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La chasse aux sorcières fascine la Suisse en 2022

Que ce soit à travers un documentaire engagé, un podcast incarné, un projet photographique ou des randonnées thématiques, l’histoire suisse autour de la destinée de nos «sorcières» captive. Tour d’horizon.

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La chasse aux sorcières

Illustration du calvaire d’Anna Vögtlin, brûlée comme sorcière à Willisau (LU) en 1447 pour blasphème.

e-codices.unifr.ch
Jade Albasini

Est-ce un hasard du calendrier ou les retombées du livre de Mona Chollet «Sorcières: la puissance invaincue des femmes», sorti il y a quatre ans? Aujourd’hui, la figure de la sorcière est au centre de nombreuses initiatives historiques et culturelles, qui souhaitent la réhabiliter en Suisse. Il faut savoir que notre pays porte un lourd passif. Nous avons la palme du nombre de persécutions en Europe. Il y a eu dix fois plus de procès en sorcellerie sur notre territoire que chez nos voisins français. Du XVe au XVIIIe siècle, elles et ils seraient des milliers à avoir été accusés de porter la marque du diable ou de pratiquer le sabbat. Les personnes torturées étaient à 80% des femmes, mais des hommes ont aussi fini sur le bûcher. Des enfants font également partie des victimes.

En mars dernier, 360 procès numérisés en sorcellerie ont été mis en ligne par Rita Binz-Wohlhauser et Lionel Dorthe, collaborateurs aux Archives de l’Etat de Fribourg, pour comprendre les mécanismes discriminatoires derrière cette traque effroyable. Dans le Jura bernois, un recueil basé sur des documents privés sort également chez Mémoires d’Ici. A l’étranger, on réécrit enfin le passé. En Catalogne, le parlement a innocenté en janvier des centaines de «sorcières». L’Ecosse pourrait gracier plus de 3000 d’entre elles. Et à Salem, aux Etats-Unis, Elizabeth Johnson Jr vient d’être blanchie, 329 ans après sa condamnation à mort. En revanche, Catherine Repond (dite «La Catillon») à Fribourg, dernière sorcière brûlée en 1731 en Romandie, n’a toujours pas eu droit à sa réhabilitation.

La chasse aux sorcières

Voici des pierres attachées aux pieds lors de l’étirement, une forme de torture subie par Anna Göldi, dernière femme européenne exécutée pour sorcellerie en Suisse en 1782, à Glaris.

Steffen Schmid/Keystone

À voir

1. Visages des «sorcières» d’aujourd’hui
Avec «Sorcières», la photographe lausannoise Anne Voeffray a tiré le portrait d’une centaine d’hommes et de femmes qui, selon les standards de l’époque, auraient pu faire partie des victimes de la traque violente intentée au Moyen Age et à la Renaissance dans les hameaux romands.

«J’ai choisi de travailler avec une vision élargie de la notion de sorcière, c’est-à-dire d’avoir des guérisseuses mais aussi des personnalités militantes, des alternatifs, des gens au franc-parler», explique l’artiste, qui vient de présenter son projet au Musée Jenisch à Vevey avant de le montrer au Théâtre 2.21 à Lausanne ou encore à la Galerie Analix Forever à Genève. Une projection animée par Nicolas Wintsch accompagnée par le duo électronique Stade de Christophe Calpini et Pierre Audétat, où apparaissent notamment les visages de Marcela et Jean-Luc Bideau, Yvette Jaggi, Suzette Sandoz ou Christiane Brunner. Un livre composé par les portraits et les fiches des arrestations imaginaires de chaque sorcière sortira bientôt.

La chasse aux sorcières

«Sorcières» de la photographe lausannoise Anne Voeffray

DR

2. A l’écoute de la terreur
Avec son podcast «Au terrible temps des sorcières», Cyril Dépraz nous plonge d’abord dans les profondeurs d’une histoire jamais contée: celle de Claude Bernard, un enfant jugé pour sorcellerie et décapité à Fribourg en 1651. A l’époque, 10% des procès dans la région touchaient des mineurs. Comment est-on arrivé à cette terreur? Au fil des neuf épisodes, le journaliste nous entraîne dans un reportage sonore qui débute avec ce vagabond de 12 ans dont le rire a été perçu comme diabolique.

