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Une Saint-Valentin sans vaccin sur les réseaux

Qui a dit que nous pouvions vivre d’amour et d’eau fraîche? A l’ère du Covid-19, le statut vaccinal se décline aussi sur les applications de rencontres amoureuses. En Suisse, un site internet et des groupes Telegram sont même réservés aux réfractaires aux trois injections. Tour d’horizon.

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Saint-Valentin sans vaccin

A l’ère du Covid-19, le statut vaccinal se décline aussi sur les applications de rencontres amoureuses.

Amina Belkasmi

Le vaccin, nouvelle condition préalable à une rencontre affective? Sur le site Meetic et les applications comme Tinder ou Bumble, les utilisateurs n’hésitent plus à afficher leur statut vaccinal dans leur biographie ou à l’aide d’un badge «vacciné». Selon Tinder, depuis décembre 2020, la vaccination est devenue LE sujet de discussion entre utilisateurs. Le terme «vaccin» a augmenté de 149% en six mois (entre décembre 2020 et juin 2021) en France, indique l’entreprise américaine.

Suite logique, Impffrei:Love, la première plateforme de rencontres réservée aux réfractaires à la vaccination contre le Covid-19, vient d’être lancée et elle est… suisse. Avec un message en page d’accueil qui ne laisse planer aucun doute quant à sa vocation: «Pour toutes les personnes sans vaccins et conscientes qui préfèrent se tenir la main… plutôt que la distance sociale.» Pour s’inscrire et trouver l’âme sœur, il faut montrer patte blanche ou plutôt cocher la case «non-vacciné» sur le formulaire d’inscription. A l’origine du projet? Generation Freiheit («génération liberté»), une association à but non lucratif dont on ne sait pas grand-chose si ce n’est qu’elle est basée outre-Sarine et qu’elle promeut «un développement holistique des personnes, de la nature et du monde qui les entoure». Impffrei:Love se targue de réunir plus de 12 000 utilisateurs, principalement domiciliés en Allemagne et en Suisse alémanique. Au mois de décembre, «Blick» révélait également l’existence d’un canal de la messagerie Telegram dédié aux non-vaccinés: Ungeimpfte Singles Schweiz («célibataires non vaccinés Suisse»), qui réunit aujourd’hui plus de 2300 participants.

Et en Suisse romande? Un groupe existe aussi sur Telegram, même si son succès est plus confidentiel que son équivalent alémanique. Créé en octobre 2021, Make LOVE not VAX réunit plus de 300 membres en quête de «rencontres affectives entre résistants (majeurs et NON vaccinés)». Concrètement, comment cela fonctionne-t-il? Le cercle est public, chacun peut y accéder librement. Certains membres publient une annonce, un descriptif plus ou moins bref, accompagné d’une photographie ou non. Ils peuvent alors être contactés par message privé par les autres adhérents. Son instigatrice et administratrice, une Genevoise d’une quarantaine d’années souhaitant garder son anonymat, explique sa démarche par écrit. «Au fil des campagnes de vaccination, j’ai senti qu’une énergie de séparation, voire de ségrégation s’installait dans notre société. Certaines personnes dont les valeurs leur faisaient refuser l’injection se sont vues exclues de leurs cercles familiaux, amicaux, amoureux ou professionnels. J’ai donc lancé ce groupe via Telegram afin de mettre en lien, de façon gratuite et rapide, des personnes qui partagent les mêmes valeurs.» Quelles sont-elles? «Entre autres, le droit à la réflexion et au doute, face à toute soumission d’êtres vivants à un protocole inconnu», répond celle qui refuse que le groupe soit taxé de «complotiste».

Au début de la pandémie, Joséphine*, une secrétaire vaudoise de 46 ans non vaccinée, a fréquenté des sites et applications de rencontres ouverts à toutes et à tous. Mais l’expérience a tourné court. «Rapidement, le sujet de la vaccination arrivait sur le tapis. Je ne suis pas opposée à l’ensemble des vaccins, mais la façon dont celui-ci a été amené, c’est trop gros. Je n’ai pas confiance. Impossible pour moi de m’entendre avec un individu en accord avec ces mesures complètement disproportionnées et discriminatoires comme le certificat covid», assure celle qui a rejoint il y a quelques semaines le cercle Make LOVE not VAX, avant d’ajouter: «L’échange est plus facile que sur Tinder, car on partage la même vision de la situation sanitaire. Dans notre camp, on s’inquiète pour le futur. Alors oui, le statut vaccinal est devenu l’un de mes critères de sélection, car, en tant que maman célibataire, je recherche une personne avec qui affronter l’avenir.»

