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Irène Kälin: «A Berne, tout va trop lentement»

Présidente du Conseil national, la Verte Irène Kälin désespère parfois de la lenteur de la démocratie directe. Surtout quand il s’agit du changement climatique.

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Irène Kälin

Irène Kälin, 35 ans, dans la salle des pas perdus du Palais fédéral, à Berne. Elle est seulement la deuxième Verte à occuper la fonction de présidente du Conseil national.

Photo: Mirjam Kluka / Stylisme: Linda Leitner / Coiffure et maquillage: Tilia Novotny
Barbara Halter

- Irène Kälin, l’ex-président de l’UDC Albert Rösti s’est acheté un groupe électrogène pour l’hiver. Et vous, avez-vous installé des panneaux solaires sur votre balcon?
- Irène Kälin:
Ce serait magnifique, mais hélas pas autorisé, car notre maison fait partie d’un site protégé. Je m’inquiète bien sûr de l’approvisionnement en énergie pour l’hiver prochain, mais je ne veux pas céder à la panique. Si nous parvenons à économiser les 15% proposés par le Conseil fédéral, nous y arriverons. Je plaide pour le renforcement de l’esprit communautaire.

- Lors de votre élection, vous avez choisi comme devise la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. En tant qu’écologiste, le changement climatique n’aurait-il pas été plus évident?
- Je voulais une devise pour laquelle je puisse parler de ma propre expérience. Je vis au quotidien le grand écart entre famille, travail et politique. En ce qui concerne le changement climatique, nous en connaissons tous les défis, mais nous cherchons encore des solutions. Rétrospectivement, ma devise a été rapidement supplantée par la guerre en Ukraine, qui m’a bouleversée. J’ai vécu la conciliation en emmenant mon fils à des événements officiels, mais les questions de solidarité sont devenues beaucoup plus importantes. Avant, je savais tant bien que mal où se trouvait l’Ukraine; aujourd’hui, j’ai des amis là-bas.

- Votre fonction implique la neutralité au sein du Conseil. Vous réjouissez-vous de refaire de la politique?
- Oui, mais honnêtement, cela me manque moins que je ne l’aurais cru. La fonction est un bon exercice, qui permet de prendre un peu de recul par rapport à son propre parti et d’être présent pour tous les concitoyens, quelle que soit la couleur de leur parti.

- Après la pandémie, la guerre en Ukraine a suivi et maintenant une crise énergétique menace en hiver. Le thème de la protection du climat continue-t-il d’être occulté?
- Pas du tout. A court terme, il faudra faire des compromis, par exemple en remettant en service des centrales à charbon. Mais la guerre nous montre clairement nos manquements de ces dernières années dans le domaine des énergies renouvelables. Et comment nous n’avons pas réussi à réduire les importations de matières premières, par exemple de Russie. Nous voyons tous maintenant que la politique énergétique est aussi une politique de sécurité. «Les énergies renouvelables sont des énergies de liberté», dit même le chef du FDP allemand, Christian Lindner.

- Les revendications climatiques ont rarement trouvé des majorités. L’été caniculaire va-t-il changer la donne?
- A Berne, les choses avancent lentement, trop pour moi en tout cas. Cet été, ce ne sont pas seulement les paysans qui ont souffert, mais aussi les citadins.

- Quel est le bilan écologique du Palais fédéral?
- Nous sommes aussi appelés à économiser l’énergie et à apporter notre contribution. L’éclairage du palais a déjà été coupé et nous allons réduire le chauffage dans le bâtiment du parlement. Nous faisons la même chose que nous faisons tous chez nous: nous regardons ce qui est nécessaire et ce que nous pouvons économiser.

- En tant que conseillère nationale, vous avez demandé l’interdiction des sacs en plastique ou des règles plus strictes pour les propriétaires d’aquarium. Est-ce insignifiant par rapport à nos problèmes écologiques?
- Clairement. Il faut savoir deux choses: les interventions sont souvent liées à la commission dans laquelle on siège. De plus, les revendications vertes ambitieuses ne sont généralement pas susceptibles de réunir une majorité aux Chambres. Parfois, on n’avance vraiment qu’avec les «peanuts». Oui, c’est frustrant.

- Ce travail fastidieux est souvent avancé comme argument pour expliquer pourquoi les gens ne veulent pas faire de la politique. Et pour vous?
- Lorsque je venais d’entrer en politique, j’ai beaucoup souffert de cette lenteur. Mais j’étais également convaincue que trouver des compromis servait la cause. Aujourd’hui, je fais plutôt l’expérience que cet équilibre lent peut être un inconvénient dans des situations de crise comme la pandémie ou le changement climatique. C’est ce qui me préoccupe le plus, en plus de ma propre impatience.

Irène Kälin

«La crise énergétique ne rend pas la sortie du nucléaire moins actuelle», Irène Kälin.

