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Alpinisme

Sophie Lavaud, reine des 14 plus hauts sommets du monde

Le 26 juin dernier, l’alpiniste romande de 55 ans réussissait l’ascension de son quatorzième et dernier 8000. Elle devenait ainsi la première Suissesse, derrière feu Erhard Loretan, et la troisième femme au monde à les avoir tous escaladés. Elle en témoigne depuis son hôtel d’Islamabad.

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Sophie Lavaud

Sophie Lavaud reste rarement plus d’une quinzaine de minutes au sommet d’un 8000. «La descente est longue et c’est souvent là qu’arrivent les accidents, car la vigilance se relâche et la fatigue est grande.»

Sophie Lavaud/Heliom

Il est 6 h 15 du matin, heure suisse, et 9 h 15, heure locale, en ce lundi 26 juin 2023. L’altimètre indique un gargantuesque 8126 mètres. Il fait -18°C mais le vent, qui souffle en rafales à quelque 50 km/h, accentue grandement la sensation de froid. Sophie Lavaud pose ses grosses chaussures de montagne, recouvertes d’épaisses guêtres, sur le sommet du Nanga Parbat, point culminant du Pakistan. Un SMS indiquant «Sommet!» est préprogrammé sur son téléphone satellite qui, lorsqu’elle redescendra, annoncera au monde entier que la Genevoise de 55 ans vient de boucler cette ascension de plus de quinze heures commencée quelque 1500 mètres plus bas au cœur de la nuit.

Un chiffre dantesque à ces altitudes, où chaque pas semble coûter toujours un peu plus de fatigue et de volonté que le précédent. D’autant que près de la moitié de ce dénivelé positif a été avalée dans la tristement célèbre «zone de la mort». Celle où l’oxygène manque au point de provoquer des œdèmes pulmonaires ou cérébraux souvent fatals. Celle dans laquelle les sherpas mettent régulièrement en garde Sophie sur le ton de l’évidence tout en étant contraints d’intercaler une respiration entre chacun de leurs mots: «You sit, you die, Didi!» Soit en français: «Tu t’assois, tu meurs, grande sœur!»

Portrait de Sophie Lavaud de retour dans son hôtel à Islamabad le 4 juillet 2023.

La Genevoise de 55 ans rayonne dans sa chambre d’hôtel d’Islamabad. Son pari est réussi. Le club alpin pakistanais l’a reçue pour honorer sa performance.

Dawa Sangay Sherpa/Heliom

Dans la nuit et la tempête
 

L’«expé» avait mal commencé. Sophie a en effet longtemps traîné une sorte de gros rhume attrapé au camp de base de l’Everest lors de sa précédente ascension. Et c’est affaiblie qu’elle est parvenue au camp de base du Nanga Parbat. Là, son organisme est saisi par la diarrhée locale. Pour corser le tout, plus de 1 mètre de neige tombe ensuite, interdisant toute sortie pour plusieurs jours à cause des risques d’avalanche. Suit une phase d’acclimatation de deux semaines pour certains des autres membres de la cordée, avec de fastidieux allers-retours entre les différents camps d’altitude.

Sophie Lavaud traversant les traces laissées par une avalanche

Sophie traversant les traces laissées par une avalanche.

Dawa Sangay Sherpa/Heliom

Une fenêtre météo pour le sommet se dessine finalement. Sophie Lavaud en est informée à distance par son météorologue pointu basé à Chamonix. «Nous sommes partis du camp 3 à 6646 m d’altitude vers 18 heures. Le coucher de soleil a été magnifique mais nous avons ensuite réalisé la majeure partie de l’ascension de nuit à la lueur de nos lampes frontales et avec nos lunettes de soleil sur le nez pour protéger nos yeux de l’ophtalmie des neiges, car la tempête nous a accompagnés plus longtemps que prévu», nous raconte la Genevoise de résidence et Lausannoise de naissance, depuis sa chambre d’hôtel d’Islamabad. Elle et ses six camarades de cordée, dont quatre sherpas, ont suivi la classique voie Kinshofer, laquelle est parsemée de pentes raides et de couloirs exposés aux avalanches et aux chutes de pierres.

Moins de dix minutes au sommet
 

Dans les 500 derniers mètres de dénivelé, les sherpas partis en éclaireurs s’aperçoivent qu’il manque des cordes fixes dans les passages clés. Sophie Lavaud et ses camarades décident de continuer malgré tout en style alpin dans ces pentes raides très engagées où la neige vient leur compliquer plus encore la tâche. «Jamais on n’a douté, même si d’autres alpinistes rebroussaient alors chemin. C’est plutôt ceux qui continuaient plus haut qui nous donnaient le moral et la confiance...» confie-t-elle. Car, au total, une vingtaine d’aspirants «summiters» (nom donné à ceux qui parviennent au sommet) arpentent le Nanga Parbat ce jour-là.

