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Comment les braqueurs échappent-ils à la justice?

Cinq ans après leur juteux braquage de Nyon (40 millions de francs de butin) et leur spectaculaire arrestation, les gangsters ne sont toujours pas jugés. Pire, trois des six prévenus remis en liberté par la justice française sont en fuite. Evasion facilitée, mode d’emploi.

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voiture braquée

Après avoir relâché les deux convoyeurs, les gangsters ont incendié leur véhicule. Lors de la reconstitution, il s’avérera que le dispositif ressemblant à une bombe, que les malfrats avaient déposé sur le pare-brise, n’était en fait qu’un élément en pâte à modeler.

Catherine Mellier/PhotoPQR/Le Dauphiné/Maxppp

L’idée n’était pas d’en faire un «Wanted», façon Dalton dans «Lucky Luke», mais de mettre des visages sur les noms de trois des six auteurs de la rocambolesque attaque d’un fourgon blindé sur une bretelle d’autoroute des environs de Nyon, en mai 2017. Farid Aichour (38 ans), le présumé cerveau de l’opération, Mehde Kerras (39 ans), son plus proche complice, et un troisième comparse. Tous en cavale à l’heure de se présenter devant la Cour d’assises de Lyon, mi-janvier. Une absence qui a contraint le président du tribunal à ajourner une deuxième fois le procès de la bande, après le report de novembre 2021, dû au covid. Dans ce contexte, publier la photo des trois individus semblait avoir du sens. Pas du point de vue de la justice, qui a pourtant délivré un mandat d’arrêt international à leur encontre.

Notre demande s’est en effet heurtée à une sèche fin de non-recevoir tant de la part des magistrats français, chargés du dossier, que de leurs homologues helvétiques. Ces derniers les ont pourtant naguère condamnés pour des délits du même type à des peines de réclusion assorties d’une interdiction d’entrée sur notre territoire courant jusqu’en 2029. C’est le cas de Farid Aichour, alias Farid «Chopard», ainsi surnommé après sa condamnation à 6 ans de réclusion pour «complicité de vol avec violence» lors du braquage d’une bijouterie Chopard à Genève, en 2006 (4,5 millions de francs de butin). Raison de ce veto: «Ça ne se fait pas.» «Punkt schluss!» Une démarche qui heurte jusque dans le milieu du barreau. «Il arrive fréquemment que la photo de l’auteur d’un délit mineur soit étalée dans la presse alors que, pour ces gros poissons, la justice s’y oppose. Je comprends que cette pratique de deux poids, deux mesures irrite et offusque les gens», glisse un célèbre avocat romand, qui ne désire pas enflammer la polémique en y mêlant son nom. «C’est peut-être pour éviter qu’ils se fassent assassiner en pleine rue», confie l’un de ses confrères, évoquant sans trop y croire le droit à la vie privée.

Ce n’est pas la seule bizarrerie de ce dossier qui traîne depuis bientôt cinq ans, bien que tous les membres du gang aient été arrêtés dans un pavillon de la commune de Chavanod, en Haute-Savoie, à 50 kilomètres de Genève, quatre heures seulement après leur forfait, alors qu’ils comptaient leur impressionnant butin. A l’époque des faits, on avait en effet appris que deux d’entre eux avaient commis un car-jacking en 2008, à Plan-les-Ouates, et une attaque à main armée de l’office de poste de Chavannes-de-Bogis quelques mois plus tard. Des actes qui leur avaient valu une condamnation à 7 ans et 4 ans de prison ferme en 2013.

