Depuis le déconfinement, la hantise de tout patron est de voir son établissement fermer brutalement pour cause de contamination au coronavirus. Cette situation n’est tout simplement pas envisageable pour certains prestataires de services. En Valais, c’est le cas d’Altis, fournisseur d’eau, d’électricité, de chauffage et d’accès à internet. A son siège, au Châble, le directeur général Joël Di Natale, 54 ans, est catégorique: «Je ne peux pas fermer! Nous fournissons 60 000 habitants en période de pointe.»
Avec 104 employés dans les bureaux ou sur les différents chantiers, une soixantaine dans le bâtiment principal, de la main-d’œuvre externe des entreprises régionales qui va et vient, le boss n’a, à ce jour, connu aucun cas positif. En amont des décisions du Conseil fédéral de mars dernier, il a établi un dispositif de 25 pages, digne d’un chef de guerre. Ça tombe bien, il est aussi colonel d’état-major de l’armée suisse.
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Pour ce haut gradé, la menace est souvent théorique. «Les rouges», sourit-il. Cette fois, bien qu’invisible, l’ennemi est concret. Alerté par son réseau militaire sur les réalités de la pandémie, au printemps, Joël Di Natale a connu un électrochoc inattendu en se rendant à son cours du soir. «J’ai serré la main de mon prof de guitare en entrant et il m’a engueulé: «Joël, c’est irrespectueux, mon père est très malade. Si je propage le virus, il risque de mourir!» L’Italie était alors sévèrement touchée et, en Suisse, la peur commençait à gagner les esprits. «En rentrant chez moi, dans la nuit de mercredi à jeudi, j’ai conçu un plan en me disant: «Purée, je vais devoir faire passer l’info à tous les échelons de l’entreprise.» Lorsqu’il convoque ses collaborateurs, par groupes séparés, il sent que la partie n’est pas gagnée. «Certains ricanaient en se disant: «Il est tombé sur la tête!» Dans leur esprit, c’était encore trop loin…»
Ce ne fut pas le cas à la STEP, où le contremaître Jean-Marc Conus collabore avec une équipe de six ouvriers et une laborantine. Le masque FFP2 et les gants, ils les portent depuis toujours afin de se protéger des virus et bactéries. «Désormais, nous sommes tous formés au contrôle des eaux usées. En plus, nous avons constitué deux équipes de trois. Si l’une venait à défaillir, l’autre prendrait le relais.» Le coronavirus est-il détectable dans l’eau? «Oui. Nous la filtrons grâce à des cultures bactériennes biologiques. Elles sont sensibles aux détergents puissants. Je me demande quelle sera l’incidence sur l’environnement de ces millions de litres de gel hydroalcoolique que nous utilisons. Pour nous, l’écologie commence ici même», relève-t-il.
En cette rentrée, le covid, toujours d’actualité, continue d’empoisonner le monde. Altis a installé plexiglas et bornes de gel, mais dans les locaux, le port du masque n’est pas impératif. «L’autre jour, chez un client, j’ai vu une secrétaire seule dans son bureau qui le mettait toute la journée. Demander le maximum, c’est pratique, mais c’est peut-être une privation de liberté qui ne peut durer», souligne Joël Di Natale. Au moment où les mesures sanitaires se sont assouplies, il a tout de même eu des surprises. «Tous sont revenus au siège. Dans l’euphorie des retrouvailles à la pause de midi, les distances n’étaient plus respectées. J’ai dû refaire des campagnes de prévention.»
Et si l’un d’eux tombait malade? «J’ai mis au point un système hiérarchique qui permet d’éviter la paralysie d’un service. Dans le Bas-Valais, un patron a vécu ça. Un employé s’est rendu chez le médecin. Il avait des symptômes. Dans la panique, il a répondu aux questions légitimes du praticien et, au moment de savoir qui il avait croisé, il a balancé les noms de tous ses collègues. Ils ont aussitôt été alertés par SMS. Ça vous fiche une boîte par terre. Ici, on mise sur l’anticipation. Il faut en parler d’abord à son supérieur hiérarchique direct. C’est lui qui conseille l’employé avant qu’il n’aille chez le docteur. Cela permet d’éviter des réactions disproportionnées et leurs conséquences.»
En cas de gros pépin, Altis a même des lits disponibles. Ils sont à côté du bâtiment, gérés par Téléverbier. «Vingt-cinq chambres pour une cinquantaine de personnes. Comme on dit sous les drapeaux: il faut se tenir prêt à rester sur site.» Et le sacro-saint apéro du vendredi, il est autorisé ou pas, patron? «Le doute s’est installé dans les esprits. Il faut le déconseiller sans entraver la liberté individuelle. J’avoue que c’est compliqué, d’autant plus que cela se fait en dehors des heures de boulot.»