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Sosies: même visage, et bien plus encore

Il y a fort à parier que nous avons quelque part une personne nous ressemblant au plus haut point, sans pour autant nous être apparentée: un sosie. Une étude espagnole révèle que les sosies partagent bien plus qu’un même physique, ils présentent aussi un profil génétique similaire. C'est pourquoi d’autres traits communs pourraient également exister entre ces jumeaux accidentels, notamment au niveau comportemental.

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Agnes Loonstra - Ester Scholten

Agnes Loonstra, 28 ans, est illustratrice et musicienne et Ester Scholte, 32 ans, éducatrice. Elles n’ont aucun lien de parenté. La photo a été prise en 2015, aux Pays-Bas, par le photographe François Brunelle, qui a réalisé une série sur les «super-sosies». 

François Brunelle
carré blanc
Anna Bonvin

«Excusez-moi, je vous ai pris pour quelqu’un d’autre.» Qui n’a jamais cru reconnaître une de ses connaissances au milieu d’une gare bondée avant de constater que, malgré des traits identiques, cette personne était un parfait inconnu? Une situation troublante et d’autant plus fréquente que le monde n’a jamais été aussi peuplé, augmentant ainsi la chance que deux individus se retrouvent affublés du même faciès. Dans le langage courant, ces doubles accidentels sont appelés des sosies et, après le cinéma et la littérature, c’est au tour de la génétique de se pencher sur leur cas. Le 23 août dernier, le journal «Cell Report» a ainsi publié une étude espagnole menée sur 32 paires d’individus indissociables à l’œil nu, dont 16 étaient reconnues comme parfaitement identiques par trois logiciels de reconnaissance faciale. Des analyses génétiques ont dévoilé que ces «super-sosies» partageaient bien plus qu’un même visage: la similitude se retrouvait également au niveau de leurs gènes et, plus troublant encore, de certains de leurs comportements.

Sosies photographiées par François Brunelle

Stephanie Kazar, enseignante. Christy Walker, entrepreneure. Atlanta, U.S.A., 2014.
«Cheveux bouclés et blonds, bien en chair, souvent on nous prend pour des jumelles, Stephanie et moi. Même dans nos photos on se confond nous-mêmes! Les enfants, en particulier, ont de la difficulté à nous distinguer l'une de l'autre.»

François Brunelle

1. Les sosies: deux personnes, un visage 

Il semble naturel de définir le visage humain comme une caractéristique fondamentale de notre identité. C’est en effet la forme spécifique de chacun de nos traits qui nous distingue les uns des autres et, en somme, nous singularise en tant qu’individu. Mais chaque visage est-il réellement unique? Rien n’est moins sûr… Nous avons probablement tous un sosie quelque part, c’est-à-dire une personne nous ressemblant comme deux gouttes d’eau sans pour autant nous être apparentée. Un phénomène déconcertant, qui a piqué la curiosité d’une équipe de scientifiques espagnols supervisée par le généticien Manel Esteller, chercheur à l’Institut de recherche sur la leucémie Josep Carreras, à Barcelone. 

Sosies photographiées par François Brunelle

Eider Sistiaga Nieto, travailleuse hospitalière. Ainira Lete Egaña, travailleuse hospitalière. Barcelone, Espagne, 2013.
«Pendant plus de dix Eider et moi connaissions l'existence de l'autre à cause d'amis qui nous trouvaient une ressemblance et souvent nous confondaient. Mais nous ne nous étions jamais rencontrées. Un jour, un ami commun nous a présentées l'une à l'autre et nous sommes devenues les meilleures amies du monde et depuis ce temps nous sommes inséparables.»

François Brunelle

2. Les «super-sosies»: de parfaites copies 

Pour dénicher ces doubles fortuits, la science a eu recours à l’art. Les sosies ont en effet été identifiés sur la base du travail de François Brunelle, un photographe canadien parcourant le monde à leur recherche depuis 1999. Parmi l’ensemble des duos ayant participé à son projet intitulé «Je ne suis pas un sosie!», 32 ont accepté de soumettre leur étonnante ressemblance au prisme de la recherche. Le visage de chaque participant a d’abord été photographié, puis confronté à celui de son double par l’analyse de trois logiciels de reconnaissance faciale différents. Résultat: 16 d’entre eux ont été identifiés comme une seule et même personne. Renommés «super-sosies», c’est sur eux que s’est focalisée l’attention de l’équipe scientifique. Avant de mener de plus amples recherches, cette dernière a pris soin d’écarter toute éventualité de lien familial ignoré ou d’ancêtres communs entre les sujets de l’étude. Elle a ainsi exclu avec certitude toute parenté récente ou éloignée chez 15 couples de «super-sosies». 

