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Témoignage

Revivre après le suicide de son enfant

On dit d’un enfant qui perd ses parents qu’il est orphelin, mais il n’existe pas de mot pour décrire des parents qui perdent leur enfant. Pas de mot pour dire l’effroi à l’annonce de cette mort, ni pour parler de ce deuil impossible. Agnieszka a accepté de parler de l’épreuve qu’elle a traversée.

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Revivre après le suicide son enfant, le témoignage de Agnieszka Soltysik Monnet

Malgré les larmes qui affleurent parfois à ses yeux, Agnieszka affronte le deuil avec classe et élégance. La photo de son fils reste près d’elle dans son appartement lausannois.

Julie de Tribolet

«Ça, c’est une photo prise par Mathias. Il adorait la nature.» Le cadre, posé sur l’étagère à côté des nombreux livres, côtoie les plantes dans le salon chaleureux d’Agnieszka Soltysik Monnet, 55 ans. Assise en tailleur dans son fauteuil, la professeure de littérature et culture américaines à l’Université de Lausanne se remémore son fils, Mathias, un jeune homme qui aimait faire rire ses proches. «C’est ce qui me manque le plus: le sourire et la joie qu’il nous apportait.» Il aimait aussi la peinture et a laissé une collection de portraits, rassemblés par son père dans deux albums à l’occasion d’une exposition une année après son décès.

Mathias est mort par suicide le 18 février 2018, il avait 19 ans. «Quand son père m’a appelée pour m’annoncer sa mort, j’ai juste hurlé. C’était un sentiment de pure agonie.» Cinq ans et demi plus tard, Agnieszka va mieux, grâce notamment à la thérapie assistée par psychédéliques. «Ce suivi aide à voir les blessures qu’on porte en soi et à se pardonner. C’est un moyen de faire face aux endroits les plus sombres de son vécu tout en étant étroitement accompagné par des thérapeutes.» Le groupe Facebook créé à la mémoire de Mathias l’a également aidée à se sentir moins isolée. «Tous ces gens qui entendaient ma douleur et qui me soutenaient en m’envoyant de bonnes ondes, ça m’a permis de ne pas me sentir seule.» Dans les groupes de parole qu’elle a rejoints depuis six ans, il y a toujours de nouvelles personnes en proie aux mêmes maux. «Les parents se trouvent face à un abîme de questionnements et ne savent pas vers qui se tourner. J’ai envie de leur dire d’être bienveillants avec eux-mêmes et de parler à d’autres parents.» Certaines associations soulignent en effet l’importance d’échanger avec des personnes qui ont vécu un traumatisme similaire, pour briser le sentiment d’isolement. 

Le poids des antidépresseurs sans suivi


Dans les semaines précédant son suicide, Mathias se battait contre une dépression causée par de multiples déceptions. Il avait un regard très critique sur le monde et venait en outre de vivre une séparation amoureuse. «La rupture était douloureuse pour lui, c’était sa première fois et il ne savait pas comment y faire face.» Le jeune homme vivait chez son père et sa mère en alternance. Cherchant de l’aide, il avait lui-même pris contact avec une clinique et voyait un psychiatre et une psychologue. «J’essayais de ne pas être trop mère poule et invasive. Je pensais qu’il était entre de bonnes mains, mais il est mort trois semaines après le début de sa thérapie.»

Revivre après le suicide son enfant, témoignage de Agnieszka Soltysik Monnet

Sur la commode de la chambre d’Agnieszka, cet autel est là pour se recueillir et se souvenir des disparus: son fils et sa maman.

Julie de Tribolet

Agnieszka garde une certaine amertume concernant le maigre suivi médical de son fils, le psychiatre lui ayant prescrit des antidépresseurs dès la première séance et lui ayant fixé le rendez-vous suivant cinq semaines plus tard seulement. Elle souligne que ces médicaments peuvent accroître le danger chez les jeunes hommes en particulier et illustre son propos en rappelant les prescriptions de Swissmedic: «Les patients doivent faire l’objet d’une surveillance étroite. L’expérience clinique acquise jusqu’à présent montre que le risque de suicide peut augmenter dans les stades précoces de la guérison.» Agnieszka exhorte les parents et proches de personnes suicidaires à prêter attention aux signes: «Rétrospectivement, je me rends compte de choses qui annonçaient son passage à l’acte, mais que je n’ai pas appris à voir à temps.» Des signaux d’alerte que l’association Stop Suicide liste sur son site internet, de même que les facteurs de risques et les lieux où trouver de l’aide. 

