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Alan Roura: «Mes deux Vendée Globe m’ont fait grandir mentalement»

De quoi rêve un skipper quand il est à terre? D’un sponsor! Car l’argent, c’est le nerf de la guerre pour participer aux grandes courses océaniques et espérer les gagner. Le Genevois Alan Roura vient de réaliser ce rêve grâce à Hublot. La marque horlogère se jette à l’eau avec lui au moins jusqu’au Vendée Globe 2024-2025.

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Alan Roura

Signe probable d’un changement de standing, c’est au Beau-Rivage Palace que cette interview du marin a eu lieu.

Darrin Vanselow

En 2016, il s’était lancé, à 23 ans, à l’assaut de son premier Vendée Globe. Il était alors le plus jeune marin de toute l’histoire de cette course mythique. Mais Alan Roura barrait alors le plus vieux bateau de cette édition. Quatre ans plus tard, le Genevois peut s’engager dans son deuxième tour du monde en solitaire sur un voilier plus compétitif. Mais le résultat final n’est pas à la hauteur des espérances, pourtant raisonnables, du projet. Dans ce tout petit monde des régates océaniques, où les sponsors se font plus rares que jamais, on pouvait donc craindre que le Genevois peine à trouver le gros sponsor helvétique qui permette au petit Suisse de s’offrir enfin une vraie bête de course dans l’optique d’une troisième participation à cet Everest des mers, en 2024-2025. Mais impossible n’est pas Roura: Hublot a fini par céder à ses appels du pied. Et le marin de Versoix (GE) exilé à Lorient intègre désormais la flottille des favoris.

- Alan, racontez-nous le jour où Hublot est officiellement devenu votre sponsor principal.
- Alan Roura: Cela restera comme un jour émotionnellement intense. En octobre de l’année dernière, nous nous démenions pour acheter le voilier d’Alex Thomson, Hugo Boss. C’était une opération complexe, parce que j’avais certes un mécène pour acheter ce bateau, mais il me fallait encore un sponsor principal pour que la vente puisse être conclue. Et l’affaire s’est débloquée en une journée. Toute la matinée, mon épouse Aurélia téléphonait avec notre mécène et moi avec Hublot. A 16 h 30, c’était réglé et l’acompte versé au propriétaire du bateau. Une journée de folie!

- Cela faisait longtemps que vous essayiez d’embarquer Hublot dans vos aventures océaniques?
- Nous étions en contact avec Hublot depuis plus de quatre ans. Cette manufacture horlogère nous avait toujours semblé être une marque en accord avec le Vendée Globe. Elle avait d’ailleurs déjà soutenu Dominique Wavre lors de la deuxième de ses quatre participations, en 2004. Et c’était difficile de les oublier dans la mesure où nous passions souvent en voiture à côté du siège de l’entreprise, à Nyon (VD), au bord de l’autoroute Genève-Lausanne. Avec Aurélia, nous étions convaincus que Hublot était le partenaire idéal pour notre équipe: une marque jeune, créative, aux technologies innovantes, mais une marque qui sait aussi rester fidèle à son image. On reconnaît en effet immédiatement une montre Hublot. Les planètes se sont soudain alignées et cette collaboration se concrétise. C’est génial!

- Le sponsor et le bateau le même jour de novembre et ensuite, que s’est-il passé?
- Le lendemain même de cette journée mémorable, Alex Thomson, le skipper du bateau, m’appelle pour me dire de venir à Cascais, au Portugal, et de descendre en Méditerranée avec lui à bord de son Hugo Boss. Et dès les premiers bords, ce fut le choc: j’ai pu mesurer à quel point je changeais littéralement de catégorie sur un tel bateau, à quel point j’avais été condamné jusque-là à n’être qu’un outsider.

- Puis, en décembre, vous avez convoyé le futur Hublot vers votre base, à Lorient. Ça a suscité de la curiosité?
- Pire que ça! A Lorient, ce bateau, c’est une vraie catastrophe depuis qu’il y est amarré! On a dû mettre des caméras pour le surveiller, car des individus viennent sur le bateau la nuit pour prendre des photos. A son arrivée, tout le monde était sur les pontons et voulait monter à bord pour le visiter. Mais pas question: il y a des secrets de fabrication que je tiens à conserver.

