Ils ont choisi un drôle de nom pour leur duo: The Woohoo. Presque un aboiement. L’influence de Wilson, leur femelle labrador, peut-être? Ils ont beau rigoler en nous entendant les nommer, ils ont sciemment évacué l’humour de l’univers d’«Automatic Songs», leur premier album, porté par la jolie voix éraillée de Valérie Martinez et les riffs de Zep, Philippe Chappuis à la ville, guitariste depuis ses 12 ans.
Donc... ce nom de groupe? Le couple admet s’être longuement creusé les méninges. «Au départ, on avait apposé nos deux noms, Martinez & Zep ou Zep & Martinez, mais ce n’était pas terrible, avouent-ils. On a dû faire 200 propositions à notre producteur, Mark Daumail, qui a tranché.» Valérie avait un faible pour un autre nom: Bel Amour. «Malheureusement, ça existait déjà.» Martizep ou, pire, Zepinez, ce n’était pas possible. Pas sans se poiler.
Un projet musical conçu avec amour
La musique des Woohoo, type folk americana, est traversée par l’esprit de Kerouac. Zep valide. Il s’est naturellement chargé de dessiner la pochette du vinyle pressé en France voisine, en édition ultra-limitée (500 exemplaires). «J’en avais vraiment envie, parce que jusque-là, je n’avais réalisé que des pochettes de CD, à part pour Renaud.» Tiré en sérigraphie, l’objet est superbe.
La moitié des 12 titres qu’il contient était déjà accessible sur les réseaux. Parmi ceux-ci: «Baby Please», «Automatic Songs from the Moon», «Lady» ou encore le redoutable «Good Day» qui, dès la première écoute, vous squatte la tête. «Ce titre-là, c’est une idée de Philippe», relève Valérie. Zep en rougirait presque.
Ce projet musical, le couple l’a conçu avec amour, sérieux et beaucoup de temps. Un privilège. Une partie a été enregistrée dans le home studio que Valérie Martinez a récemment fixé à l’étage du domicile conjugal. Elle y travaille souvent seule. Au calme, même si la musicienne, un brin froussarde, avoue parfois flipper dans l’immense résidence aux airs de Moulinsart.
Le créateur de Titeuf et la chanteuse Valérie Martinez sont en couple depuis trois ans. La Genevoise, cadette de quatre sœurs, a été principalement élevée par sa mère, française. Le papa, espagnol et restaurateur, faisait les navettes entre la Suisse et la Galice. «Personne n’est musicien chez nous, raconte-t-elle. A 4 ans, j’ai entendu un jour Whitney Houston à la radio. Une révélation. J’ai aussitôt voulu faire du chant.»
Son éducation musicale, elle la doit à sa mère, qui «était fan des artistes de la Motown, type Marvin Gaye ou Stevie Wonder». «Mais je pense qu’au sein de ma famille personne n’a compris à quel point je voulais faire de la musique avant mon premier concert, vers l’âge de 17 ans. Auparavant, je chantais dans mon coin. A 11 ans, j’avais reçu une petite machine karaoké à cassettes. Je jouais sur un minipiano Casio. Je faisais mes propres compos et forçais mes meilleur(e)s ami(e)s à venir chanter avec moi.»
Après un an d’école de commerce, elle prend son indépendance, qu’elle assume avec des jobs alimentaires. Valérie Martinez chante en anglais. «J’ai essayé des choses en français, mais ce n’est pas vraiment moi et ce n’est pas ma culture musicale.» La musicalité de la langue avant le sens, servie par un grain de voix d’ancienne fumeuse.
Valérie Martinez a cru en ses rêves. Elle s’est donné les moyens de les concrétiser. «Combien de fois on m’a dit que, depuis la Suisse, on ne pouvait rien faire, confie-t-elle. Moi, j’adorais Erykah Badu, Jill Scott, The Roots. Je voulais bosser avec ces gens-là. J’avais de l’audace. Il y avait encore MySpace à l’époque. Je n’ai pas hésité à envoyer mes démos à Larry Gold, qui était la légende de Motown. Il avait aimé ma voix, au point de m’inviter à aller enregistrer mon premier album dans son studio, Philly, à Philadelphie. J’ai investi toutes mes économies et un label, Yes I Am, monté par des proches, m’a soutenue. Je me suis retrouvée à chanter avec des musiciens de The Roots! C’était hyper-impressionnant. J’avais 27 ans.»
Chanter et écrire ses propres chansons
Après ce premier projet baptisé Jailyna, dont elle dit qu’il lui a un peu échappé, elle rentre en Suisse puis repart, à Miami cette fois, enregistrer pour un autre label dans le studio de Lenny Kravitz! «Son ingénieur du son avait mixé mon premier disque. On a poursuivi notre collaboration et cette fois, en studio, j’ai eu le cran de dire ce que je voulais, en chantant parce que je n’ai jamais pris de cours de musique, à des types du calibre de Doug Emery, le pianiste des Bee Gees!»
Si Valérie Martinez a ensuite mené sa carrière modestement, à Genève surtout, elle ne regrette rien. «A New York, j’ai eu un jour l’opportunité de signer chez Sony Music. Je suis allée au rendez-vous. Contre ma signature, on a exigé que je m’habille hyper-sexy, que je mente sur mon âge – j’avais 28 ans –, que je chante aussi en espagnol, bref, que je devienne quelqu’un d’autre. J’ai refusé.» Elle ne sera pas Shakira bis. «Moi, je ne demande qu’à écrire mes chansons, les enregistrer et faire de la scène. Tous les à-côtés, tout le côté barnum du «music business», ça me rebute.» Zep est plus conciliant.