La professeure a aujourd’hui repris son poste à 100% à l’Université de Lausanne. Si ses cours et ses recherches s’orientaient par le passé vers la littérature gothique et les récits de guerre, elle s’est tournée depuis vers plus d’optimisme, s’intéressant notamment à l’écologie et à la contre-culture états-unienne. Elle se reconstruit et, malgré son sourire parfois fissuré, elle garde une lumière au fond d’elle-même. «Le temps ne guérit pas la blessure. Mais en continuant de mettre un pied devant l’autre, on parvient à se rendre compte que l’on est plus que la blessure.»


«Le tabou est en train de tomber»


Prévenir le suicide des jeunes en Suisse romande, telle est la mission de Stop Suicide, association créée par des étudiants en 2000. Sophia Perez en est aujourd’hui la directrice.

Au nombre de 220 en 2022, les ateliers de prévention de Stop Suicide sont en augmentation cette année. Sophia Perez, 32 ans, travaille au sein de l’association depuis six ans et en a pris la direction en septembre 2023. La mission principale de Stop Suicide consiste à faire connaître les ressources qui apportent de l’aide en cas de crise suicidaire. Les ateliers sont destinés aux jeunes de 14 à 25 ans dans les cantons de Vaud, de Neuchâtel et de Genève. Sophia Perez nous explique la démarche.

Sophia Perez, directrice de Stop Suicide

Sophia Perez, directrice de Stop Suicide.

Stop Suicide

- Comment les ateliers sont-ils mis en place?
- Sophia Perez: Ils sont organisés sur mandat, de manière variable selon les cantons. Nous avons signé une convention avec le canton de Neuchâtel, où tous les élèves en dernière année de scolarité obligatoire assistent à un atelier. Dans le canton de Vaud, nous intervenons au niveau post-obligatoire avec le soutien de la Direction générale de la santé, qui constitue presque le tiers du budget de l’association. A Genève, la demande provient des établissements eux-mêmes. On ressent une volonté politique d’aller de l’avant, même si ça prend du temps. On voit aussi qu’il y a une augmentation de la demande.

- Comment expliquez-vous cette hausse de la demande d’ateliers préventifs?
- La crise du covid a eu un effet positif sur la conscientisation de la santé mentale, de manière générale, on en parle davantage. Le tabou sur la prévention du suicide est en train de tomber. D’ailleurs, en termes de statistiques sur le nombre de suicides chez les jeunes, on voit que la tendance est à la baisse ces trente dernières années et jusqu’en 2020. En revanche, les demandes d’aide ont augmenté auprès de Pro Juventute (l’association qui gère la ligne d’écoute 147 pour les jeunes, ndlr). Ça montre que la prévention fonctionne et que notre travail de mettre en avant les ressources porte ses fruits.

- Quels sont les signaux à repérer lorsqu’un jeune traverse une crise suicidaire?
- C’est difficile à dire, car les signaux sont très différents d’une personne à l’autre. Ce qu’on essaie de faire, c’est de responsabiliser les proches pour leur dire que ça peut arriver, mais aussi de les déculpabiliser parce qu’il est impossible de remarquer tous les signes. Dans les principaux, on peut citer les modifications dans le sommeil, que ce soit l’insomnie ou l’hypersomnie, le comportement alimentaire, vestimentaire et celui sur les réseaux sociaux. Le jeune peut avoir tendance à se cacher ou, au contraire, à se mettre en valeur. Mais tout cela est à mettre en perspective, car certains changements sont normaux chez les adolescents. Il faut plutôt s’inquiéter des changements abrupts et des fluctuations émotionnelles.

- Que doit-on faire en cas d’inquiétude pour un proche?
- La première chose est de lui en parler, en mettant en avant ce qu’on ressent: «J’ai remarqué que…» ou «Je m’inquiète pour toi.» Ensuite, il faut constamment proposer des ressources. Celles-ci ne sont pas forcément professionnelles, ça peut être le sport, la culture, la musique. L’important est de savoir identifier les mesures pour pouvoir les mobiliser quand ça ne va pas. Ce qu’il faut relever aussi, c’est que les ressources professionnelles, comme le 147, sont également à l’écoute des personnes qui s’inquiètent pour leurs proches, et répondent de manière précise à chaque situation. Tout en sachant qu’on parle de ressources humaines et que, parfois, on n’arrive pas à amener tous les éléments pour que la personne aille mieux. Mais cela ne veut pas dire que c’est de la faute de qui que ce soit. 

>> Les numéros d’urgence
- 147: Pro Juventute, ligne d’écoute pour les jeunes
- 143: La Main tendue, ligne d’écoute pour adultes
- 144: Urgences médicales
- 117: Police secours

Par Sandrine Spycher publié le 6 décembre 2023 - 07:59