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«La première vague a mis ma foi à l’épreuve»

La messe de Noël sera télédiffusée le 25 décembre, en Europe, depuis la chapelle de La Longeraie à Morges (VD). Chargé de dire l’homélie, le prêtre diocésain Jean Burin des Roziers, 32 ans, nous parle de lui, de foi, de prière et de Dieu, en cette année frappée par un virus qui a touché la planète et secoué les consciences.

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L'abbé Jean Burin des Roziers dans sa chapelle de la Longeraie à Morges (VD) d'où il dira l'homélie le 25 décembre. Fred Merz | Lundi13

- Depuis quand la religion vous accompagne-t-elle?
- Abbé Jean Burin des Roziers: Je fais partie d’une famille catholique pratiquante. Comme Obélix tombé dans la marmite de potion magique, la religion m’accompagne depuis toujours. Pour moi, la foi est une évidence. Dès l’enfance, j’ai essayé de vivre selon le commandement de la Bible: «Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés.» C’est, de fait, le commandement chrétien par excellence.

- La religion n’était donc pas une obligation familiale?
- Nous allions à la messe tous les dimanches avec mes parents et nous avions l’habitude de prier en famille. Ma sœur et mon frère, plus jeunes, s’en sont distanciés. En entrant au séminaire pour devenir prêtre, je me suis senti appelé. Je l’ai ressenti, dans mon cœur, depuis tout petit. A 6 ou 7 ans, selon ma mère, j’avais déjà émis le désir de devenir prêtre. Le dimanche, il arrivait, de retour de l’église, que je rejoue la messe à mes parents.

- Avec le coronavirus, on a plutôt ressenti un «craignez-vous les uns les autres». Comment le vivre chrétiennement?
- Respecter les mesures sanitaires, c’est aussi une marque d’amour, pour autrui. Le commandement d’amour est intemporel. Il peut être vécu par tous, de tout temps et n’importe où. C’est la force du message chrétien. Jésus nous dit en substance: «Vous êtes capables d’aimer, quoi qu’il arrive.» C’est ce «quoi qu’il arrive» qui est le plus difficile. Quand bien même les autres pourraient nous faire du mal, il nous invite à les aimer. Nous devons tendre vers cet idéal. Il ne faut pas voir en l’autre un ennemi, mais une personne digne d’être aimée, parce qu’elle est aimée par Dieu. Cet amour est concret. Dans la rue, si quelqu’un a besoin de nous, on ne va pas seulement le gratifier d’un sourire, mais lui demander ce dont il a besoin.

Il existe des applications très bien faites qui aident à prier

- Vous priez plusieurs fois par jour. Est-ce que cela s’apprend?
- Il ne faut pas voir la prière avant tout comme des formules à réciter. Elle s’apprend comme on apprend à parler avec un ami. Il faut un peu de temps pour trouver les bons mots, des paroles ajustées, celles qui nous correspondent. Plus c’est simple, mieux c’est, parce que, ne l’oublions pas, prier est un dialogue. Dieu attend de nous que l’on partage nos peurs, nos doutes, nos remerciements comme nos interrogations. On peut tout lui dire. Pour nous aider, il y a les Psaumes. Ces prières écrites il y a 3000 ans sont d’une saisissante actualité. Toute la gamme des émotions est là: l’émerveillement, la tristesse, la peur ou la souffrance.

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«Il ne faut pas voir la prière avant tout comme des formules à réciter. Elle s’apprend, comme on apprend à parler à un ami. C’est un dialogue», souligne le prêtre. Fred Merz | Lundi13

- Le yoga et la méditation, très en vogue, bénéficient même d’applications; qu’est-ce qui les différencie de la prière?
- La méditation est une démarche personnelle, individualiste. On se concentre sur soi. Le but est d’être en paix avec soi-même. Tandis que la religion, c’est un lien avec Dieu. La prière ne consiste pas, avant tout, à écouter ses émotions et ses sentiments, à vivre en pleine conscience – ce qui est fort bien –, mais à entendre Dieu nous parler et de lui parler à notre tour. Cette altérité est fondamentale. Il existe aussi des applications qui aident à prier comme YouPRAY ou Prie en chemin, très bien faites.

