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Exploits suisses aux JO

Belinda Bencic, jours de gloire

C’est l’euphorie pour les Suissesses aux JO: sur douze médailles (au 2 août), neuf ont été gagnées par des femmes. En tennis, Belinda Bencic a décroché le graal: l’or en simple, puis l’argent en double. Portraits de cette héroïne qui a la flamme. 

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Belinda Bencic

Samedi 31 juillet 2021, la cérémonie protocolaire achevée, la nouvelle championne olympique de tennis Belinda Bencic a droit au baiser de son compagnon et préparateur physique, Martin Hromkovic.

Laurent Gillieron

C’est une histoire folle. Une histoire comme seuls les Jeux olympiques en réservent. Une histoire que la Saint-Galloise Belinda Bencic (24 ans) racontera peut-être encore sur les plateaux de télévision dans vingt-neuf ans… comme le Genevois Marc Rosset, médaillé d’or à Barcelone en 1992. Championne olympique! Un titre unique. Le hasard a voulu que la Suissesse, qui possède aussi le passeport slovaque, s’impose en trois sets contre… une Tchèque de deux ans sa cadette, Marketa Vondrousova, 42e au classement WTA, qui avait créé la sensation en éliminant la Japonaise Naomi Osaka, grande favorite du tournoi.

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Belinda Bencic

A Tokyo, Belinda Bencic tombe le masque pour embrasser la médaille d’argent acquise en double avec Viktorija Golubic. Elles n’avaient jamais joué ensemble avant ces JO.

Peter Klaunzer/Keystone

«Honnêtement, j’ai souffert. Par moments, j’étais à bout de forces, mais j’ai su trouver les ressources», analysait la Suissesse après son exploit. En l’emportant 7-5 2-6 6-3, elle inscrit son nom en lettres d’or dans le grand livre olympique et accède à… l’éternité. «Ce titre, il est pour Martina et Roger» ajoutait-elle, autrement dit pour Martina Hingis et Roger Federer. Dédicace respectueuse.

Engagée le lendemain déjà en finale du double dames avec Viktorija Golubic, Belinda Bencic, dont la nuit avait été courte, forcément, était-elle dans les meilleures conditions pour défier la meilleure paire du monde formée par Barbora Krejcikova et Katerina Siniakova? Non. Et la logique a été respectée, mais les Suissesses peuvent être fières de leur superbe médaille d’argent!

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Belinda Bencic rejoint, dans la récente histoire olympique de son sport – le tennis féminin a fait son retour aux Jeux en 1988 –, les noms prestigieux de Steffi Graf (1988) ou des sœurs Venus (2000) et Serena Williams (2012). Championne olympique à Rio à la surprise générale, la Portoricaine Monica Puig a pour sa part disparu depuis lors des radars, victime de blessures récurrentes à l’épaule. Samedi, elle s’est fendue d’un gentil tweet à l’intention de la Suissesse: «Félicitations @BelindaBencic!!! Bienvenue au Club Médaille d’Or!!!»

Belinda Bencic

L’Ariake Coliseum de Tokyo, vide, résonne du cri de joie de Belinda Bencic. La Saint-Galloise vient de remporter la finale olympique du simple dames.

RUNGROJ YONGRIT

«C’est vraiment incroyable, tout s’est passé si vite. Je ne sais pas comment j’ai fait», avouait Belinda Bencic, incrédule et au comble du bonheur. Depuis 2017 et des blessures à répétition – elle a notamment subi une opération au poignet gauche –, la droitière de Flawil (SG), qui était alors au septième rang mondial et semblait promise à un ou plusieurs titres en Grand Chelem, a dû prendre son mal en patience, se reconstruire sur le plan physique, perdre (souvent) des matchs. Pas simple. Elle le dit elle-même: «J’ai appris à relativiser et aujourd’hui, je prends plus de plaisir.» Il faut souligner le travail accompli par Martin Hromkovic (38 ans), son compagnon depuis trois ans, un ex-footballeur slovaque reconverti avec bonheur dans la préparation de sa championne. Sans lui, aurait-elle pu revenir ainsi?

Sur le plateau de RTS Sport, le Genevois Marc Rosset, «heureux pour elle», suggérait, juste après le podium de la Saint-Galloise, qu’elle s’était sans doute «prise au jeu» des Jeux, comme lui en 1992. Vrai. «Je me suis nourrie de l’énergie, des émotions, des ondes que diffuse le village olympique», confirme-t-elle. Les athlètes de la délégation suisse, les filles surtout, l’ont inspirée, transcendée. A Tokyo, Belinda Bencic s’est offert une parenthèse libératoire dans sa vie solitaire de joueuse de tennis pro que ses parents ont voulue pour elle quand elle était haute comme trois pommes. Rappelons tout de même qu’elle joue au tennis tous les jours depuis l’âge de 4 ans!

