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Benoît Revaz: «Allez skier mais baissez votre chauffage avant»

Son nom ne vous dit pas (encore) grand-chose mais au gré des potentielles coupures et autres pénuries d’énergies annoncées, Benoît Revaz pourrait souvent s’inviter dans votre salon cet hiver. Une bonne raison de vous présenter le directeur de l’Office fédéral de l’énergie avant qu’il ne se retrouve face à Philippe, son cousin, sur le plateau du «19h30». 

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Benoît Revaz

Le directeur de l’OFEN a posé au barrage de la Maigrauge, dans la Basse-Ville de Fribourg, situé proche de son domicile. Premier édifice de ce type en béton en Europe, cette retenue au fil de la Sarine a été construite il y a bientôt cent cinquante ans et est aujourd’hui dotée d’un ascenseur à poissons. «Je viens souvent m’y balader et je suis à chaque fois très admiratif.»

Sedrick Nemeth
Christian Rappaz, journaliste
Christian Rappaz

Encore un Revaz! Après Philippe, star du JT à la RTS, son frère Frédéric, chef adjoint du service de presse des CFF, leur sœur Noëlle, écrivaine à succès – pour ne citer que les plus célèbres –, voilà Benoît, le cousin – «Nos papas étaient cousins germains» –, qui dirige depuis 2016 le plus que jamais important Office fédéral de l’énergie et ses 320 collaborateurs.

Comme toute la tribu, le patron de l’OFEN, 51 ans, a grandi à Vernayaz, village de la rive gauche du Rhône proche de Martigny, entouré de ses parents, enseignants, et de ses deux frères aînés, ingénieur et physicien. Vernayaz, commune de deux petits milliers d’habitants qui a la particularité d’abriter trois usines hydroélectriques «qui ont imprégné notre jeunesse, tant sur le plan économique que culturel» glisse-t-il. «Papa nous racontait déjà qu’il travaillait l’été comme manœuvre à la centrale de Salanfe, pour se faire un peu d’argent de poche pendant ses études.»

Autant dire que Benoît Revaz est tombé dedans! Reste qu’il a fallu que ce passionné de montagne, qui ne possède pas pour autant de chalet en Valais, déménage dans le canton de Fribourg, où il a obtenu un master en droit, pour travailler dans le domaine de l’énergie. A moins de 30 ans, en tant que secrétaire général des entreprises électriques fribourgeoises, avant d’occuper plusieurs postes de direction, auprès d’EOS Holding et d’Alpiq Holding notamment. Père de deux filles, de 29 et 25 ans, le Valaisan, également titulaire en management, a en fait passé d’un poste à responsabilité à l’autre avant d’accéder, sous l’ère de Doris Leuthard, à 45 ans, à la direction de l’OFEN. Une suite presque logique en somme…

- Quelque chose nous dit que, dans les mois qui viennent, vous allez devenir aussi célèbre que Daniel Koch, naguère responsable de la division maladies transmissibles de l’OFSP, sous le feu de l’actualité durant la crise du covid. Vous sentez monter cette pression?
- Benoît Revaz:
On verra à la fin de la crise s’il me reste autant de cheveux qu’à lui (rire). Blague à part, la pression sur l’office est bien là, en effet. Pour nous, l’important à ce stade est de rester concentrés sur nos dossiers et sur les mesures que nous pouvons mettre en place à court terme. Avec d’autres départements, nous avons proposé beaucoup d’instruments pour renforcer l’approvisionnement ces derniers mois. Le Conseil fédéral a pris bon nombre de décisions en un temps record qui permettront d’exploiter tout le potentiel envisageable pour se préparer à ce premier hiver tendu mais aussi aux suivants. Car, ne nous leurrons pas, la situation ne va pas s’améliorer avec la fin de cet hiver: 2023 et son hiver seront particulièrement difficiles, car les réservoirs de gaz européens risquent d’être vides. D’où l’importance de préparer et de mettre en œuvre ces mesures.