David*, célibataire de 42 ans, actif dans la restauration en France voisine, s’est inscrit sur le groupe en décembre 2021 après avoir fait quelques rencontres sur Meetic et Adopte. «Je ne tombais que sur des femmes vaccinées. Cela ne me posait pas spécialement de problème, mais à elles, oui. C’est idiot que cet argument détermine la possibilité d’une relation. Je suis vacciné pour plein d’autres choses. Je ne me rends pas à un rendez-vous pour dire à la personne en face de moi: «Si tu n’es pas vaccinée contre l’hépatite B, on cesse de converser.» Avec ce cercle, je crée aussi un réseau de connaissances avec lesquelles on se retrouve autour de certaines valeurs, comme l’anti-consumérisme, le recours à la médecine alternative et l’envie de développement personnel.»

L’injection vaccinale est-elle devenue un critère de sélection? Ne relève-t-elle pas de l’intime? «Oui, mais avec la crise sanitaire, nous assistons à un glissement de la sphère privée à la sphère publique, répond Virginie Zimmerli, maître assistante à Medi@LAB-Genève et spécialiste en santé numérique. Le statut vaccinal est devenu un critère de distinction, au même titre que la classe sociale. Coller des étiquettes est une façon très humaine d’organiser la société. On catégorise pour mieux la comprendre.» Elle poursuit: «Le covid prend la place numéro 1 sur l’organisation de notre société. Les questions débattues jusqu’alors plutôt dans le milieu scientifique émergent sur le devant de la scène et l’espace public via les réseaux sociaux. De plus, l’ensemble des espaces extérieurs sont soumis à des restrictions sanitaires, il n’est donc pas très étonnant que la vie amoureuse s’organise autour du Covid-19 aujourd’hui.»

Catherine, une Neuchâteloise de 53 ans, vient de franchir le pas et a mis en ligne une annonce sur le groupe Make LOVE not VAX. Elle confirme: «J’ai entendu parler de ce cercle via un autre groupe Telegram, Le Pass on s’en passe. J’ai longtemps hésité avant de m’inscrire, j’ai vécu une rupture très douloureuse, j’avais besoin de reprendre confiance en moi. Puis, je me suis dit: «Ose!» Que ce serait peut-être le moyen de tisser des liens, même amicaux, avec des personnes qui partagent mes valeurs, qui ne se vaccinent pas juste pour aller au restaurant et en voyage. La crise que nous vivons nous oblige à réfléchir sur notre façon de vivre. Je recherche la simplicité.» Pourrait-elle envisager un «date» avec une personne vaccinée? Elle rit: «Peut-être, s’il y a un respect mutuel. Je suis heureuse toute seule, une rencontre amoureuse serait la cerise sur le gâteau. Bon, ça serait quand même mieux qu’elle ne soit pas vaccinée, cette cerise.»

*Prénom d’emprunt


Allons-nous vers une division croissante de notre société?

 

«Pas si vite, répond Virginie Zimmerli, maître assistante à Medi@LAB-Genève et spécialiste en santé numérique. La question vaccinale a toujours fait débat, avec, par exemple, celle autour du papillomavirus (HPV) ou de la rougeole. Cela préexistait à la situation que nous traversons aujourd’hui avec la pandémie de Covid-19.» De là à en faire une condition de la quête amoureuse? «Pas nécessairement. En revanche, il est certain que, sur les réseaux sociaux et le web en général, les algorithmes nous mettent en contact avec des personnes qui expriment des opinions similaires à la nôtre, avec lesquelles on partage des intérêts communs. C’est caractéristique de ces médiums.

Virginie Zimmerli

Virginie Zimmerli, maître assistante à Medi@LAB-Genève et spécialiste en santé numérique.

DR

Nous sommes de moins en moins exposés à des idées divergentes. Notre opinion se renforce, il s’agit de biais de confirmation. Ces algorithmes diluent la pluralité des idées et favorisent un certain entre-soi. Cela est valable dans une multitude de domaines, en politique notamment. La vie amoureuse n’y échappe pas. On aura donc tendance à se rapprocher de personnes qui pensent comme nous. L’existence de ces groupes Telegram illustre ce phénomène, même s’il se situe en marge des réseaux sociaux traditionnels. Des niches alternatives se créent via le bouche-à-oreille et les personnes se regroupent en fonction de leurs valeurs et affinités.»

Par Alessia Barbezat publié le 10 février 2022 - 08:52