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Interview

Vincent Pérez: «Au cinéma, je tombais amoureux des actrices à l’écran»

Acteur et réalisateur, le Vaudois Vincent Pérez est de retour chez lui pour la 6e édition de ses Rencontres 7e art Lausanne, centrées autour du rêve et de la réalité avec une pluie d’invités prestigieux. Il s’interroge sur la place du cinéma bousculé par les plateformes, la remise en question que provoquent les mouvements sociétaux comme le wokisme et s’explique sur le cas Polanski. «Je suis pour le pardon», dit-il.

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Vincent Pérez

Il a fait l’école de photo de Vevey, il a été un jeune acteur dans la troupe de Patrice Chéreau aux Amandiers. Réalisateur, auteur, scénariste de BD, il est aussi un père de famille qui s’interroge, posément, sur le monde. C’est ce qu’il propose aussi avec les Rencontres 7e art Lausanne.

Anoush Abrar

- Qu’est-ce qui a motivé le choix de la thématique de cette sixième édition des Rencontres 7e art Lausanne, intitulée «Entre rêve et réalité»?
- Vincent Perez: C’est le flirt du cinéma avec le monde des rêves, source créatrice des auteurs. De grands metteurs en scène, de Federico Fellini avec «La cité des femmes» (1980) à David Lynch et «Lost Highway» (1997), se sont servis de leurs songes. Quand j’ai travaillé avec Michelangelo Antonioni sur «Par-delà les nuages», en 1995, il pouvait s’endormir sur le plateau. Au réveil, il avait trouvé ses plans dans son sommeil. Moi-même, je faisais des micro-siestes, à la pause déjeuner, sur le tournage de mon dernier film, «Une affaire d’honneur», et je trouvais des plans ainsi. L’histoire que l’on raconte nous obsède au point qu’elle envahit notre inconscient.

- Le monde actuel miné par la guerre, la pandémie, la crise climatique est, lui, d’une douloureuse réalité. Le cinéma est-il un refuge, une fuite ou une façon de comprendre la réalité pour mieux la supporter?
- Le cinéma, et l’art en général, est une manière de questionner l’existence. C’est un moyen de mieux comprendre le monde dans lequel nous vivons pour essayer de le supporter en prenant du recul, afin d’avoir la capacité de vivre la vie telle qu’elle est vraiment.

- En Suisse, le public a déserté les salles de cinéma, passant de 18 millions d’entrées en 2002 à 12 millions en 2019 et seulement 5 millions en 2021. Vit-on la fin du cinéma en salle?
- Je ne le pense pas du tout. La fréquentation remonte depuis le mois d’octobre dernier. Le phénomène des plateformes a donné un coup aux habitudes du spectateur. Ce monde des séries est très chronophage, même si certaines sont formidables. Mais rien ne remplacera la décision d’aller voir un film en salle, comme je l’ai fait pour «Babylon», pendant trois heures, dans un cinéma plein à craquer. C’est une expérience dont on se souvient. Je ne suis pas sûr qu’on se souvienne autant de celle que l’on vit devant une série, douze heures d’affilée. On a un peu l’impression qu’on nous vole ce que l’on a de plus précieux dans la vie: notre temps.

- Quels sont vos premiers souvenirs d’émerveillement au cinéma?
- C’était au Capitole, à Lausanne. Mon père nous emmenait voir les Disney. «Fantasia» a été un moment absolument fou; «Les Aristochats» (1970) aussi. J’avais 6 ans. A l’adolescence, c’était «Grease» à la rue de Bourg. Quand je suis sorti, j’étais entre le rêve et la réalité. J’ai grandi à Penthaz (VD), où il n’y avait pas de salle. Aujourd’hui s’y trouvent les archives de la Cinémathèque suisse. Le cinéma, je le vivais surtout à travers le petit écran. Christian Defaye, sur la RTS, montrait des films dont il parlait. Il invitait les plus grands cinéastes à Genève, il savait converser avec Fellini ou Akira Kurosawa. Il y a eu des magazines comme «Cinéma de minuit» et «Cinéma, cinémas» grâce auxquels j’ai vu tous les films de Sautet, de Kazan, de Capra, tous les westerns de John Ford et même des œuvres de Mizoguchi. C’était une ouverture extraordinaire sur le monde.