Photo: Mirjam Kluka / Stylisme: Linda Leitner / Coiffure et maquillage: Tilia Novotny. Chemise en coton bio Skall Studio, chez makingthings.ch, jeans Armedangels, bottes privées, boucles d'oreilles dorées Atelier Té, chez karikari.ch

- La démocratie n’est donc pas adaptée pour lutter contre le changement climatique?
- Elle reste le meilleur des systèmes politiques. Mais l’inertie de la démocratie directe et notre prospérité forment une combinaison dangereuse dans ce cas. En Suisse, nous nous accroupissons à un endroit bienheureux de la planète pour ignorer le changement climatique.

- Pour les climatologues, des restrictions de notre mode de vie sont indispensables. Comment voyez-vous cela?
- Les restrictions doivent être socialement acceptables. Les pauvres ne doivent pas devenir plus pauvres et les riches doivent pouvoir continuer à tout s’offrir. Au lieu de restrictions, je serais déjà contente que les obstacles à la protection du climat soient supprimés. Par exemple, le fait que l’on n’autorise toujours pas les toits solaires au centre d’un village ou qu’il ne va toujours pas de soi que les nouvelles maisons et les nouveaux bâtiments doivent être au moins autonomes en énergie…

>> Lire aussi: Ecologie, ces Romands qui montrent l'exemple

- Renoncez-vous à quelque chose que vous aimeriez faire en faveur de l’environnement?
- Oui, j’aime bien prendre l’avion et voyager dans le monde entier. Pendant l’année de mon mandat, c’est un peu différent, mais sinon je vole le moins possible.

- En tant que consommatrice, quel est votre degré d’écologie?
- J’achète bio, local, de saison et peu de viande. Mais nous devons être conscients qu’en Suisse, peu importe à quel point on essaie de vivre de manière écologique, nous continuons à consommer beaucoup plus que ce à quoi nous avons droit. Notre mode de vie gaspille trop de ressources.

- En tant que Verts, êtes-vous regardés d’un œil plus critique au quotidien? Observe-t-on par exemple votre panier d’achat?
- Oui, et tout particulièrement quand on fait ses courses à la campagne. Je peux le comprendre dans une certaine mesure. Ceux qui prêchent l’eau doivent aussi boire de l’eau. Mais c’est désagréable, car il faut toujours faire des compromis. J’aime par exemple faire mes courses dans le magasin du village, même si beaucoup de choses n’y sont pas en qualité bio. Mais il serait étrange que je prenne ma voiture pour aller à la Migros la plus proche juste pour avoir des fraises bios.

- Vivre à la campagne est plus «vert», mais moins écologique qu’en ville. Comment voyez-vous cela?
- C’est clairement le cas. Lorsque j’habitais encore à Lenzbourg, personne dans notre ménage n’avait besoin d’une voiture. A la campagne, il faut faire des compromis à ce sujet et mieux s’organiser. En revanche, on a la nature à sa porte.

>> Lire aussi: Crise de l’énergie: et si c’était une chance? (éditorial)

- «J’étais une activiste du climat avant que ce mot n’existe», avez-vous déclaré. Comment militiez-vous pour l’environnement dans vos années d’adolescence?
- Au collège, j’étais très frustrée de voir que mes camarades ne réagissaient pas avec autant d’inquiétude que moi lorsqu’on abordait le réchauffement climatique en classe. Je suis alors devenue végétarienne, j’ai fait du vélo et j’ai pensé que je ne voudrais certainement jamais apprendre à conduire. Jusqu’à ce qu’on devienne adulte et plus pragmatique et qu’on apprenne qu’il faut faire certaines choses (rires)…

- Vous avez grandi à Lenzbourg, non loin des centrales nucléaires de Gösgen et de Beznau. Dans quelle mesure cela vous a-t-il politisée?
- Ce sont plutôt mes parents qui ont été politisés par le mouvement antinucléaire. Pour ma génération, il y avait surtout de l’incompréhension face au fait que l’on ait modernisé une très vieille centrale nucléaire comme Beznau à coups de millions.

- En ce moment, on est de nouveau content qu’il y ait encore des centrales nucléaires. Qu’en pensez-vous?
- Je ne suis pas d’accord. La crise énergétique ne rend pas la sortie du nucléaire moins actuelle. Les centrales nucléaires ne sont pas une solution d’avenir, ne serait-ce que parce qu’une partie de l’uranium provient de Maïak en Russie. L’électricité nucléaire n’a jamais été rentable par le passé et ne le sera pas non plus à l’avenir. Ce sont plutôt nos enfants et arrière-arrière-petits-enfants qui en paieront le prix.

- Quelle est l’épaisseur de la peau qu’une jeune femme verte doit se faire au Palais fédéral?
- Je dis toujours: une peau d’éléphant.

 
Par Barbara Halter publié le 8 octobre 2022 - 08:56