- Il y a quelques semaines, vous marteliez que le marché de l’électricité pouvait s’effondrer à tout moment. Est-ce toujours le cas?
- Absolument. Nous avons plusieurs fois été très proches d’une crise cette année, avec des acteurs au bord de l’étranglement. Axpo par exemple. Raison pour laquelle le Conseil fédéral a proposé un mécanisme de sauvetage basé sur des facilités de crédit de plusieurs milliards. A partir du moment où un acteur n’a plus les liquidités nécessaires pour garantir ses futurs achats d’énergie, sa défaillance provoquerait une réaction en chaîne dont on ne sait pas où elle s’arrêterait. Une situation qui aurait bien sûr des conséquences directes et néfastes sur l’approvisionnement et la fourniture. A court terme, ce mécanisme, auquel les entreprises d’électricité les plus importantes peuvent faire appel, est donc le meilleur outil à disposition et pas rien qu’en Suisse. C’est une solution transitoire, qui ne sera peut-être pas utilisée mais qui sécurise l’approvisionnement. 

- Pour l’approvisionnement de gaz, nous avons des accords avec la France. Mais pourra-t-elle honorer ses engagements?
- Il n’y a pas de certitude. Le gaz est notre vraie préoccupation. C’est pourquoi nous négocions des accords de solidarité avec l’Allemagne et l’Italie. Avec la France, nous avons un échange de lettres qui donne accès au stockage d’Etrez, dans la région de Lyon. Si d’éventuelles mesures de réductions et de contingentements devaient intervenir, ces décisions seraient prises en commun et en bonne intelligence, pas unilatéralement. La Suisse n’est pas une île sur le plan énergétique. Les problèmes qui pourraient survenir chez nous ou chez nos voisins ne vont pas s’arrêter aux frontières. D’où l’importance d’assurer une certaine coordination. Pour l’électricité, c’est Swissgrid qui est aux commandes. S’agissant du gaz, dont les réseaux sont supra-régionaux, c’est plus compliqué. Il n’y a pas un opérateur faîtier gérant l’ensemble des échanges.

- Vous pouvez affirmer qu’il n’y aura pas de black-out cet hiver en Suisse?
- Ce que je peux dire, c’est que l’arsenal de mesures mises en place renforce notre approvisionnement. Pour autant, nous n’avons jamais connu une situation aussi tendue. La Russie mène une guerre et joue avec le robinet du gaz et nous sommes dépendants à 100% de l’étranger pour les énergies fossiles: personne ne peut dès lors affirmer qu’il n’y aura pas de pénurie. Maintenant, il faut faire une distinction entre des coupures tournantes, de quatre heures en général, et un black-out qui ne dit pas sa durée.

- C’est-à-dire?
- Des coupures tournantes, j’en ai vécu personnellement en Californie. Je n’en sous-estime pas l’impact mais je crois qu’avec la mobilisation des acteurs de la branche, des cantons, des communes, des entreprises, nous sommes capables de les éviter ou de les gérer si elles devaient tout de même survenir. J’ai confiance dans les capacités de notre pays d’apporter des réponses proportionnées et ordonnées en cas de crise aiguë.

- Le black-out peut-il venir de l’étranger?
- Bien sûr. Dans tous les cas, l’essentiel est de réaliser des contingentements structurés afin d’éviter que le système n’entre en rupture. Si relever une rupture du système électrique se réalise en un temps raisonnable, une rupture dans l’approvisionnement du gaz s’avérerait par contre catastrophique tant sa remise en service est chronophage. Chaque brûleur à gaz, l’un après l’autre, devrait être purgé puis réactivé par un technicien. Et il y en a des centaines de milliers en Suisse. C’est par exemple pour cette raison que la France privilégie les coupures tournantes d’électricité à celles du gaz, pour cette raison aussi que la surveillance des infrastructures est capitale. Et Dieu sait si, en temps de guerre, tout peut arriver, des sabotages ont déjà été constatés en Europe.

- Le gaz, c’est vraiment votre souci majeur…
- Oui. Refaire les stocks de gaz en Europe pour 2023-24 sans gaz russe et dans l’hypothèse où l’économie chinoise repartira s’avérera très difficile. C’est bien ce qui rend le continent très vulnérable. Avec des réserves déjà basses, un hiver 2021-22 plus rigoureux que ce qu’il a été aurait déjà créé bien des soucis.