- La salle de cinéma était aussi un lieu de flirt. Vous l’avez vécu?
- Pour moi, le cinéma n’était pas lié à des sorties amoureuses. Le fantasme au cinéma était de l’ordre des émotions. Je tombais facilement amoureux des actrices. J’étais fou d’Olivia Newton-John dans «Grease». Paix à son âme. A 20 ans, quand je suis arrivé à Paris, je fréquentais beaucoup les salles d’art et d’essai. Mes histoires d’amour, je les avais avec les filles sur l’écran, comme Harriet Andersson, la Monika d’Ingmar Bergman. C’était difficile de ne pas en être amoureux. C’étaient des moments d’un érotisme fou, même si on ne voyait rien. C’était à la fois très fort et très beau.

Olivia Newton-John sur le tournage de Grease en 1978l

«J’étais fou d’Olivia Newton-John dans «Grease», en 1978.» Vincent Pérez, adolescent de Penthaz (VD), n’avait alors que 14 ans.

Paramount Pictures/Photo12/AFP

- Que peut la communauté du cinéma pour les cinéastes des pays où l’on réprime l’expression artistique? En Iran, le réalisateur Jafar Panahi a été condamné à six ans de prison. Il vient d’être relâché au bout de sept mois.
- Ce qui se passe là-bas est terrible. Que faire à part montrer ces films dans des festivals? Cannes le fait très bien. Je suis très admiratif du militantisme de l’actrice Golshifteh Farahani. Il faut soutenir les Iraniens, qui font preuve d’un courage extraordinaire. Cette année, nous invitons le plus grand réalisateur ukrainien, Sergei Loznitsa, auteur de «Donbass». Dans un monde extrêmement dur, le cinéma agit comme une bonne nourriture. Il y a des films qui nous font du bien. Ils nous permettent de grandir. C’est ce que nous faisons avec le festival, à travers notre sélection, en montrant des films qui nous permettent d’ouvrir notre champ de réflexion. On va projeter, en avant-première, «Le bleu du caftan» de Maryam Touzani, un de mes coups de cœur de ces dix dernières années. Une pure merveille.

- Des films qui prolongent aussi la réflexion, bien après la projection.
- Oui. «Tár» avec Cate Blanchett est un très bon exemple. Pendant la projection, on peut se demander: «Mais qu’est-ce qu’on me raconte?» Même en sortant, l’autre soir, j’avais des doutes. J’en ai rêvé toute la nuit et, le lendemain matin, je me suis dit: waouw! Voilà, c’est ça, le cinéma. Il faut être à l’écoute de la façon dont le film continue à faire son chemin.

- La Lex Netflix permet de prélever 4% sur les plateformes pour les reverser au cinéma suisse. Certains disent que c’est une juste redistribution, d’autres qu’il faut laisser faire la liberté de commerce, sans ponctionner Netflix, HBO ou Disney. Qu’en pensez-vous?
- Je trouve ça très bien et ça pourrait même être plus que 4%. Je suis favorable à tout ce qui peut aider et soutenir la culture. Il ne faut pas la considérer comme un passe-temps, mais comme un gagne-temps. Quelque chose d’essentiel. Sans elle, je ne sais pas ce qu’on devient. Un monde sans culture? Eh bien, ce serait un monde dans lequel je ne pourrais pas vivre.

- On vous retrouve sur la plateforme Apple TV+, dans la série «Shantaram», tirée du best-seller éponyme. Comment s’est déroulé le tournage en pleine pandémie?
- C’était très dur. Je ne pouvais ni rentrer chez moi, ni voir mes enfants à cause du covid en Thaïlande et en Australie. J’ai vécu confiné une grande partie de ces six mois, dont trois quarantaines de quinze jours, seul, enfermé dans une pièce. Les autorités australiennes nous faisaient signer un document qui stipulait qu’on acceptait d’être mis en détention pour raisons sanitaires. Ça m’a permis de faire un gros travail d’introspection. J’ai beaucoup écrit et j’ai préparé mon rôle (Didier Levy, un avocat, ndlr). J’évoluais dans ce monde incroyable et étrange des plateformes qui sont des usines à séries dont on a l’impression d’être l’employé. Vu de l’intérieur, ça n’est pas désagréable, on est pris en charge, mais ce n’est pas évident. On travaille pendant huit mois, non-stop, afin de réaliser 12 épisodes à la suite. L’acteur principal, Charlie Hunnam, tournait tous les jours. C’est assez inhumain de donner quelque chose de soi au quotidien. Je ne sais pas comment on fait, par quel ressort on passe pour faire ça. Lui était impressionnant.