Une fois tout en haut, la joie se mêle à «un état de fatigue confinant à l’état second». La visibilité est rendue très mauvaise à cause du temps. Les esprits sont embrumés par l’hypoxie et se concentrent sur l’essentiel: la redescente. Laquelle s’annonce interminable et commence après avoir passé une dizaine de minutes à peine au sommet. «Juste le temps de faire quelques images, de s’enlacer et de réaliser furtivement que le dernier sommet est atteint, mais ni le temps de profiter, ni celui de trop réfléchir...»

La redescente est interminable, car perturbée par la neige. Une fois revenue au camp 3, Sophie Lavaud, «fracassée», s’écroule dans sa tente. Au milieu de la nuit, elle est réveillée par un vent épouvantable. Sous son effet, la neige s’est accumulée en masse en amont de la tente, qui menace d’être poussée dans la pente. Déneiger est impossible, alors les sept alpinistes repartent vers 1 heure du matin en abandonnant une partie de leurs affaires sur place.

La troisième femme au monde
 

Les mots peinent à décrire ce qui se vit là-haut, d’autant que Sophie Lavaud est du genre pudique... Même les images immortalisées par le talentueux guide de montagne et réalisateur chamoniard François Damilano, fidèle complice de Sophie Lavaud depuis dix ans, et ses documentaires «On va marcher sur l’Everest» (2014) et «K2, une journée particulière» (2017) n’y parviendront sans doute pas totalement. Car lorsqu’on va ainsi au bout de soi-même, l’élévation est finalement surtout intérieure, et même les intéressés ne la perçoivent peut-être pas toujours consciemment à sa pleine valeur.

Cet accomplissement rime un peu avec soulagement aussi. Le Nanga Parbat est surnommé «la montagne tueuse». Il a pris la vie à des dizaines d’alpinistes dans le passé et continuera à faire de même avec d’autres à l’avenir. Mais ce sommet pakistanais a par bonheur épargné Sophie Lavaud. La Genevoise de 55 ans en a fait le quatorzième et dernier 8000 de la liste qu’elle avait commencé à cocher voici déjà onze ans. En 22 expéditions, avec une volonté et une endurance bluffantes, cette triple nationale entre deux âges et ne payant pas de mine est donc devenue la première femme suisse, française et canadienne à mettre à son palmarès les 14 sommets de plus de 8000 mètres d’altitude que compte notre planète.

Selfie de Sophie Lavaud avec Dawa Sangay Sherpa à la descente du camp

La quinquagénaire évolue depuis 2018 avec son ami Dawa Sangay Sherpa. Modestement, elle se voit aussi comme une suiveuse.

Dawa Sangay Sherpa/Heliom

Le saint graal des himalayistes
 

Ces quatorze 8000 sont devenus, depuis 1986 et la première réussite du charismatique Italien Reinhold Messner, le saint graal des himalayistes. Selon les nouveaux critères entrés récemment en vigueur, seules trois femmes ont réussi cet exploit. Avec les critères précédents, Sophie Lavaud n’aurait été «que» la sixième. En intégrant ce club très fermé, la Romande a gagné ce qui restera désormais son surnom définitif: The 112 000 Lady. Soit un chiffre obtenu en multipliant 14 par 8000 évidemment.

«Gravir de grands sommets de plus de 8000 mètres, même par des voies classiques et avec parfois des apports d’oxygène, ce n’est pas anodin, rappelle-t-elle. En onze années, je n’ai souffert ni de gelures, ni de blessures ayant nécessité un rapatriement... Et il ne faut pas tenter le diable trop longtemps.» La quinquagénaire rentrera en Suisse le mois prochain. Elle confie ne pas encore réaliser totalement que sa quête est terminée. «Le chapitre des 8000 se referme, mais le grand livre de la montagne et des expéditions continue. Ce monde fait partie de ma vie et je vais trouver des solutions pour pouvoir repartir sur d’autres aventures», conclut-elle sans vouloir en dire plus...

Frise chronologique des 14 sommets gravis en onze ans par Sophie Lavaud

Frise chronologique des 14 sommets gravis en onze ans par Sophie Lavaud.

Manu Forney

>> Plus d'informations sur www.sophielavaud.com

Par Laurent Grabet publié le 14 juillet 2023 - 09:32