- Pas de gaz pour chauffer les hauts-fourneaux = pas d’acier, pas de ciment, pas d’engrais. A ce propos, l’Allemagne et la Grande-Bretagne ont déjà cessé de fabriquer des engrais…
- Ces conséquences de la guerre sont inquiétantes, en effet. Il y a potentiellement des goulets d’étranglement qui vont avoir des impacts sur toutes les chaînes logistiques et mettront ces dernières sous pression. Il ne faut pas se le cacher, les perspectives conjoncturelles ne sont pas bonnes et les défis pour les Etats sont immenses.

- Tout le monde loue votre souci de transparence, le fait que vous ne pratiquez pas la langue de bois, alors que dans d’autres pays on est souvent dans le déni. C’est un choix personnel ou politique?
- C’est surtout le minimum qu’on puisse faire dans une situation aussi sérieuse. Quand on voit venir le risque, et on le voit depuis des mois, la moindre des choses est de prévenir la population le plus objectivement possible, sans minimiser, ni exagérer les dangers. Et plus encore, lorsqu’il faut anticiper et prendre les mesures adéquates.

Benoît Revaz

Dans les bureaux open space de l’OFEN, chauffés avec la chaleur dégagée par les serveurs de Swisscom, dont le bâtiment est situé un peu plus haut, et où travaillent 320 personnes. Ici avec son collaborateur Geo Taglioni, chef des affaires du Conseil fédéral et des affaires parlementaires.

Sedrick Nemeth

- Peut-être que les mesures d’économie éviteront les pénuries. Où en est-on sur ce plan?
- Nous n’avons pas encore de chiffres mais nous percevons des signes encourageants. A commencer par la mobilisation sans précédent que nous connaissons: plus de 200 associations faîtières et consommateurs majeurs d’énergie ont spontanément adhéré au mouvement d’économies. Il y a deux ans, nous en aurions eu à peine vingt et encore, après des efforts surhumains pour les convaincre. Aujourd’hui ils sont là, alignés, avec la volonté de s’engager à fond dans l’Alliance pour les économies d’énergie. Chacun de nous est d’ailleurs assis sur un potentiel d’économies et ce, sans renoncer à son confort. Cette addition de petits gestes n’est pas à sous-estimer.

- Les plus extrémistes souhaitent des coupures, voire un black-out, afin, disent-ils, de faire prendre conscience de l’urgence de passer aux énergies propres synonymes d’autonomie…
- Je crois qu’il faut être un peu inconscient pour souhaiter le chaos dans le pays. Il n’y a pas besoin de black-out, la prise de conscience est là. Je reçois énormément de témoignages de personnes qui ont déjà pris des mesures.

- D’autres affirment qu’il ne fallait pas suivre les sanctions occidentales contre la Russie…
- Sans les sanctions, nous serions confrontés aux mêmes problèmes. Le gaz n’arrive pas par avion mais avec des pipelines de l’étranger. C’est véritablement l’utilisation de l’énergie comme arme de guerre par la Russie qui a provoqué cette crise dont l’épicentre est l’Europe.

- Il se dit aussi que l’embargo de l’UE sur le pétrole russe à partir du 5 décembre va faire exploser le prix du diesel…
- Si je le savais, je ferais du trading de matières premières. Les prix du gaz, de l’essence et du diesel sont impactés par divers facteurs, dont la capacité d’importation et la capacité de raffinage. Pour ce qui est des produits pétroliers, il y a des moyens d’assurer une certaine stabilité de l’approvisionnement grâce aux stocks obligatoires.

- Puisqu’on y est, pourquoi le prix du mazout de chauffage culmine toujours proche de ses sommets alors que le prix du baril de pétrole a baissé d’environ un tiers depuis ses plus hauts?
- Vous me posez une colle là. Je sais que Monsieur Prix est intervenu à propos de cette question. Sans doute que notre capacité limitée de raffinage et les problèmes de navigation sur le Rhin qui ont perturbé les livraisons cet été y sont pour quelque chose.

- De leur côté, les fans de ski se demandent s’ils pourront profiter de leur passion…
- Les sociétés de remontées mécaniques ont été parmi les plus proactives. En juillet déjà, elles ont présenté 80 mesures d’économies et planifié les installations à arrêter si nécessaire. A vrai dire, je ne suis pas trop inquiet. A moins d’un hiver très rigoureux, les soucis, s’il doit y en avoir, apparaîtront dès la deuxième partie du mois de mars, alors que la saison de ski sera déjà bien avancée. De plus, que représentent les quelques dizaines de millions de kWh utilisés par les remontées mécaniques en regard des 30 milliards consommés en Suisse durant l’hiver? J’ai envie de dire, allez skier mais abaissez votre chauffage en partant de la maison.

