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Reportage

Des stations de ski sans neige, mais avec des idées

Des prés verts au lieu de pistes blanches, des stations en basse et moyenne altitude obligées de se réinventer et de se montrer créatives: dans toute la Suisse, les températures extraordinairement clémentes de début janvier ont forcé les vacanciers à choisir d’autres activités, parfois insolites. Reportage en images.

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Le 6 janvier, Senna, un jeune Néerlandais en vacances aux Crosets (VS), préfère enlever ses lattes et les porter sur son épaule. Ce jour-là, environ un tiers seulement des pistes du domaine des Portes du Soleil sont ouvertes.

Le 6 janvier, Senna, un jeune Néerlandais en vacances aux Crosets (VS), préfère enlever ses lattes et les porter sur son épaule. Ce jour-là, environ un tiers seulement des pistes du domaine des Portes du Soleil sont ouvertes. 

GABRIEL MONNET
Marc David

Tout avait pourtant bien commencé. Début décembre, l’or blanc jonchait nos montagnes, les skis se laissaient volontiers farter dans l’espoir de vacances de Noël comme dans les films d’antan. Puis, dès le 20 décembre, un méchant redoux, accompagné de vagues de pluie, a tout englouti pendant une vingtaine de jours. Le phénomène se nomme «vortex polaire», il éloigne l’air froid de nos régions et laisse place à un air maritime, chaud et humide, qui afflue depuis l’Atlantique subtropical. Au-dessous de 2000 mètres, la Suisse s’est mise à verdir et les skieurs à fulminer.

La piste de Chaux Ronde, à Villars-sur-Ollon

A Villars-sur-Ollon (VD), le 4 janvier, la piste de Chaux Ronde, avec son sommet à 1987 m, n’est plus qu’une tranchée blanche dans un paysage brun-vert.

GABRIEL MONNET

Sur le terrain, cela s’est vu et entendu. Aux Crosets (VS), à 1668 m d’altitude, Senna, un jeune Néerlandais en vacances rencontré le 6 janvier, a préféré déchausser après avoir essayé tant bien que mal de skier sur les quelques mètres carrés de neige pourrie sous son chalet. «C’est la deuxième fois qu’on vient ici. Mais si c’est ainsi l’année prochaine, on ne reviendra plus…» 

Gryon

A Gryon (VD), les chiens de traîneau tirent désormais des «cani-karts» à roues, une activité qui s’arrête habituellement à l’arrivée de la neige. Les sensations de solitude dans la forêt sont aussi étonnantes.

GABRIEL MONNET

Catastrophe pour les stations de ski? Peut-être pas tant que cela. Responsable du marketing pour la région des Dents-du-Midi (Morgins, Les Crosets, Champoussin, Champéry), Benjamin Arvis-Maxit garde un certain sourire: «Bien sûr que nous aurions voulu avoir de la neige. Mais nous sommes plutôt contents, malgré tout.» Il assure que les annulations de réservations redoutées ne se sont pas produites et que les stations des Portes du Soleil étaient pleines de monde. Pour lui, «la mentalité a évolué. Même si les gens viennent d’abord pour skier, une partie de nos visiteurs a décidé qu’on pouvait faire autre chose que du ski pendant l’hiver.» Imaginer d’autres activités est ainsi devenu vital et le domaine valaisan ne s’en est pas privé. Le responsable évoque pêle-mêle fondues sauvages, mur de grimpe, curling, escape game, «fun park» gonflable, spectacles en extérieur et à l’intérieur... On a improvisé: faute de neige, l’activité de construction d’igloos s’est transformée en atelier trappeurs. Certes, la Coupe du monde de ski alpinisme à Morgins a dû être reportée, mais les spectacles ont eu un tel succès, notamment à Champéry, que les organisateurs ont presque été dépassés.

Télécabine du Roc d’Orsay

Faute de neige, cet adepte du ski sur roulettes s’est rabattu sur le bitume de la route qui serpente sous la télécabine du Roc d’Orsay (VD).

GABRIEL MONNET

Pareil dans les Alpes vaudoises, dans un mouvement de grand écart entre un lieu comme Château-d’Œx, qui mise sur l’après-ski, et Glacier 3000, où les skieurs ont afflué en altitude. Le responsable de projet Benoît Golay note que «les gens se font aussi plaisir d’une autre manière que le ski. Ce changement n’est pas seulement lié à la météo, c’est une demande du public.»