- Cela change de vos expériences cinématographiques?
- Mais ce n’est pas du cinéma! Pourquoi raconter une histoire en dix heures alors qu’on peut le faire en une heure et demie? Le cinéma, c’est l’art de l’ellipse; une sorte d’essence de la vie. Alors que la série, c’est un rendez-vous confortable. Dans la salle de cinéma, il y a une forme d’ouverture, d’altruisme. Aller au cinéma demande un effort. Se déplacer, payer sa place, ce n’est pas rien. En sortant, on échange, on discute. On est encore actif, on est d’accord ou pas. Si tout le monde a détesté et que vous avez aimé, il faut avoir le courage de le dire.

- A 58 ans, votre visage est peu marqué. Vous disiez que vous aimiez bien changer de registre tous les dix ans. En quoi?
- (Sourire.) L’héritage génétique vient de ma maman et de mon papa. Dans ma carrière, j’essaie d’avoir un chemin cohérent. A un moment donné, j’ai fait de la télé. Cette direction ne me plaisait pas. Ça ne me ressemblait pas. J’ai arrêté et j’ai essayé de me réinventer, d’aller chercher qui j’étais afin de me reconstruire. Je suis passé par la photographie, j’ai exposé, j’ai écrit et réalisé. «Alone in Berlin» (2016) a été une étape importante. Elle m’a reconnecté avec moi-même, avec qui j’étais. Ce film m’a permis de faire un travail très intime sur l’histoire de ma propre famille…

- … votre père d’origine allemande et votre mère d’origine espagnole.
- Oui, et même avant eux. Je fais partie de ces familles dont les lignées ont été cassées par les guerres, notamment la dernière. En faisant des recherches, j’ai découvert qui étaient nos ancêtres. C’était passionnant.

Vincent Perez

«Mon film «Alone in Berlin» (2016) a été une étape importante dans ma vie. Il m’a reconnecté avec moi-même. Il m’a permis de faire un travail intime sur l’histoire de ma propre famille d’origine allemande et espagnole, dont les lignées ont été cassées par la Seconde Guerre mondiale.», Vincent Pérez.

Anoush Abrar

- L’an dernier, vous avez publié sur Instagram une lettre ouverte en faveur de Valeria Bruni-Tedeschi, réalisatrice des «Amandiers», dont l’acteur principal était mis en examen pour viol et violences. Qu’est-ce qui vous a poussé à prendre position en plein raz-de-marée médiatique?
- Je crois en la justice. Elle a son rôle à jouer. C’est par elle que tout passe. Je ne crois pas au tribunal du Net et des réseaux sociaux. Le danger, c’est quand le virtuel est plus attractif et prend plus d’importance que la réalité. C’est ça, le cœur du sujet. J’ai aussi publié cette lettre en soutien à une artiste que j’admire.

- Le mouvement #MeToo, libérant la parole des femmes, a été bénéfique dans le monde du cinéma et en dehors.
- Il est très important, il a fait bouger les choses. J’ai des filles, cela permet qu’elles vivent dans un monde plus sécurisé. Je suis en train de réfléchir à ce mouvement de société complexe importé des Etats-Unis qu’est le wokisme (du terme anglo-américain woke, «éveillé», ndlr). Il mérite que l’on s’y attarde. Le monde change, les époques ne sont plus les mêmes, c’est un fait. On ne peut pas comparer les années 1970 aux années 1940 ou aux années sida. La société se transforme, s’ouvre, découvre de nouvelles choses. Pour moi, la mise en contexte a du sens, mais on refuse de le voir, on veut l’éradiquer. C’est une erreur, parce que les sociétés évoluent, l’être humain aussi.

- Comme Valeria Bruni-Tedeschi, que vous recevrez pendant le festival, vous avez travaillé très jeune avec Patrice Chéreau, qui pouvait vous bousculer afin de faire avancer le travail de sa troupe. Est-ce encore tolérable?
- Un acteur, quand il est jeune, il faut le bousculer, il faut qu’il s’ouvre. Dans le documentaire que nous diffuserons, intitulé «Des Amandiers aux Amandiers», Valeria l’évoque avec ses mots à elle.

