«Noël? Oh, c’est la meilleure période de l’année au château! Nous organisons des animations un peu partout en décembre et j’en suis chargé. J’aime qu’il y ait de la vie dans toutes les pièces, avec des activités artisanales, des odeurs différentes. Vous entrez dans la grande salle, ils sont en plein atelier cuisine et mijotent de petites aumônières aux pommes dans la cheminée. Vous passez dans une autre salle, ils fabriquent des bougies. Dans la cour, vous entendez les tintements de l’enclume du forgeron. Plus loin, dans les fortifications, résonnent des initiations au combat médiéval.
J’ai toujours été passionné d’histoire. Là où j’ai grandi, à Epalinges (VD), je jouais déjà aux chevaliers avec mon frère, en maniant des bouts de bois dans la forêt. J’aimais les Vikings, les Gaulois, les combats d’époque. Cette passion m’a suivi tout au long de ma vie et s’est continuée à l’université, où j’ai terminé un bachelor et un master en archéologie et histoire, jusqu’à me mener dans ce château. Après avoir répondu à une annonce pour des visites guidées à Chillon, j’ai reçu la bonne nouvelle de mon engagement le jour de mon anniversaire, le 31 mars, il y a six ans. C’est devenu ma deuxième maison; les collègues, c’est un peu ma famille.
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Même si j’étais plutôt épris de ce qui se passait quelques siècles auparavant, je me suis plongé dans tout ce qu’offre ce lieu, je l’ai redécouvert. J’ai même fait de la couture à la main pour me rendre compte de ce que cela représente. Pour un vêtement, j’ai pris du fil, des aiguilles. Il y a 15 pièces différentes, des parties bouffantes. La couture du XVe siècle, ce n’est pas évident… Mais c’est aussi ce que j’apprécie le plus dans ce métier de médiateur culturel: faire redécouvrir l’histoire, la sortir des livres, la rendre vivante et didactique. Lors des visites, j’aime aussi faire rire. Glisser du sentiment permet de faire retenir les informations. Une de mes histoires préférées? Celle de la potence suspendue dans les souterrains. Je dis d’abord qu’on y pendait les gens et qu’on les jetait à l’eau, tout le monde est bouleversé. Puis j’ajoute qu’on n’a retrouvé qu’un seul squelette, celui d’un chat… Je peux ainsi enchaîner en expliquant que cette potence n’était en réalité là que pour faire peur aux touristes. C’est une sorte de train fantôme, elle date de l’époque où il existait une fascination pour le morbide.
Les visites, je peux les faire en quatre langues. Chaque nationalité a son approche, c’est amusant, les questions ne sont pas les mêmes. Si les Espagnols, par exemple, aiment les symboles, les Américains apprécient en général les anecdotes, les récits spectaculaires. Ils adorent entendre qu’au Moyen Age on buvait 2 litres de vin par jour, enfants inclus. De mon côté, j’aime casser les clichés sur la façon de manger ou le manque d’hygiène. Quand on parle de la salle de bains, je précise toujours qu’on se baignait trois ou quatre fois par semaine. Cela dit, je ne crois pas être nostalgique du passé. Si vous demandez à un historien s’il aurait voulu vivre au Moyen Age, il répondra: «Surtout pas!»
On me questionne parfois sur le fantôme des lieux. Alors j’évoque la comtesse Yolande de Montferrat, la Dame Blanche, qui s’est mariée ici et y serait restée attachée. Je parle aussi d’un personnage oublié, Amédée V. Au XIVe siècle, il a contribué à agrandir le château, avec la grande tour de l’entrée. Ou je glisse l’histoire tragique de la comtesse Béatrice, seule enfant de Pierre II de Savoie; il a changé la loi de succession pour que le pouvoir ne passe pas par une femme…J’habite à dix minutes et je viens à vélo, c’est magnifique. J’ai de la peine à imaginer travailler un jour ailleurs. Chillon fera de toute façon toujours partie de moi.»
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