- A part son cockpit fermé, qui avait beaucoup fait parler de lui il y a quatre ans, qu’est-ce qu’il a de spécial, ce Hugo Boss devenu Hublot?
- Tout est à portée de main du skipper. L’ergonomie est poussée à un degré d’excellence sans précédent. En plus, comme Alex fait la même taille que moi, c’est adapté au centimètre près! On n’a rien envie de changer tellement tout est parfait. L’électronique, par exemple, ressemble à celle d’un cockpit d’avion. Tous les fils sont numérotés, identifiables, alignés au cordeau. Et puis ce bateau a été conçu non seulement pour glisser sur l’eau mais aussi pour fendre l’air, grâce à une aérodynamique ultra-fine.

- Barrer un bateau enfermé dans le carénage, ce n’est pas oppressant?
- Avant ce bateau, c’était comme si je conduisais une décapotable sur une autoroute à 130 km/h sous une pluie fine permanente. C’est amusant un moment, mais seulement un moment. Avec ce cockpit protégé, c’est comme si j’avais échangé ma décapotable contre une grosse berline avec des sièges chauffants. C’est tout cela de fatigue en moins. C’est génial!

- Vous avez désormais à disposition une fusée pour faire la dizaine de grandes courses (Route du Rhum, Fastnet, Jacques Vabre, etc.) avant le Vendée 2024-2025. Mais durant ces deux ans et demi, de nouveaux bateaux vont être construits. Hublot risque-t-il d’être à son tour dépassé?
- On peut en effet s’attendre à voir une quinzaine de nouveaux 60 pieds d’ici à 2024. Mais beaucoup d’entre eux seront fabriqués sur des moules déjà existants. Et ceux qui seront construits sur de nouveaux plans ont besoin de deux ou trois ans pour être fiabilisés et pour être utilisés à 100%.

- Donc votre choix du Hugo Boss pour en faire votre Hublot, c’est le bon compromis entre innovation et expérience accumulée?
- J’en suis persuadé. Tout ce qui devait casser a déjà cassé. Nous avons navigué tout l’hiver et nous n’avons d’ailleurs rien cassé. Rien de rien! On achète donc aussi de la sérénité. Nous n’avons plus qu’à entretenir ce voilier.

- Et vous allez devoir changer radicalement votre propre manière de naviguer? En adoptant notamment les choix souvent audacieux du skipper britannique?
- J’essaie plutôt de créer mon propre mode d’emploi au lieu de reprendre celui d’Alex. Le bateau ne demande qu’à être compris encore plus finement. C’est un bateau plus polyvalent qu’on ne l’a dit. Et Alex, c’est un skipper très original. Il peut être très bourrin, comme on dit, c’est-à-dire qu’il peut pousser le bateau à ses extrêmes limites. Mais après trois mois d’essai sur ce bateau, je me suis rendu compte que c’est l’inverse qu’il lui faut. Il a besoin d’être léger, aérien sur l’eau.

- Qu’est devenu le petit aventurier suisse inconnu et héroïque de 2016 après ces années de montée en puissance et de médiatisation? La volonté, voire l’obligation de gagner prend-elle le pas sur le pur plaisir de la voile?
- En 2016, je ne me projetais pas du tout dans mon statut actuel. D’ailleurs, à l’époque, ce n’est que le jour même du départ de la course que j’ai décidé d’y aller, tellement mon projet était bricolé. Ces deux Vendée Globe m’ont fait grandir mentalement, ce qui est précieux, car la voile est un sport très mental. Quant aux classements, ce n’est pas devenu une obsession. En fait, ce qui me motive le plus, ce sont les records. J’aimerais pouvoir faire toutes mes courses sans penser aux concurrents et en me concentrant uniquement sur l’ancien record à battre. Dans le Vendée Globe, presque chaque nouvelle édition, sauf la dernière notamment, s’est soldée par un nouveau record. Mais cela signifie aussi, forcément, finir… premier!

Par Clot Philippe publié le 25 mars 2022 - 15:07