Sosies photographiés par François Brunelle

Nina Rose Singh, serveuse et artiste. Anna Rubin, danseuse flamenco. Montréal, Canada, 2006.

Nina et Anna sont nées le même jour, Nina à Hamilton et Anna à Toronto, Ontario, le 13 Juillet 1977 à une heure de différence. Le père de Nina est Indien et sa mère est Hongroise. Le père de Anna est Russo-Polonais et sa mère est Allemande. Nina et Anna ont toutes deux étudié la danse, ont toutes deux déménagées à Montréal, se sont faites tatouées au même studio et tout cela sans même se connaître. Elles entendent dire qu’elles ont un sosie dans les parages et finalement un ami les présentent l’une à l’autre. Ce fut la reconnaissance immédiate entre elles. Elles sont devenues instantanément amies. C’est avec grand étonnement qu’elles découvrent qu’elles habitent le même immeuble.

François Brunelle

3. Une ressemblance physique et génétique 

La question restait donc entière: comment expliquer cette ressemblance parfaite? Pour le savoir, différentes analyses ont été entreprises, en premier lieu sur la génétique des participants. C’est en effet l’ADN contenu dans nos gènes qui détermine la plupart de nos traits, comme la couleur de nos yeux ou la saillance de nos pommettes. Mais il ne s’agit pas du seul paramètre entrant en compte dans la formation du visage. Pour devenir visible, l’information génétique doit en effet passer par un processus de décryptage au cours duquel son expression peut être modifiée par plusieurs éléments. D’un côté, tout ce qui relève de l’étude dite épigénétique: l’ensemble des facteurs environnementaux qui influencent notre ADN, tels que le tabac ou le stress. De l’autre, le microbiome, soit l’ensemble de micro-organismes (virus, bactéries et champignons) vivant naturellement dans le corps humain. Menée sur ces trois niveaux différents, l’étude de la salive des participants a rapidement révélé que la ressemblance des «super--sosies» ne concernait pas seulement leur visage: elle se retrouvait également au niveau génétique. Les chercheurs ont ainsi identifié 19 277 variations génétiques communes chez la moitié de ces couples, réparties sur 3730 gènes impliqués dans la morphologie du visage. En revanche, les mêmes «super--sosies» différaient au niveau de l’épigénétique et du microbiome. 

Sosies photographiées par François Brunelle

Marianne Thibault, secrétaire. Isabelle Maréchal, animatrice radio.
«Je me suis souvent fait accoster par des inconnus ou des clients qui m'on dit que je ressemblais à Isabelle Maréchal»

François Brunelle

4. La génétique à l’origine de notre morphologie faciale 

Qu’est-ce que cela peut bien vouloir dire? Principalement que l’environnement et l’alimentation n’influencent que peu la forme de notre visage, essentiellement déterminée par nos gènes. Des résultats qui n’étonnent pas la Pre Ariane Giacobino, médecin généticienne aux Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), spécialisée dans la recherche épigénétique. «Le rôle que joue la génétique dans la formation de notre visage est connu depuis longtemps. Ce n’est donc pas surprenant que des individus se ressemblant autant présentent un génome similaire.» Pour elle, l’originalité de l’étude réside avant tout dans le choix des participants. «La ressemblance physique a toujours troublé les chercheurs. Elle a beaucoup été étudiée chez les jumeaux, chez qui elle est attribuée à une génétique commune. Mais c’est la première fois que cette corrélation est observée chez des personnes saines et sans lien de parenté.» L’existence des sosies s’explique donc par le fait que, parmi la multitude de combinaisons d’ADN possibles, les mêmes séquences se retrouvent par hasard chez deux personnes différentes. «Nous sommes de plus en nombreux sur terre, poursuit Ariane Giacobino. Statistiquement, cela entraîne une plus grande récurrence des variations génétiques identiques, et donc de personnes qui se ressemblent.»

