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Pandémie

Seuls face à l’ordi, le blues infini des étudiants

Depuis bientôt une année, les étudiants sont condamnés à suivre la majorité de leurs cours depuis la maison. Une situation qui pèse sur leur santé mentale. Témoignages.

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Blues des étudiants

Delphine Monnier, étudiante en médecine à l'université de Fribourg.

David Marchon

J’ai l’impression d’avoir traversé ce semestre comme un fantôme.» Noé Staeheli, 20 ans, étudie les sciences de l’environnement à l’EPFL. Comme toutes les universités et hautes écoles, l’établissement a dû chambouler son programme en raison de la pandémie. Après un semestre de printemps 2020 dispensé intégralement en ligne, les examens de juin ont été reportés en août. Par conséquent, après avoir passé leur été à réviser, les étudiants n’ont eu que trois semaines de vacances avant le début du semestre d’automne. «J’étais encore complètement sur les rotules, raconte Noé. Prendre du retard dès le début est problématique, car une fois qu’on décroche, c’est très dur à rattraper.»

Avant la pandémie, il avait déjà été victime de troubles anxieux. Des troubles qui ont gagné du terrain au printemps dernier lors du semi-confinement. Crises d’angoisse et absences à soi lui rendent le suivi des cours en ligne quasiment impossible. «Le manque de contacts et de régularité a clairement diminué ma motivation et mon assiduité.» Dans sa tête résonne le fameux «A quoi bon?». «C’était de vraies crises existentielles lors desquelles j’ai plusieurs fois voulu tout arrêter.» Sa présence active dans les milieux écologistes n’aide pas à calmer ses angoisses.

Entre eux, les étudiants en discutent de plus en plus librement mais, selon Noé, la direction peine encore à assumer ce malaise estudiantin. «On fait comme si tout était normal alors que la santé physique et mentale des étudiants a été très impactée, et beaucoup ont décroché pour différentes raisons. La pression que l’on subit est normalisée alors que ça ne devrait pas être normal d’avoir de telles angoisses.» Des cellules d’aide ont été mises en place au sein de l’EPFL, mais leur efficacité reste à prouver. «On nous donne de petits conseils, mais il s’agit de solutions trop simplistes à un problème bien plus profond», estime Noé.

«On fait comme si tout était normal. Mais beaucoup ont décroché», Noé Staeheli, 20 ans, étudiant en sciences de l’environnement à l’EPFL (Lausanne).

David Marchon


Autre université, autres difficultés. A Fribourg, les étudiants en troisième année de médecine ont vu leur session d’examens hivernale être reportée à l’été. Après avoir constaté des tricheries lors des derniers examens en ligne, la faculté a pris la décision de maintenir désormais tous les examens en présentiel. La nouvelle, tombée quelques jours seulement avant le début prévu des épreuves, a été un coup d’assommoir pour bon nombre d’étudiants qui avaient sacrifié leurs fêtes de fin d’année et ne comptaient plus les heures passées à étudier. «La perspective des examens m’aidait à réviser, explique Delphine Monnier. Or ce report n’est pas synonyme de vacances, nous sommes obligés de continuer à nous préparer. Et sans examen, c’est encore plus difficile.»

Très remontés contre cette décision et la façon dont elle leur a été annoncée, les étudiants ont fait front. Après une réunion virtuelle où l’ensemble de la volée a pu donner son avis, un groupe de travail a été constitué et négocie actuellement avec la direction. Pour Delphine, cependant, plus qu’un choc, l’annonce est simplement venue rajouter une couche à une situation déjà très délicate. «Durant la période de révision, j’étais complètement vidée», confie-t-elle. Généralement, cette période permet aux étudiants de rentrer chez eux et de se fixer leur propre rythme de travail. «Mais cette année, il n’y a eu aucune différence. On passe d’étudier seul devant son ordinateur à étudier seul devant son ordinateur.»