- Depuis mars dernier, comment la parole chrétienne trouve-t-elle sa place entre le politique et le médical?
- Dans la Bible, une expression revient 365 fois: «N’ayez pas peur.» Oui, il y a une pandémie, des guerres, des famines, des catastrophes, des actes terroristes, mais le message que Dieu nous donne, jour après jour, est: «N’ayez pas peur, parce que je suis plus fort que le Mal.» C’est la raison de cette confiance. Dieu est plus grand. La résurrection est le cœur de la foi chrétienne. La vie est plus forte que la mort. En 2020, par notre façon d’être, nous devons montrer que la mort, la souffrance et le mal n’ont pas le dernier mot. L’espérance est ce dont le monde a le plus besoin.

- Les personnes âgées, vulnérables, isolées, ont été durement touchées par la pandémie. En avez-vous été le témoin?
- Plusieurs paroissiens n’ont pas pu rendre visite à leurs proches. Ils ont été choqués par la dureté de certains EMS qui fermaient totalement leurs portes. C’est quand même assez scandaleux, parce que, malgré le coronavirus, ce contact entre deux êtres qui s’aiment est fondamental. J’ai dû accueillir ces incompréhensions. Nous n’allions visiter les personnes que sur demande. Parfois, il ne nous restait que le téléphone pour échanger.

- Y a-t-il une dimension biblique dans cette pandémie?
- Le propre de l’humain est de rechercher un sens. Certains chrétiens veulent à tout prix prouver que cela a été annoncé dans la Bible, que ce serait un signe de la fin des temps, de l’Apocalypse… Il existe des vidéos à ce sujet. Si la Bible nous parle de famine, de guerre et de peste, c’est parce qu’elles existaient déjà à l’époque. La peste noire a fait beaucoup plus de dégâts que le coronavirus. Le Livre nous dit que ces fléaux sont inévitables et que cela arrivera encore. Quant à L’Apocalypse, il ne doit pas être pris littéralement. Le message y est symbolique, mais explicite pour les chrétiens de l’époque. Il nous révèle ce message du Mal qui est présent, qui s’acharne, mais ne triomphera pas.

Le prêtre n’a pas toutes les solutions

- Quelles sont les limites de la spiritualité face aux angoisses ressenties et aux troubles croissants?
- La spiritualité ne peut pas tout. Il ne faut pas confondre ce qui est de l’ordre du psychologique avec le spirituel. Certains en ont abusé et cela peut faire des dégâts. Si on fait une dépression, un psychologue ou un psychiatre doit prendre le relais, la prière ne suffit pas. Le prêtre n’a pas toutes les solutions. Nous-mêmes sommes en contact avec les services sociaux. Ce relais est fondamental.

- Lorsque s’exprime la colère – «Pourquoi Dieu nous abandonne-t-il?» –, que répondez-vous?
- Pouvoir exprimer cette colère est important. Oser la dire à Dieu, c’est avancer intérieurement. Jésus lui-même, sur la croix, a prononcé cette parole complètement folle: «Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?» Cela montre à quel point il a voulu s’unir à nous tous dans les pires souffrances et même dans le sentiment d’abandon de la part de Dieu. En cela, il rejoint tous ceux qui se sentent abandonnés de lui et qui pensent que Dieu est en colère contre eux. Jésus l’a vécu. Dieu lui-même a connu ce sentiment en Jésus. Il est avec eux dans ce moment-là. La croix est tragique, mais ce n’est pas la fin. Il y a la résurrection. C’est ce que l’on dit aux funérailles. Il est fondamental que les personnes soient tristes, en colère ou désemparées quand elles ont perdu un être cher. Notre mission est de les accompagner pour continuer et commencer un chemin de vie et un chemin d’espérance.

- Comment faire son deuil quand on ne peut pas voir ses proches ou leur dire adieu?
- Ce sont des situations critiques. Nos autorités ont heureusement permis que des funérailles soient célébrées, même si c’est dans l’intimité de la famille. Elles ont reconnu que c’était essentiel. J’ai filmé moi-même, à trois reprises, des célébrations de funérailles retransmises en direct pour les proches qui se trouvaient en Italie ou ailleurs. Les moyens de communication ont été une richesse pendant la pandémie.