Libres et sans bracelet électronique


Quelques jours après le braquage de Nyon, un procureur vaudois s’était demandé, à juste titre, pour quelle raison deux des assaillants s’étaient retrouvés en liberté quatre ans seulement après leur condamnation. La question est toujours d’actualité. Comment se fait-il que des criminels ayant reconnu leur participation à l’opération aient retrouvé leur liberté, qui plus est sans obligation de porter un bracelet électronique? «Parce que la durée maximale de détention préventive de 56 mois prévue par le droit français a été atteinte pour les six prévenus», répond le parquet général de Lyon. Autant dire que les gangsters n’ont pas tardé à se volatiliser. Même si les moyens de les géolocaliser sont nombreux et que leur ADN est répertorié, les ramener au Palais de justice s’avérera compliqué, voire impossible selon le pays où ils se sont réfugiés, reconnaît l’institution, en évoquant un éventuel jugement par défaut. Ou comment échapper à la justice après avoir réalisé l’un des casses du siècle: pour mémoire, 25 sacs remplis de billets de banque suisses, quatre lingots d’or de 10 kilos et des milliers de diamants.

argent du braquage

Le butin contenait tellement d’argent que la PJ de Lyon, avouant n’en avoir jamais vu autant, avait renoncé à compter.

Police nationale française

Face à cette situation ubuesque, les agents de la police judiciaire lyonnaise (PJ) doivent s’arracher les cheveux. C’est en effet grâce à leur travail de surveillance réalisé dès le printemps 2016 que les braqueurs ont pu être interpellés et arrêtés aussi rapidement. Les limiers avaient notamment relevé une dizaine d’allers et retours entre la région lyonnaise et la région nyonnaise. Un suivi au long cours méticuleux, réalisé en collaboration avec la police vaudoise. Faux, rétorque l’avocat de Mehde Kerras. Pour lui, il ne fait aucun doute que son client et la bande ont été dénoncés. Le nom de Mounir M., qui a avoué avoir volé la Peugeot 508 SW et l’Audi RS 4 break utilisées par les braqueurs ce fameux soir de mai 2017, a été avancé. Le défenseur brandit le million d’euros manquant au butin retrouvé par la police pour soutenir sa thèse. Selon lui, cet argent aurait servi à payer la «balance». Contactés, Me Raphaël Chiche ainsi que les défenseurs de Farid Aichour et de Mounir M. n’ont pas donné suite.

«Vaud a découragé les criminels»


Côté suisse, on se contente de suivre l’affaire de loin et de relever l’étroite collaboration que les deux pays, non liés par des accords d’extradition, entretiennent depuis les années 1970. «Ce dossier est désormais entre les mains des autorités françaises. Nous ne sommes plus concernés», répond Jean-Christophe Sauterel, directeur prévention et communication de la police cantonale vaudoise, qui n’en dira pas plus. «La contribution des polices et autres organisations suisses à l’enquête et à l’arrestation des malfrats sera rendue publique lors des assises.» Allusion au Centre de coopération policière et douanière de Genève, le CCPD, qui réunit l’Office fédéral de la police (Fedpol), les polices cantonales et le corps des gardes-frontière ainsi que des membres de la gendarmerie nationale, des douanes, de la sécurité publique, de la police judiciaire et de la Police aux frontières côté français.

Le canton de Vaud a-t-il définitivement enrayé l’impressionnante série de braquages de fourgons qui a déferlé sur ses terres ces dernières années? Depuis l’attaque de Daillens, le 2 décembre 2019, aucun nouvel assaut n’est à signaler. «La nouvelle loi sur le transport des biens et des valeurs, mise en application au pas de charge par le Conseil d’Etat, décourage les criminels», estime Jean-Christophe Sauterel, citant les principales mesures auxquelles les convoyeurs opérant ou transitant par les routes vaudoises sont astreints. «Montant transporté plafonné à 12 millions de francs. Obligation d’utiliser des véhicules lourds (17 tonnes) et escortés par des agents armés. Obligation de répartir le cash destiné aux bancomats dans dix caissettes équipées d’un système de maculature. Avec ces mesures, le jeu n’en vaut plus la chandelle pour les braqueurs, si je puis dire», conclut le porte-parole, en précisant qu’aucun lien formel n’a été établi entre le gang de Nyon et celui du Mont-sur-Lausanne. «Ils proviennent du même milieu mais sont composés de deux équipes différentes.»

Par Christian Rappaz publié le 15 février 2023 - 08:04