie dure en Russie. Le formidable réalisateur Kirill Serebrennikov est par exemple persécuté depuis des années par la justice russe. En fait, tout créateur qui refuse de se soumettre à la culture selon Poutine, une culture officielle qu’il avait décrite lui-même en 2012 comme une «thérapie culturelle subtile» (!), est désormais considéré comme un élément antisocial et antipatriotique.

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En 2004, il souhaite bonne chance aux gymnastes Alina Kabaeva et Svetlana Khorkina avant les Jeux olympiques​​ d’Athènes. La première serait devenue la compagne, voire l’épouse de Poutine (et mère de leurs trois enfants). Mais c’est un secret d’Etat.

SERGEI CHIRIKOV/AFP/Getty Images

Le menteur

Le mensonge est un ingrédient récurrent du régime Poutine. Le Kremlin n’a bien sûr jamais reconnu une quelconque responsabilité dans les dizaines d’assassinats d’opposants et de journalistes. La posture de déni est un principe de base de la communication du Kremlin sous l’ère Poutine, comme elle le fut sous l’ère soviétique. Un exemple qui concerne directement les Occidentaux: le vol Malaysia Airlines 17, abattu par erreur en 2014 par un missile russe dans l’est de l’Ukraine (près de 300 morts, dont 193 Néerlandais). Malgré les preuves accablantes de la responsabilité russe dans ce drame, le Kremlin n’a jamais cessé d’inventer des scénarios absurdes rejetant la faute sur les Ukrainiens. La guerre en cours en Ukraine est également une démonstration de cette culture de la désinformation permanente et de ce révisionnisme historique obsessionnel relayés servilement par des médias d’Etat de pure propagande comme la chaîne Russia Today. C’est comme si le bolchévisme du XXe siècle s’était inscrit dans les gènes politiques russes.

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Le «palais de Poutine» que le président se serait fait construire au bord de la mer Noire.

DR

Vénal

Vladimir Poutine est indéniablement patriote et son action a permis aux Russes de profiter en partie de la croissance économique qu’a connue le pays après qu’il eut neutralisé les mafias de l’ère Eltsine. Mais le président, en bon parvenu qu’il est, sait se réserver une grosse part de gâteau: selon de nombreux analystes, il serait même l’homme le plus riche du monde. Des listes ahurissantes de biens en sa possession circulent sur le web. Mais il est difficile, voire impossible de vérifier les titres de propriété quand il s’agit d’un potentat. En revanche, il est certain que Vladimir Poutine et ses équipes ne sont pas des champions en politique économique. Malgré ses richesses naturelles gigantesques, malgré aussi le haut niveau de formation de sa population, la Russie se situe aux alentours de la 50e place dans le classement mondial du produit intérieur brut par habitant. Et selon les chiffres de Credit Suisse de 2020, le 1% de Russes les plus riches détiennent près de… 60% des richesses nationales, ce qui fait du régime de Poutine l’un des plus inégalitaires du monde. Ce qui n’empêche pas de nombreux extrémistes de gauche européens de trouver le président russe formidable.

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Poutine à la fin des années 1950 avec sa mère, Maria, qui survécut de justesse aux 872 jours de siège de Leningrad par les nazis.

American Photo Archive / Alamy S

Et fou?

C’est une question qui revient en boucle sur internet, surtout depuis l’invasion de l’Ukraine. Vladimir Poutine est-il fou? Ou souffre-t-il d’une grave maladie? Rien de concret ne permet de confirmer une quelconque pathologie. Mais la journaliste anglaise Catherine Belton, autrice d’un des derniers livres parus sur Poutine, estime que le comportement du président russe a sensiblement changé depuis deux ans, c’est-à-dire depuis le début de la pandémie. De peur d’être infecté, Poutine s’est isolé dans sa résidence de Novo-Ogariovo, près de Moscou. Les visiteurs doivent y traverser une sorte de tunnel les aspergeant de produits désinfectants avant leur rencontre, à distance respectable, avec le chef d’Etat. Catherine Belton estime plausible que cet isolement partiel ait renforcé une tendance déjà perceptible à la paranoïa, et que la décision d’envahir l’Ukraine découle ainsi de cette dérive psychologique. Comme Napoléon, qui avait commis la folie d’envahir la Russie, Poutine est-il lui aussi en train de perdre tout sens de la mesure? Le problème, cette fois, c’est que l’agresseur possède un arsenal nucléaire capable de vitrifier toute la planète. Et là, les derniers admirateurs de Vladimir Poutine n’auront même pas le temps de changer d’avis.

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Poutine en virée avec ses potes des Notchnye Volki, les «loups de la nuit», un club de motards nationaliste, ouvertement homophobe et sexiste. A gauche, leur chef, Aleksandr Zaldostanov, surnommé «le chirurgien».

SERGEI KARPUKHIN/AFP/Getty Images

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Par Philippe Clot publié le 3 mars 2022 - 09:01