Sosies photographiés par François Brunelle

Sarah Fournier, assistante administrative. Alan Madill, directeur artistique. Sarah Fournier est née à Waba, Canada. Alan Madill est né à Toronto, Canada.
Un ami m’appelle de Toronto un jour et me déclare connaître le plus étrange couple de sosies: un homme et une femme, collègues de travail, qui ont l’air de jumeaux frère et soeur. Quand j’ai rencontré Sarah et Alan quelques semaines plus tard à Toronto, j’ai bien vu que c’était authentique. Même maintenant il m’est difficile de croire qu’ils ne sont pas parents. C’était émouvant de les photographier à cause de la tendresse qu'il y avait entre eux.

François Brunelle

5. Les perspectives de l’étude 

En associant ressemblances physique et génétique chez des personnes non apparentées, l’étude espagnole ouvre des perspectives de recherche intéressantes. Ces dernières ont principalement trait à une particularité spécifique des gènes: leur capacité à déterminer simultanément différentes caractéristiques anatomiques, physiologiques ou comportementales. L’identification de toutes les similitudes entre les sosies pourrait ainsi permettre de relier les gènes s’exprimant dans le visage à d’autres caractéristiques de notre organisme. C’est en tout cas ce que semble indiquer l’étude en relevant des similarités physiques et comportementales chez les «super-sosies» présentant un génome similaire. «Une telle découverte appliquée au domaine de la santé pourrait par exemple servir à identifier la prédisposition d’un individu à certaines allergies d’après l’observation attentive de ses traits, spécule Ariane Giacobino. Mais il ne s’agit pour l’instant que de simples hypothèses, qui demanderaient, pour être confirmées, d’être étudiées plus profondément sur un large panel d’individus.»

Sosies photographiés par François Brunelle

Jean Maheux, comédien. François Brunelle, photographe.

«Plusieurs de mes amis, connaissant mon projet de sosies, m'avaient dit que j'avais un sosie en la personne de Jean Maheux, je ne l'avais jamais vu. Une session de photo fut donc organisée et je découvris avec bonheur, une personne formidable, mais avec au moins 20 cm de plus que moi!»

François Brunelle

Lier physique et comportement: un jeu dangereux

En plus des analyses biologiques, chaque participant a également rempli un questionnaire portant sur diverses caractéristiques physiques et comportementales. Parmi elles, le poids, la taille, le tabagisme ou encore le niveau d’études. Et les résultats obtenus sont pour le moins troublants… Les scientifiques espagnols ont en effet observé des réponses similaires chez les neuf «super-sosies» présentant un génome commun. Ils suggèrent ainsi que «la variation génétique commune n’est pas seulement liée à l’apparence physique partagée, mais peut également influencer les habitudes et les comportements communs». 

«Chaque gène possède généralement plusieurs fonctions. Il est donc possible qu’un même gène influence à la fois une caractéristique morphologique et comportementale», observe la Pre Ariane Giacobino. Une hypothèse qui comporte de nombreux risques, comme nous rappelle la généticienne: «Associer un visage à un trait comportemental me semble très dangereux. Pour le comprendre, il suffit d’imaginer les dérives éthiques qu’entraînerait la corrélation entre un certain physique et le tabagisme dans le secteur des assurances, par exemple.» 

D’autant plus que de telles associations ont déjà démontré leur dangerosité par le passé. Le cas le plus emblématique est celui de la physiognomonie, une pseudo-science à l’origine des théories nazies arguant que l’étude de l’apparence physique d’un individu permettait de connaître sa personnalité. 

Utilisée à la fin du XIXe siècle pour lutter contre la criminalité, elle a eu des conséquences désastreuses: de nombreux individus ont été condamnés, emprisonnés, voire exécutés simplement pour être nés avec un visage identifié comme criminel. Il semblerait donc préférable de réfléchir à deux fois avant d’associer physique et comportement.

Par Anna Bonvin publié le 28 octobre 2022 - 08:32