Belinda Bencic

Avec Martina Hingis en 2005.

DR

A Tokyo, dans un stade vide où elle pouvait entendre réagir son team – son père et superviseur (il a cédé cette saison son poste d’entraîneur à l’Allemand Sebastian Sachs) Ivan Bencic, qui fut joueur de hockey puis courtier en assurances, sa mère Daniela dite Dana, un ancien mannequin ayant joué au handball à un haut niveau, son frère cadet Brian, son petit ami Martin Hromkovic enfin –, elle a su puiser les ressources nécessaires pour signer le plus bel exploit de sa carrière.

Le dernier de ses neuf titres remontait à Dubaï en 2019. Le report d’un an des JO de Tokyo, le contexte olympique, le soutien et la proximité de ses compatriotes au village olympique, la fierté enfin de jouer pour son pays l’ont aidée à renverser des montagnes. «Pour un athlète, il n’y a pas plus grand accomplissement qu’une médaille olympique», insiste-t-elle avec raison.

Belinda Bencic

La future championne olympique de tennis Belinda Bencic avec son père Ivan, à Dubaï en 2002.

DR

Face à l’autre finaliste, Belinda Bencic a livré un combat intense, physique, parsemé de quelques éclairs de génie. Le tout en 2 h 27. En inscrivant le point du 6-5 au premier set, elle a hurlé comme jamais, se libérant d’une pression folle et déstabilisant (sans doute) sa rivale tchèque pour ensuite empocher cette manche initiale. Au second set, Vondrousova ne lui a rien laissé, ou presque. Le match s’est joué à 3-3 dans le dernier set où, après avoir écarté une balle de break, elle a porté l’estocade pour mener 4-3. La Suissesse a alors fait intervenir le médecin pour soigner une ampoule à un orteil du pied droit. Interruption salutaire. Si son adversaire la bousculera encore, elle ne marquera plus le moindre jeu. Et la deuxième balle de match sera la bonne, synonyme de médaille d’or!

Professionnelle depuis 2014, Belinda Bencic est championne olympique de tennis! La question sera maintenant de savoir si cette gloire olympique pourra la porter vers les sommets du circuit pro. Elle a indéniablement les qualités nécessaires pour gagner un tournoi du Grand Chelem.

Sans pour autant s’aventurer à la comparer à sa propre fille Martina Hingis (cinq titres en Grand Chelem) – ce que médias et spécialistes se sont empressés de faire, un peu vite sans doute –, Melanie Molitor, qui avait recruté Belinda à l’âge de 7 ans dans son école, le Tennis Club Ried de Wollerau (SZ), lui avait prédit un avenir radieux. En juniors, Belinda Bencic fut numéro un mondiale à l’ITF et elle reste la seule à avoir remporté Roland-Garros et Wimbledon la même année. C’était en 2013. Elle avait 16 ans.

Belinda Bencic

Avec Roger Federer en 2008 au TC Ried de Wollerau.

DR

Si la Suisse entière a savouré le jour de gloire de Belinda Bencic la veille de la Fête nationale, des larmes de joie ont également dû couler en Slovaquie. Sans le coup de force des chars soviétiques à Prague en 1968, ses grands-parents n’auraient pas fui leur pays pour trouver refuge en Suisse, où plus tard son papa Ivan Bencic jouera au hockey et sera courtier en assurances. C’est du reste grâce à un autre joueur de hockey, Marcel Riederer, rencontré au EHC Uzwil, que le «projet Belinda» pourra prendre forme. Ayant fait fortune en exportant Nescafé en Russie, Riederer va miser sur cette gamine alors âgée de 6 ans, «par intuition» dira-t-il un jour dans L’Equipe.

Après avoir investi une somme à sept chiffres, l’ami Riederer est chargé de gérer la carrière de la petite Saint-Galloise. Il déniche ses sponsors, en particulier Adidas et Yonex, qui la suivent toujours, contre un pourcentage sur ses futurs gains. Grâce à lui, Belinda va pouvoir passer les hivers aux Etats-Unis avec sa famille, effectuer un stage dans la fabrique à champion(ne)s de Nick Bollettieri, fréquenter l’Académie Chris Evert à Boca Raton et rejoindre Gil Reyes, célèbre préparateur physique d’Andre Agassi, à Las Vegas. Le top.

Aujourd’hui, Belinda Bencic est une championne olympique de tennis heureuse, mais son objectif ultime n’a pas changé. Peut-être même s’est-il renforcé à Tokyo: devenir numéro un mondiale.

Par Blaise Calame publié le 5 août 2021 - 08:17