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Michelle Gisin, la joie retrouvée

Un été calamiteux suivi d’un hiver merveilleux: en 2021, Michelle Gisin était physiquement au plus bas, mais a décroché malgré tout sa deuxième médaille d’or olympique. Un «miracle» qui a fait de la championne polyvalente une nouvelle athlète. Et une nouvelle personne. Son analyse.

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Michelle Gisin

Des résultats dans le top 4 dans toutes les disciplines: les résultats de l’hiver dernier sont «presque absurdes» pour Michelle Gisin. Ils lui ont redonné le sourire et l’amour de son métier de skieuse.

Cyrill Matter
Iso Niedermann

27 avril 2022. Michelle Gisin, 28 ans, contemple ses chers sommets d’Engelberg (OW) et rayonne. Les deux dernières saisons ont transformé le talent bouillonnant en une reine du ski apaisée. Elle avait bouclé l’hiver 2020/21 à une brillante troisième place au général de la Coupe du monde. Puis c’est la dégringolade: en été 2021, elle souffre d’une mononucléose, peut à peine se lever de son lit pendant des mois et sa carrière est compromise. Le moral de la sportive de Suisse centrale, d’habitude si joyeuse, est au plus bas. La préparation s’annonce mal.

Mais l’hiver suivant, elle se classe de nouveau dans le top 4 dans toutes les disciplines. Cette résilience éclair se confirme aux Jeux de Pékin: 10e en slalom géant, 6e en slalom, le bronze en super-G et enfin – comme en 2018 à Pyeongchang – l’or en combiné. Comment cela a-t-il été possible? Peu après la fin de cette incroyable saison, nous avions rencontré Michelle pour un premier entretien sur sa montagne préférée, le Titlis.

Michelle Gisin

«Ma personnalité positive et joyeuse m’a aidée dans les moments difficiles», Michelle Gisin. 

Cyrill Matter

- Michelle Gisin, vous semblez plutôt fit et motivée. 
- Michelle Gisin: 
J’ai été très préservée à la fin de la saison et je me suis aussi ménagée en dehors des courses. Malgré un programme chargé avec des départs dans toutes les disciplines, j’ai terminé la saison en bonne forme. Après trois semaines de championnats suisses, d’entraînement physique puis de tests de skis, je suis partie dix jours dans les Pouilles me reposer et faire du yoga. Et me voilà de nouveau à l’entraînement de ski à Engelberg.

- Vous ne vous êtes jamais dit: «C’est le moment de remiser les skis maintenant»?
- Non, je préfère continuer trop longtemps plutôt que d’arrêter trop tôt. Plus je mûris, plus j’apprécie d’être un peu plus chez moi au printemps. Que ce soit dans ma chambre à l’«Hôtel Mama» à Engelberg ou dans notre maison avec Luca au lac de Garde. Seul bémol, je suis de moins en moins motivée pour aller sur le glacier en plein été. Notamment en raison de préoccupations écologiques. Le glacier fond sous tes skis, et je me demande parfois ce que je fais ici.

- En prenant en compte les aléas de l’été 2021, était-ce votre meilleure saison?
- D’un point de vue purement statistique, c’est plutôt l’hiver 2020/21, mon meilleur résultat d’ensemble. Mais au début de la saison dernière, je n’avais aucune attente, j’étais juste heureuse de pouvoir m’aligner. En fait, ma troisième place au général en 2020/21 m’avait persuadée d’en vouloir toujours plus, de pousser à fond. Et ça s’est mal terminé. D’abord le covid m’a freinée, puis j’ai contracté une mononucléose infectieuse. A partir de là, tout allait mal. Fini, terminé, arrêt d’urgence! Après cet été maudit, je pensais n’avoir plus aucune chance de faire partie des meilleures dans toutes les disciplines. Je me suis donc concentrée sur les Jeux olympiques. Et soudain, tout s’est déroulé beaucoup, beaucoup mieux que prévu. Un résultat dans le top 4 dans chaque discipline, ce que je n’avais jamais réussi à faire auparavant. Et puis les succès olympiques. Quand je me repasse le film de ces douze derniers mois, ma cinquième place au classement général de la Coupe du monde cet hiver et ces deux médailles olympiques sont presque absurdes!