«Aujourd’hui, on y verrait un adolescent rebelle qui sourit nerveusement. Il tenait tête aux juges. Eux le poussent à des aveux inventés. Ils l’accusent d’avoir fait tomber de la grêle ou d’empoisonner d’autres enfants», raconte le journaliste lausannois. Philosophes et historiens croisent la route du narrateur, qui nous emmène dans plusieurs lieux de potences en Romandie. «On passe par le Belluard à Fribourg. Aujourd’hui, c’est un festival artistique mais, à l’époque, c’est ici qu’on exécutait les jeunes victimes en catimini.» Produit par la RTS, réalisé par Didier Rossat, le podcast sort le 19 juin sur toutes les plateformes audio.

La chasse aux sorcières

«Au terrible temps des sorcières» de Cyril Dépraz, un podcast qui nous plonge dans les profondeurs de l'histoire de Claude Bernard, un enfant jugé pour sorcellerie et décapité à Fribourg

DR

3. 250 ans de persécution à l’écran
«A mort la sorcière», par la réalisatrice Maria Nicollier et le journaliste Cyril Dépraz, est une révélation. Le documentaire retrace pour la première fois la tyrannie déployée contre celles et ceux pointés comme adorateurs de Satan en Suisse romande. Peints à la gouache dans la dramaturgie, les présumés sorciers viennent de tous les milieux sociaux: des marginaux, mais aussi des villageois dénoncés par un voisin en colère.

Les femmes précarisées, elles, ont été la cible privilégiée de cette persécution de masse.Rien que dans le canton de Vaud, 2000 victimes de tout profil sont recensées. Pendant une heure, les spécialistes de l’histoire de la chasse aux sorcières – Lionel Dorthe, Martine Ostorero, Michel Porret, Fabienne Taric et Kathrin Utz Tremp – nous dévoilent les répressions locales.

Le film, coproduit par la RTS, sera diffusé pour le grand public dans l’émission «Histoire vivante» le 19 juin à 21 h 45.

La chasse aux sorcières

"A mort la sorcière", un film de Maria Nicollier et Cyril Dépraz qui retrace la tyrannie déployée en Suisse romande contre celles et ceux pointés comme adorateurs de Satan

Maria Nicollier et Cyril Dᅢᄅp

À découvrir

Randonnées en leur mémoire
Virginie Thurre, accompagnatrice de montagne, fusionne les pèlerinages et notre curiosité concernant la destinée de plusieurs sorcières suisses. Depuis quelques étés, elle propose des explorations pédestres dans les lieux chargés par l’histoire de nos ancêtres accusées de pratiquer le sabbat. Suivons par exemple les traces de Trina et Nesa, deux Valaisannes condamnées au bûcher en 1466 dans la vallée de Conches.

Rendez-vous le 17 juillet prochain! «C’est une démarche émouvante, un rituel à la mémoire de ces femmes pour les réhabiliter», nous confie l’organisatrice. D’autres itinéraires en Gruyère permettent de montrer les nombreuses persécutions qui ont marqué des lieux aujourd’hui vantés pour leur beauté féerique, comme la forêt naturelle au pied des Sattels. Le 2 juillet, cette marche permettra de suivre la trajectoire de la sage-femme Apollonia Pfyffer-Sumi, surnommée la sorcière des Gastlosen.

>> Plus d’informations sur: https://echappees.ch/

La chasse aux sorcières

Découvrez la destinée de plusieurs sorcières suisses. Plus d’informations sur: https://echappees.ch/.

VIRGINIE THURRE

>> Lire aussi: Génération ésotérisme

Par Jade Albasini publié le 16 juin 2022 - 09:01