«Mission réussie!» Le jeune trentenaire Davide Di Francesco est sorti des enfers. «La tempête qui a balayé La Chaux-de-Fonds à 217 km/h le 24 juillet 2023 m’y avait plongé, en emportant mon atelier de liqueurs artisanales Cuore Di Limone ainsi que l’appartement attenant que je partageais avec ma compagne, Magalie.» Mais cet habile alchimiste des saveurs ne s’est pas laissé abattre. Il a su rebondir. Il nous raconte sa renaissance avec une simplicité touchante dans la douce clarté de son tout nouvel atelier de breuvages, au Locle. D’une blancheur immaculée, le local ressemble plus à un laboratoire high-tech qu’à un simple lieu de travail. Quatre cuves en acier luisent, prêtes à brasser les prochains nectars, tandis qu’une embouteilleuse attend son heure. Deux éviers, impeccables, témoignent du souci du détail de Davide.
C’est en 2019, dans les Montagnes neuchâteloises, entre La Chaux-de-Fonds et Le Locle, au Crêt-du-Locle, qu’il commence à cultiver son art des saveurs et des liqueurs artisanales. Depuis, il élabore ses créations avec la même minutie qu’il déploie lorsqu’il se penche sur sa table d’ingénieur dans l’horlogerie, poste qu’il continue d’occuper à temps partiel.
Liqueurs avec cœur
Bien sûr, avec le soin et l’amour qu’il y a mis, ses liqueurs ont discrètement trouvé leur place sur le marché. Surtout son fameux limoncello aux citrons d’Italie, sa terre d’origine. «Ma première réussite! Mon best-seller!» déclare-t-il avec une modeste fierté.
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Dès le départ, sa famille – papa, maman, frère, sœur et divers proches – l’a soutenu dans cette aventure. «Nous avons passé des heures à éplucher ensemble les agrumes venus de la Péninsule, étant donné que le processus commence par les zestes. Et nous sommes partis en équipe cueillir les fruits rouges, comme les mûres, les framboises ou encore les fraises, dans le bas du canton de Neuchâtel.»
Car, au fil des années, l’offre de Cuore Di Limone s’est élargie au-delà du limoncello, son produit phare. Avant que la tempête ne dévaste La Chaux-de-Fonds, 3000 bouteilles de 5 dl par an étaient produites. Tout de suite après ce drame, Davide a voulu redonner vie à ses breuvages, si appréciés par ses clients. «Renouer avec ma passion était vital. Sans elle, je me sentirais incomplet, vide.»
Plutôt réservé de nature, il s’illumine dès qu’il évoque ses débuts dans les liqueurs. «Je suis tombé amoureux d’une paroi ornée de liqueurs aux couleurs chatoyantes dans une échoppe d’Ischia, perle de la côte amalfitaine, en Italie. J’avais 14 ans.» Il s’y était rendu pendant ses vacances d’été, avant de rejoindre sa «nonna» maternelle dans les Pouilles.
Il fut bouche bée quand, juste après le récit de son émerveillement, sa «nonna» lui révéla que son arrière-grand-mère fabriquait également des liqueurs… «Ça a été un déclic. Entre 18 et 20 ans, je me suis acharné à retrouver ses recettes. Car ma grand-mère n’avait que de vagues souvenirs des techniques de sa maman. Et après de multiples essais, j’ai finalement déniché le secret du limoncello, mon premier grand succès.»
C’est ainsi que Davide s’est lancé dans l’univers des liqueurs. Et il trépigne maintenant d’envie de placer ses créations en magasin et dans les restaurants. Même si les rafales de l’été dernier le font revenir de loin. Par chance, ni son amie, ni lui n’étaient à la maison lors du violent épisode météo qui a transformé le quartier où ils vivaient en champ de ruines, comme après une guerre. «Je bossais à Fontainemelon, à 9 kilomètres de là, raconte-t-il. Mon propriétaire m’a appelé en urgence au boulot, à 11h30, pour me signaler que le toit avait été arraché et que la grange pleine de stock au-dessus de mon atelier s’était envolée à 15 mètres. Je peinais à y croire. Où je bossais, il n’y avait pas un nuage, rien!»