- Et tout cela avec zéro réserve d’énergie!
- Oui, ce qui était un énorme challenge. Jusqu’au début de décembre 2021, nous parlions encore de «statut de blessée». A Killington, aux Etats-Unis, je me sentais encore très mal. Le voyage était déjà un défi en soi. J’ai beaucoup souffert du décalage horaire, chose inédite pour moi. Mais j’ai pu me préparer de manière ciblée aux Jeux olympiques et au changement d’heure. Notamment en me levant à 5 heures du matin et en allant faire du ski de fond à Engelberg avec ma lampe frontale. 

- Quelles ont été les conséquences psychologiques de la mononucléose infectieuse? Camille Rast avait sombré dans une profonde dépression il y a quelques années à cause de la maladie de Pfeiffer.
- Chez beaucoup de gens, cette maladie frappe le psychisme, et moi aussi, j’ai eu des moments difficiles, des émotions bizarres et fortes, sans raison. Mais je suis heureusement très bien entourée. Et à mon âge, on a déjà un peu plus les deux pieds sur terre. Pour Camille, c’était beaucoup plus difficile, car elle était très jeune. Et ce qui m’a aussi aidée, c’est que je suis une personne fondamentalement positive et joyeuse.

- Quel est maintenant le mélange de sentiments avec du recul sur cette période de préparation calamiteuse suivie d’une saison fantastique?
- Je suis surtout heureuse de n’avoir plus eu de problèmes à surmonter. Et je suis très reconnaissante envers les personnes qui m’ont aidée. Maintenant, je me réjouis de dormir… (rires). Et de profiter des jours d’entraînement à skis qui me restent.

- N’avez-vous vraiment jamais été dégoûtée du ski?
- Si! Comme je l’ai dit, lorsque je dois aller sur le glacier en plein été. Il nous arrive de nous lever à 4 heures du matin pour être en avance au sommet. Ce n’est pas drôle. L’entraînement sur glacier est fatigant et demande beaucoup d’organisation, donc de l’énergie. Sinon, j’aime toujours skier, toujours! Et cette année, j’avais très envie de skier au printemps, parce que j’avais l'impression de ne pas m’être entraînée correctement depuis un an.

- Vous avez changé de marque de skis de manière inattendue, passant de Rossignol à Salomon. Un nouveau départ? La fin d’une période difficile?
- Oui… Non… Que puis-je dire… Salomon s’intéressait à moi depuis longtemps. En fait, j’avais toujours pensé que je resterais chez Rossignol. Mais les offres de Salomon m’ont fait espérer que ce serait une motivation supplémentaire, l’occasion aussi d’explorer de toutes nouvelles voies.

- Mais c’est aussi une prise de risque.
- Bien sûr. Tout comme cela peut être une chance énorme. C’est du 50/50.

Michelle Gisin

Michelle Gisin au sommet du Titlis (OW). Quand elle repense aux événements de l’année passée, elle ressent «une immense joie de pouvoir se retrouver devant le portillon de départ».

Cyrill Matter

4 octobre 2022. Deuxième rencontre de l’année. Dans deux mois, Michelle aura 29 ans. Dans le ski suisse, elle a longtemps été la petite sœur de Dominique et Marc. La cadette d’une famille d’Engelberg folle de ski. Mais tout a changé depuis que Michelle représente seule le label Gisin en Coupe du monde. Et elle est la seule membre actuelle de Swiss-Ski à avoir remporté deux médailles olympiques. En dix ans de Coupe du monde, depuis ses débuts en 2012, elle n’a certes remporté qu’une seule course, le slalom de Semmering en 2020. Mais ses 19 podiums sur toutes les disciplines compensent ce déficit de victoires. Et elle est l’une des dernières vraies skieuses polyvalentes du monde du ski.