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C’est ici, dans la chapelle de La Longeraie, à Morges (VD), que sera célébrée la messe de Noël, retransmise dès 11h sur la RTS, le 25 décembre, comme dans quatre autres pays (France, Belgique, Irlande et Espagne). Fred Merz | Lundi13

- Votre propre foi a-t-elle été mise à l’épreuve en neuf mois?
- Oui, la première vague a été un véritable temps d’épreuve spirituelle pour moi. J’ai eu certains doutes, j’ai connu des remises en question. C’est bien de pouvoir les vivre, même si ce n’est pas agréable. Cela nous permet de creuser en profondeur et de savoir ce qu’il en est réellement, de se confronter à la réalité, de qui est Dieu et de qui nous sommes.

- Quel a été le facteur déclencheur?
- Le manque d’activité. Il n’y avait plus de célébrations publiques, plus personne à rencontrer à part mes collègues prêtres. Dieu étant invisible, si l’on regarde autour de nous, il n’y a plus que du visible. Quelle est la frontière et quelle est la consistance de l’invisible? Est-ce que cela existe vraiment? Lorsque ces interrogations ont surgi, je me suis senti proche de tous ceux qui sont loin de Dieu. Je n’ai peut-être jamais autant prié. Je n’ai peut-être jamais autant demandé à Dieu de m’éclairer et de m’aider à m’en sortir. J’ai remis toute ma confiance en lui. Cela a été le moyen de sortir de cette épreuve. Et cela a raffermi ma foi.

La télédiffusion se joue à la seconde près

- Comment expliquez-vous le recul du religieux à notre époque?
- La déchristianisation galopante est au centre de nos préoccupations. La première cause, chez les jeunes notamment, ce sont les écrans. Ils font écran, justement, à cet invisible que j’évoquais. Tout est visible, on se concentre uniquement sur ça. Ensuite, on a peur du silence. On est sans cesse en train de faire ou d’écouter quelque chose. Quand on voit le nombre d’activités de certains enfants durant la semaine, c’est fou. Ils n’ont pas de temps pour se poser. Ce manque de silence empêche l’intériorité et la relation avec Dieu, d’une certaine façon.

- C’est bientôt Noël. Quelle est sa véritable signification?
- C’est la naissance de Jésus, que l’on peut résumer en trois mots: Dieu fait humain. Ce petit bébé, notre foi nous dit que c’est Dieu, et ça change tout. «Aimez-vous les uns les autres» a été prononcé par cet homme, Jésus, qui est venu il y a 2000 ans en Israël. C’est cela, le propre de la foi chrétienne par rapport à toutes les autres religions: Dieu est devenu l’un de nous. S’il n’était pas venu, il ne serait pas mort sur la croix, il ne serait pas ressuscité et on ne serait pas sauvés. C’est parce qu’il est né parmi nous qu’on peut être sauvés. Noël, c’est cela.

- Le 25 décembre, quel sera votre rôle lors de la télédiffusion, en Europe, de la messe depuis la chapelle de La Longeraie à Morges?
- Je m’occupe de l’homélie, elle dure six minutes trente. On commence à 11h03* et il faut rendre l’antenne à midi pour la bénédiction du pape. Cela se joue à la seconde près, le script fait 40 pages.

- On attend plus de 700 000 téléspectateurs. Avez-vous le trac?
- Pas du tout. Pendant le confinement, les messes étaient filmées face caméra et diffusées sur YouTube. On prend l’habitude de parler devant de nombreuses personnes et on s’adresse à chacune individuellement, qu’il y en ait une ou un million. Le but est de toucher le cœur de chacun.

>> Diffusion en Europe de la messe du 25 décembre en direct de la Longeraie à Morges, dès 11h sur RTS Un.


Par Dana Didier publié le 18 décembre 2020 - 08:46, modifié 18 janvier 2021 - 21:17