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Tableau postapocalyptique
Sur la route, en rentrant chez lui, c’est le choc: «Des policiers et des pompiers partout. Des arbres par terre. Des entreprises éventrées, le temple sans clocher, un camion planté dans le cimetière, des tuiles éparpillées… Et le dernier bout, j’ai dû le faire à pied tellement c’était la désolation.»
Immédiatement, il a paré au plus pressé. «Une fois autorisé à entrer brièvement dans notre appartement délabré, j’ai récupéré nos documents, nos ordinateurs et quelques habits.» Il a rapidement compris que c’était peine perdue pour les bouteilles et les bouchons de ses liqueurs. «Plus rien n’était en état.»
Il fallait d’urgence dégoter un logis. «Au début, Magalie et moi avons trouvé refuge chez mes parents. Puis quelqu’un nous a mis sans tarder un appartement à disposition, au Locle. Une aubaine.»
Puis, pour ses liqueurs, il lui a fallu chercher des locaux, correspondant aux normes strictes d’hygiène et aux obligations légales. «La démarche n’a pas été facile. Les loyers des cuisines professionnelles et les locaux adaptés étaient trop chers pour moi, vu ce que je vends. Cela n’aurait pas été viable financièrement.»
Sans solution, à un moment donné, il a failli tout abandonner. «C’est alors que mes parents, qui me voyaient tourmenté, ont sacrifié la moitié de leur garage, où j’ai pu reprendre ma production. Je ne les remercierai jamais assez.»
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Oui, car l’adversité a soudé sa famille. En septembre 2023, son papa et lui ont mis à peine un mois pour créer dans le garage un espace flambant neuf pour Cuore Di Limone. Le 13 octobre, eurêka, Davide reçoit le feu vert du Service de la consommation et des affaires vétérinaires (SCAV).
Une fois le chantier terminé, son nouvel atelier de 25 m2 est un vrai bijou. «Il est même mieux que l’ancien!» Chaque coin est scrupuleusement rangé et organisé. En véritable horloger des liqueurs, hyper-méticuleux, Davide a tout prévu pour que la production soit au top: «Dix mille bouteilles par an en sortiront sans souci.»
Dans son malheur, il a aussi eu une chance incroyable. Sept mois avant la tempête, comme s’il avait eu une prémonition, il avait souscrit une assurance pour son entreprise en plein essor. «Après la catastrophe, l’assurance a réglé une partie des dégâts. Puis, pour couvrir le reste des frais, j’ai dû me retrousser les manches afin d’avoir des élixirs prêts pour Noël. Il était hors de question que je loupe cette période clé!»
Médailles d’or et reconnaissance
Et comme si le destin voulait vraiment le récompenser de son courage, de son refus d’abdiquer, il s’est vu remettre un prix prestigieux qui lui a mis du baume au cœur. «J’ai décroché une médaille d’or à DistiSuisse, le prestigieux concours national de spiritueux, pour mon limoncello que j’avais inscrit avant la tempête, informe Davide, des étoiles dans les yeux. Un véritable cadeau du ciel, quand on sait que, derrière, il y a notamment Agroscope, le centre de compétence de la Confédération dans le domaine de la recherche agronomique et agroalimentaire!»
Déjà en mars 2023, il avait gagné plusieurs médailles au concours international de Lyon, une compétition réputée pour son jury pointu. «Mes liqueurs à l’orange, au citron et à la mandarine ont, chacune, remporté l’or.»
Pleinement conscient que de telles reconnaissances sont des moteurs, le magicien des liqueurs a reparticipé, en mars, au Concours international des spiritueux de Lyon et il y a décroché d’autres médailles encore, «une médaille d’or pour ma liqueur de café et une d’argent pour mon limoncello»… Son plus grand rêve? «Voir Cuore Di Limone prospérer et devenir une entreprise familiale florissante. Tout simplement parce que, sans ma famille, je n’aurais pas pu aller de l’avant.»