- Près de six mois se sont écoulés depuis notre dernière entrevue. Qu’est-ce qui a changé au cours de ces six derniers mois?
- Je vais tous les jours un peu mieux, ce qui signifie que je ne suis pas encore à 100%. Mais globalement, je suis de nouveau très, très haut sur le plan physique. Il faut des situations extrêmes pour que ce passé récent me rattrape. La maladie évolue par vagues. Je trouve important de témoigner, car il y a beaucoup de gens qui luttent pendant des années contre les conséquences de la maladie de Pfeiffer. 

- Vos performances bien au-delà des attentes ne risquent-elles pas de vous mettre de nouveau sous pression?
- Non, je ne le pense pas. Avant l’hiver dernier, ce qui était important pour moi, c’était de retrouver le plaisir de skier, de pouvoir participer à la compétition. C’est exactement ce que je veux aujourd’hui aussi.

- Avez-vous perdu certaines certitudes quant à vos capacités?
- Toutes! Mon ski était comme un château de cartes dont l’étage inférieur avait été soufflé. J’ai dû le reconstruire à partir du bas. Mais je l’ai fait de manière plus stable.

Michelle Gisin

Lors des deux premières courses (deux slaloms) de cette saison 2022/23, Michelle Gisin a été éliminée de la première et a fini 16e de la seconde.

Cyrill Matter

- Ces problèmes ont-ils fait de vous une skieuse plus égoïste?
- Pas forcément plus égoïste, mais je me pose clairement plus de questions aujourd’hui qu’avant. Cela peut être fatigant pour les entraîneurs.

- Rétrospectivement, on se demande quelles sont les causes de la mononucléose infectieuse. Sont-elles liées à des erreurs commises auparavant?
- C’est même probable. J’ai épuisé mon corps. Et j’ai donc probablement réactivé le virus, après qu’un test sanguin effectué à l’âge de 16 ans avait montré que j’avais déjà eu la maladie de Pfeiffer par le passé, mais sans manifestation grave, comme c’est souvent le cas chez les gens de cet âge. Mon corps a tiré le frein à main il y a un an, après des entraînements très exigeants au printemps. J’avais préparé le terrain au virus. 

- Vous êtes maintenant une autre athlète et une autre personne?
- C’est certain! Une histoire pareille te transforme. Tu te retrouves face à toi-même pendant la maladie. Regarder la télévision ou lire sont déjà trop fatigants. Se distraire avec le téléphone portable et les médias sociaux n’est plus possible. Je ne pouvais guère que me promener.

- Votre compagnon Luca de Aliprandini est aussi un skieur de haut niveau. C’était un soutien?
- Nous sommes très différents en période de récupération. J’ai toujours quelque chose à faire. Luca, lui, est capable de ne rien faire et de se reposer. Au début, c’était déstabilisant pour moi. Durant cette période difficile, Luca a très bien su gérer la situation en prenant les choses au jour le jour. Grâce à lui, j’ai retrouvé plus de calme au quotidien, j’ai appris à dormir un peu plus et à mieux me reposer.

- Et qu’attend la nouvelle Michelle de cet hiver 2022/23?
- Très honnêtement, je n’ai aucune attente précise pour cette saison. Mon plus grand souhait est d’être au départ de chaque course avec autant de plaisir que l’hiver dernier.

- Si vous deviez vous arrêter aujourd’hui, vous considéreriez que votre carrière a été pleinement réussie?
- J’avais à l’esprit l’éventualité de la retraite sportive l’année passée. Eh bien oui, je trouve que ma carrière de skieuse est d’ores et déjà une réussite! 

Par Iso Niedermann publié le 3 décembre 2022 - 10:50