Sur un malentendu, ça a matché
«On s’est rencontrés pendant le covid, par messages, sur un malentendu», raconte-t-il. Elle rigole. «C’est vrai. Je ne pouvais plus me produire en concert à cause de la pandémie. Je travaillais en tant que photographe et graphiste. J’ai monté à Genève une association baptisée Un monde meilleur. On a mis en place un financement participatif pour éditer une BD avec Pierre Wazem et Peggy Adam. Chappatte nous avait offert un dessin quand Philippe m’a demandée en amie sur Facebook. Moi, je connaissais Titeuf, mais pas son auteur. J’ai cru que Philippe Chappuis était Chappatte.» Ils se marrent.
Ils vont ainsi se rencontrer à travers l’association, puis partager un thé et beaucoup discuter, de musique en particulier. La suite leur appartient.
Une chance, Valérie aime Bob Dylan, dont Zep est le fan ultime. Un peu moins Kiss, même si elle avoue avoir été bluffée à Paléo, où il l’avait entraînée. Des artistes passerelles entre eux deux? Ils citent Ben Harper, Robert Plant (Led Zeppelin), Paolo Nutini et «plein de folk indé». D’où la couleur musicale de The Woohoo.
Comment fait-on sa place aux côtés de Zep? La question est légitime. «Au début, il m’a prévenue. Et je n’étais pas inquiète après avoir passé près de trente ans dans la musique, mais si je n’avais pas eu mon truc à moi, j’aurais pu me sentir de trop, parce qu’il capte toute l’attention, même si c’est quelqu’un d’adorable.»
L’ombre et la lumière
Valérie abandonne volontiers la surexposition médiatique à son célèbre compagnon. «Je dirais même que ça m’arrange, parce que je suis plutôt réservée.» Pas facile de concilier la popularité démente de Titeuf avec autre chose. «En fait, reprend Valérie Martinez, j’ai l’impression que cela pourrait être problématique si je nourrissais encore beaucoup d’ambition personnelle, mais plus aujourd’hui.»
«En fait, Valérie a un ego hyper-sain, souligne Zep. Elle a sa place dans la musique et ça lui va bien.» Elle confirme: «Mon rêve absolu serait de composer des musiques de films, c’est dire à quel point je préfère plutôt rester dans l’ombre.» Touché!
Zep est un grand gamin de 56 ans que tout amuse. Valérie admet être «plus sérieuse». Elle souligne qu’en musique aussi «Philippe est ultra-talentueux, c’en est même énervant». Zep sourit, flatté.
Pour décrire sa compagne, il choisit ses mots: «Valérie est hyper-intègre, incorruptible en matière de musique, courageuse aussi.» Elle est touchée. On inverse le miroir: «Philippe est hyperactif, humble et bienveillant. Humainement parlant, c’est quelqu’un de formidable.» Ils se sont choisis et si, trois ans après leur rencontre et un disque réalisé ensemble, ils cheminent toujours côte à côte, c’est que la formule est viable.
Partir sur un projet artistique commun était pourtant une décision risquée pour le couple. Après avoir patiemment façonné son identité musicale, Valérie Martinez avait le plus à perdre, objectivement. Zep a-t-il naturellement embrassé son univers? «Si seulement», soupire-t-elle en riant.
«On a d’abord joué ensemble pour s’amuser», racontent-ils. «Puis on s’est mis à enregistrer plein de mémos sur nos téléphones», poursuit Zep. Des idées en vrac. Chacun apporte sa pierre, sans rôles prédéfinis. «Il nous a fallu apprendre à travailler différemment pour que chacun se retrouve dans notre musique. Jusque-là, chacun faisait ce qu’il voulait seul de son côté, sans concessions.» L’équilibre est la clé, mais négocier une grammaire musicale commune est ardu. «Il y a un truc d’ogre dans la création, confirme Zep, avec cette envie que ce soit ton idée qui s’impose. Quand on collabore à deux, c’est impossible.» Valérie approuve.
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Pour se préserver des accès d’énergie négative, Zep et Valérie Martinez ont poursuivi leurs projets respectifs. Et au sein de The Woohoo, ils ont pu compter sur l’arbitrage de Mark Daumail, leur producteur, chanteur du groupe Cocoon, «qui s’est parfois mué en médiateur».
La première chanson que le duo a enregistrée, «Automatic Songs from the Moon», a donné une partie de son titre à l’album. Elle a été écrite en Norvège, sous les aurores boréales. Elle a aussi offert au duo une identité musicale. Qui a eu ensuite l’idée de persévérer en vue de sortir un disque? «C’est toi, non?» interroge Valérie. «Moi, il me semble que c’est toi, rétorque Zep. Je pense que je n’aurais pas osé.» Ils en rigolent. Responsabilité partagée. Le bon accueil que les radios ont réservé à ce titre initial a en tout cas motivé le duo à aller plus avant.
Zep avait participé à plusieurs groupes auparavant, «pour déconner surtout». Le rock comme exutoire, loin des crayons. Chanteuse reconnue, Valérie Martinez lui a offert l’occasion de réaliser un fantasme en produisant un vrai disque qui tient la route. «C’est un travail sérieux, mais ça ne signifie pas qu’on se prenne au sérieux», confie Zep, cherchant l’approbation de sa compagne, qui précise: «Nos musiques respirent la mélancolie, pas l’humour. On n’est pas un groupe de clowns.» Tout est dit.
>> Retrouvez le premier album du groupe The Woohoo «Automatic Songs», disponible au téléchargement. Vernissage de l’album le 27 mars à l’Alhambra, à Genève, à 20h (réservations via thewoohoomusic.com). Le 19 avril, The Woohoo en concert au Planetarium, à Sion.