Le télésiège de Chaux Ronde, à Villars-sur-Ollon

Sur fond de sapins sans neige, les lattes aux pieds des skieurs paraissent anachroniques sur le télésiège de Chaux Ronde, à Villars-sur-Ollon.

GABRIEL MONNET

Anticiper et se réinventer

Plus on descendait en altitude, plus les différences se creusaient. Si les parkings étaient bondés à Crans ou à Verbier, les remonte-pentes étaient tous fermés plus bas, de la vallée de Joux aux Prés-d’Orvin, du Moléson aux Paccots. Alors place à la créativité et aux systèmes D. A Charmey, à 887 m d’altitude, le directeur général de TéléCharmey, Claude Gendre, a vu défiler les médias. Il a eu la riche idée d’organiser des matchs aux cartes dans la télécabine fort spacieuse. Au-delà de l’anecdote, il y a là une philosophie vitale pour les stations en basse et moyenne altitude: «Ceux qui se disent surpris de ne pas avoir de neige ont dû oublier de lire deux ou trois documents… lance-t-il. Notre rôle est d’anticiper, de créer de la valeur autour des infrastructures existantes. Vis-à-vis de la région, nous avons l’obligation de trouver des solutions.»

De gauche à droite Julie, Laurent, Jonas et Annick participent à un tournoi de cartes qui se deroule dans les telecabines de Telecharmey ce jeudi 5 janvier 2023 a Charmey. En raison des temperatures douces et du manque de neige, les stations de ski mettent en place des autres activités. Le manque de neige pousse les stations de ski à inventer de nouvelles activités.s

Le 5 janvier, la télécabine de Charmey (FR) sert de cadre original à un acharné match aux cartes: six manches à disputer pendant les dix-huit minutes du trajet, et cela quatre fois. «Nous avions même pensé à une disco, mais il y avait quelques soucis de sécurité...» sourit le directeur de TéléCharmey, Claude Gendre.

CYRIL ZINGARO POUR L'ILLUSTRE

Dans ces endroits, on se prépare à considérer le ski comme une activité secondaire. «Notre but est de le faire passer à ce stade le plus rapidement possible. Qu’on ne subisse pas le réchauffement climatique, mais qu’on crée des activités de belle saison qui vont compenser ce manque à gagner du ski.» Pour cela, il ne le cache pas, ici comme ailleurs, il faudra passer par une pléthore de mises à l’enquête et des solutions au niveau de l’aménagement du territoire. Le défi est aussi fort et peut-être tout aussi stimulant que de damer des pistes au ratrack.

Après les températures très clémentes et inhabituelles des dernières semaines de décembre, ce vendredi 6 janvier 2023 à Champéry dans la région des Dents du midi.

Le 6 janvier, à Champéry (VS), l’accompagnateur Cédric Cordonnier transforme l’activité igloos prévue en un atelier trappeurs, avec construction de cabanes.

GABRIEL MONNET

«La météo extrême devient une tendance»

L’analyse de Robert Bolognesi, nivologue valaisan

- Etes-vous étonné par cette météo douce en janvier?
- Robert Bolognesi: Le plus étonnant, c’est la pluie constante jusqu’à 2000 m. Au-dessus, l’enneigement est tout à fait correct. Cette limite nette crée une énorme différence entre les stations des Préalpes, par exemple, et les autres en altitude. Un tel contraste est rare. Cela dit, les périodes aussi exceptionnelles de manque de neige durent habituellement deux à trois semaines, pas davantage.

- Vraiment? Avec une météo souvent si extrême?
- C’est vrai: début décembre, il faisait -21°C à La Brévine; peu après, les températures étaient positives à 2000 m… On commence à dire que les accidents climatiques se répètent avec suffisamment de régularité pour qu’ils ne soient plus des accidents, mais plutôt une vraie tendance.

- Quel destin pour les stations de ski?
- Les stations de basse altitude continueront à bien travailler à condition de se diversifier. Je trouve cependant important que les petites stations ouvrent leur remontées mécaniques lorsque la neige est là et permettent ainsi aux enfants de leur région de skier. Ils sont les skieurs de demain.

- En tant qu’amoureux de la neige, êtes-vous touché?
- Oui, car je suis heureux quand elle est là. Je l’attends, elle est d’autant plus magique. L’hiver ne fait que commencer.

Par Marc David publié le 13 janvier 2023 - 08:57