- Des spécialistes estiment que lorsque nous exploiterons tout le potentiel de l’énergie solaire, le prix de l’électricité va s’effondrer ou, mieux, rendra le courant gratuit…
- Ce qui est fantastique avec le soleil, c’est qu’il nous fournit de l’énergie gratuitement. Après, il faut nuancer. Il y aura effectivement des moments avec beaucoup de soleil où le prix sera à 0, voire négatif, où l’on sera payé pour consommer, mais il y aura également des heures où les prix seront très élevés et un solde qui fluctuera selon la production hydraulique. Globalement, nous reviendrons en effet à des prix plus bas qu’aujourd’hui.

- Si vous aviez un conseil à donner aux gens…
- Je dirais que tous ceux qui le peuvent passent au photovoltaïque. J’étais récemment en visite au Liechtenstein où la société Hilti, présente dans 160 pays, a condamné plusieurs centaines de places de parc en les couvrant de panneaux photovoltaïques. Son directeur m’a confié que c’était le meilleur investissement que la société avait fait, tous pays confondus. Le kWh produit lui revient à 5 centimes!

- Est-ce que la pression dont nous parlions en préambule vous empêche parfois de dormir?
- Jamais! On a entrepris tout ce qu’on pouvait, mes équipes travaillent énormément, tous les départements collaborent et le Conseil fédéral prend les décisions l’une après l’autre. Alors que nous n’étions vraiment pas préparés à cette crise, je crois pouvoir dire que nous faisons le maximum.

- Il vous arrive de vous demander: «Est-ce que j’ai bien fait de me retrouver là?»
- Jamais non plus. Nous sommes en mode crise depuis le 21 décembre 2021, nous avons passé nos vacances de Noël derrière les écrans à gérer les premiers cas qui nous étaient soumis. C’est stressant bien sûr, mais passionnant, car nous nous trouvons à un tournant en matière d’approvisionnement énergétique... 


Les 5 questions indiscrètes


1. Votre chauffage à la maison?
Au gaz. Avec un fourneau à pellets en soutien. Il faudra faire avec. Je n’ai pas de génératrice, pas plus de gaz que mon voisin, ni accès à un quelconque réseau secret.

2. La chaleur doit aussi monter des débats entre votre épouse, Anne Butty Revaz, élue du Centre au Conseil général de la ville de Fribourg, et votre fille aînée, Caroline, qui siège également dans cette assemblée mais sous la bannière des Vert’libéraux?
Il y a longtemps que notre fille ne réside plus avec nous. Les débats entre elles se déroulent donc plus souvent à la salle communale qu’à la maison. Et personnellement, je ne fais pas de politique. Pour cela, je ne tiens ni de mon père, Guy, qui était enseignant, ni de mon oncle, Jean-Paul, ancien chef du Service de la promotion économique et touristique du canton du Valais, tous deux conseillers communaux à Vernayaz et qui se sont beaucoup engagés.

3. Des panneaux photovoltaïques en projet?
Non hélas! Nous habitons une vieille demeure mal isolée mais classée. Impossible d’envisager ce type d’installation et les autorisations pour les travaux d’isolation prennent du temps.

4. Vos déplacements, en train ou en voiture?
Sauf événement exceptionnel, en train bien sûr, le site de l’OFEN se situant à cinq minutes à pied de la gare d’Ittigen. Ma voiture, je ne l’utilise pratiquement que pour mes loisirs.

5. Une voiture électrique ou thermique?
Thermique. Un VW California muni d’un panneau solaire sur le toit.

Benoît Revaz

s’il n’y avait qu’un seul moment…: Le concert de Barclay James Harvest. Un concert d’anthologie en 1980, devant le Reichstag, prémonitoire de la chute du Mur, qui n’interviendra finalement que neuf ans plus tard.

DR
Par Christian Rappaz publié le 3 novembre 2022 - 08:16