- «J’attends d’un metteur en scène qu’il casse mes défenses», répète-t-elle, jeune comédienne.
- Et Patrice Chéreau, le metteur en scène – on ne le voit pas au montage –, lui répond: «On n’est pas là pour te casser. On est là pour trouver et construire ensemble, mais pas pour te casser, toi.» L’idée n’était pas de se faire casser, mais de casser des résistances intérieures. Je me souviens d’avoir eu peur d’explorer certaines zones où je devais lâcher quelque chose au plus profond de moi. J’ai moi-même connu une forme d’autodestruction, parce qu’il fallait que je casse ces défenses. Je ne suis pas sûr que ce soit intéressant, dans l’art créatif, de rester dans sa zone de confort. Or, aujourd’hui, j’ai l’impression que les nouvelles générations sont dans une forme de retenue.

- Cette année, vous recevez également Emmanuelle Seigner. Elle est aussi l’épouse de Roman Polanski, qui fait polémique, comme aux Césars en 2021.
- Que l’on soit pour ou contre Polanski, je recommande le livre d’Emmanuelle Seigner, «Une vie incendiée». Il est très factuel et rappelle tout l’historique de la situation jusqu’à aujourd’hui.

- Quelle est votre position par rapport à ce qu’on appelle l’affaire Polanski?
- Moi, je suis pour le pardon. C’est peut-être mon côté catholique, mais j’y crois. C’était il y a quarante-six ans et Polanski a payé. Pourquoi les autorités suisses ne l’ont-elles pas extradé pour le donner aux Américains? Avant de remettre un individu, elles diligentent une enquête. Elles ont étudié toutes les pièces du dossier avant de conclure qu’il avait payé sa dette et qu’il n’était pas extradable. Il a fait quarante-deux jours de détention aux Etats-Unis et plus de sept mois assigné à résidence chez lui, à Gstaad, muni d’un bracelet électronique. Il a également fait de la prison en Suisse. C’est plus que les 40 accusés poursuivis en Californie, la même année, comme lui, pour relation sexuelle illégale avec une mineure. Pas un n’a fait un seul jour de prison.

- Le tournage de son dernier film, au Gstaad Palace, a entraîné des oppositions et des manifestations.
- Dès que l’on parle de Roman Polanski, il n’y a plus moyen de s’exprimer. On est tout de suite catégorisé, on est attaqué.

- Rupert Everett a déclaré dans le «Telegraph»: «Jouer, c’est s’approprier et rien d’autre. C’est un désastre si seul un acteur gay peut jouer le rôle d’un gay.» Le cinéma, sous l’effet de la vague woke, régresse-t-il dans sa liberté d’expression et de création?
- Chez les Anglo-Saxons, par exemple, un acteur ne peut pas jouer un transgenre si lui-même n’est pas transgenre. Le cinéma régresse-t-il dans sa liberté de création? Est-ce une transformation des sociétés vers autre chose, une évolution? Je ne sais pas.

- Est-ce qu’il y a désormais un réflexe d’autocensure?
- L’autocensure est partout. Peut-être est-ce une rééducation de ce que nous sommes en tant qu’individus? Il est très important de s’interroger sur ces mouvements sociétaux. Ils nous concernent tous. Moi, je suis pour le dialogue. Et, souvent, il ne peut pas y en avoir. Or, nos métiers questionnent le monde. J’ai lu «La religion woke» de Jean-François Braunstein. La chose dont je me méfie terriblement, c’est la peur de s’exprimer. Pourquoi? Le wokisme véhicule une nouvelle morale. Elle est très présente à l’intérieur de Netflix, des GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon). Ce que je trouve inquiétant, c’est le fait que cela engendre la peur de ne pas être d’accord, la peur d’être soi-même, la peur d’exprimer des choses. Je ne suis pas dans le jugement, j’essaie juste de comprendre. C’est un peu le rôle du cinéma que d’essayer de comprendre.

affiche Rencontres 7e art Lausanne

«Entre rêve et réalité», du 4 au 12 mars, les Rencontres proposent à Lausanne outre des ateliers, la projection des films des plus grands réalisateurs: De Sica, Visconti, Resnais, Fellini, Tarkovski, Kurosawa, Weerasethakul et Lynch.

Rencontres 7e art Lausanne

>> Informations, programme et billetterie des Rencontres 7e art Lausanne sur: www.r7al.ch

Par Didier Dana publié le 25 février 2023 - 09:38