Pour que la tête fonctionne, un étudiant a besoin d’équilibre. Bien qu’étudiante en médecine, où la charge de travail est très lourde, Delphine a toujours apprécié sa vie estudiantine. A Fribourg, elle faisait du sport, et parfois la fête. «J’adore mes études, mais je ne vis pas que pour elles. Si je les aime, c’est aussi justement grâce à tout ce qu’il y a autour.» Privée d’aération, elle a traversé cet automne une phase très compliquée, durant laquelle elle ne comprenait plus vraiment le sens de ce qu’elle faisait. D’ordinaire très rigoureuse, elle ne parvient pas à se concentrer et hésite à tout plaquer pour prendre une pause. «Je ne me reconnaissais plus. Je ressentais vraiment un manque de sens à ma vie en général.»

En attendant le résultat des négociations entre le groupe de travail et la faculté, Delphine et ses collègues se préparent à vivre un semestre dantesque. Passer le double d’examens lors de la session d’été ressemble à une mission impossible. «J’ai peur pour moi et pour les autres, car je me dis qu’on va en lâcher certains en route. Je pense que les questions de santé mentale sont sous-estimées.»

«On n’arrive pas à sauver la santé physique des gens, mais on continue de tuer leur santé mentale», Julia Flury, 18 ans, étudiante neuchâteloise.

David Marchon

La santé mentale des étudiants, c’est justement ce qui a poussé Julia Flury à prendre la plume. La Neuchâteloise de 18 ans a écrit une lettre ouverte au Conseil fédéral, publiée le 3 février dernier dans le journal Le Temps. Elle y dénonce les conséquences psychologiques désastreuses des mesures prises pour lutter contre la pandémie. «Les restrictions ne font pas baisser le nombre de cas, et le nombre de dépressions et de suicides augmente. On n’arrive pas à sauver la santé physique des gens, mais on continue de tuer leur santé mentale.»

Depuis trois ans, Julia souffre de troubles alimentaires. Après plusieurs hospitalisations, elle retrouvait gentiment le chemin des salles de classe quand la pandémie s’est installée. Alors en dernière année de lycée, elle est contrainte de suivre les cours chez elle et rechute. «Dans ma tête, comme je ne sortais plus, je n’avais plus besoin de manger, confie-t-elle. Et comme on avait beaucoup de temps libre, je faisais du sport à l’extrême. Ce n’était pas sain.» Même si elle a de la facilité en cours, elle gère mal le fait de devoir étudier seule à la maison et travaille beaucoup plus que de raison. Heureusement, sa psychologue accepte de la voir malgré l’interdiction et l’aide à calmer ses angoisses.

Une fois son bac en poche, et grâce à l’assouplissement des mesures, Julia remonte la pente. Elle part même trois mois à Brighton pour apprendre l’anglais. Mais à son retour, la deuxième vague hypothèque son projet de faire de l’aide humanitaire en Amérique latine. Ne voulant pas commencer ses études tant que les universités sont fermées, elle se retrouve dans le flou. «Quand on a ce genre de troubles, ce qui nous aide, c’est de pouvoir sortir et voir des gens. C’est injuste que les lycéens puissent aller en cours et que les universitaires se retrouvent bloqués chez eux.» A la suite de sa lettre, Julia a reçu de nombreux messages de filles avec des troubles alimentaires qui la remerciaient. «Deux médecins m’ont même écrit qu’ils étaient d’accord avec le fait qu’on était en train d’anesthésier la population.»

Après bientôt une année de programmes chamboulés, de cours remodelés et de loisirs annulés, les étudiants peinent à voir le bout du tunnel. A chaque nouvelle mesure, ils ont joué le jeu et se sont adaptés, non sans peine pour certains. Comme les restaurateurs ou les acteurs des milieux culturels, ils paient le prix fort dans cette crise. Un sacrifice qu’il conviendra de ne pas oublier.

Par Robin Torrent publié le 11 mars 2021 - 09:06