On ne peut s’empêcher d’avoir un petit frisson en observant à travers une vitre d’une étanchéité à toute épreuve l’intérieur de ce laboratoire de sécurité de niveau P4 et, surtout, cette porte derrière laquelle sont stockés les bactéries et les virus les plus dangereux du monde. Comme les virus Marburg ou Ebola, entraînant une fois sur deux la mort des personnes contaminées, victimes de fièvres hémorragiques…
Dans cette bibliothèque de fléaux, il y a aussi le virus de l’anthrax (maladie du charbon) ainsi que, bien évidemment, c’est d’actualité, la famille des coronavirus et de leurs variants. Tout à l’heure, le biologiste qui va manipuler pipettes et boîtes de Petri dans ce labo portera une tenue elle aussi ultra-sécurisée avec une alimentation en oxygène extérieur. Et ne restera pas plus de trois à quatre heures à l’intérieur, toujours en présence d’un autre collègue, sous la surveillance également d’une personne dans la salle de contrôle et l’obligation que deux collaborateurs soient présents dans le bâtiment principal.
Nous sommes au laboratoire de Spiez (BE), à quelques centaines de mètres d’un paysage de carte postale avec un lac alpin très prisé des touristes et des moutons qui broutent sans imaginer que ce quadrilatère de béton qui peut résister à un tremblement de terre vient d’être désigné BioHub: la Suisse a signé en juillet dernier avec l’OMS un accord faisant de Spiez une bibliothèque unique en son genre abritant tous les virus qui peuvent causer des pandémies.
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Une grande première, note Andreas Bucher, porte-parole de cette institution créée au lendemain la Première Guerre mondiale et qui dépend de l’Office fédéral de la protection de la population: «Nous étions déjà une biobanque pour la Suisse; désormais, on le sera pour le monde entier.» Le BioHub facilitera les échanges d’informations vu que chaque labo P4 (une cinquantaine dans le monde) travaillait auparavant de son côté et ne pouvait échanger avec Spiez que de manière bilatérale au terme de procédures administratives lourdes. «Les virus seront cultivés et analysés à Spiez dans le but de pouvoir mieux prévenir et combattre les pandémies futures», relève encore Andreas Bucher. Inutile de dire que, ici, on ne fait que dans l’ultra-dangereux «et pas dans la grippe».
Le choix de Spiez pour devenir un BioHub mondial est une fierté qui rejaillit sur la centaine de scientifiques et de laborantins qui travaillent ici et sont formés dans divers domaines comme la physique, la chimie ou la biologie. Certes, la proximité du labo avec le siège de l’OMS a également joué un rôle. Mais ce centre de compétence helvétique est aussi mandaté depuis des années par l’ONU, par des Etats ou par des organisations internationales comme le CICR pour des missions spéciales.
Sans nous, «le monde serait un petit peu plus dangereux qu’il ne l’est actuellement», lit-on dans le dernier rapport annuel de l’institution. C’est vrai. Le labo est sollicité sur toute la planète lors de crises importantes. En 2011 après la catastrophe nucléaire de Fukushima, en 2013 après les bombardements chimiques en Syrie… C’est d’ailleurs à Spiez qu’on a certifié, sur mandat de l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques, que les forces de Bachar el-Assad avaient utilisé du gaz sarin contre la population.
Ici encore qu’on étudie les effets des nouveaux vaccins contre le virus Ebola. Le labo fut aussi l’un des premiers à détecter, grâce au traçage permanent des radionucléides dans l’atmosphère, l’accident de la centrale de Tchernobyl. C’est dans un des deux labos P4 qu’on a analysé les particules du Novitchok récupérées au domicile de l’espion russe Sergueï Skripal, qui a survécu avec sa fille à une tentative d’empoisonnement par cet agent neurotoxique. Plus récemment encore, la mission pour déterminer si des résidus nucléaires subsistent dans les îles Marshall après les essais d’armes nucléaires menés par les Américains dans les années 1950. Oui, il y a eu contamination radioactive d’écosystèmes marins et terrestres vierges dans les deux îles isolées de Bokak et de Bikar.
Mais c’est bien sûr le virus du covid qui a occupé vingt-quatre heures sur vingt-quatre les biologistes depuis le début de la pandémie, assure Isabel Hunger-Glaser, cheffe de la division biologique. On ne le sait pas forcément, mais c’est à Spiez qu’a été mis au point le premier test diagnostic du SARS-CoV-2 pour la Suisse en février 2020. Ici aussi qu’on a analysé le sang des conseillers fédéraux par souci de confidentialité par rapport à un labo plus traditionnel. Même si Spiez ne travaille pas pour l’industrie, les études menées ici peuvent déboucher à plus long terme sur la production de médicaments et intéressent aussi de ce fait les big pharmas.
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Autre enjeu important, un partenariat avec le CHUV mais aussi avec la Fondation Bill et Melinda Gates pour des études concernant la recherche de molécules capables de neutraliser le virus du Covid-19. «Deux substances synthétiques prometteuses ont été trouvées», indique la responsable de la division. Mais le processus est encore long puisqu’il doit passer par les phases de tests sur les animaux puis sur l’être humain.
Pourra-t-on un jour éradiquer totalement ce Covid-19 et ses variants qui ont causé des millions de morts et une crise économique et libertaire planétaire? Difficile pour la scientifique de jouer les devins, les virus changeant tout le temps. La biologiste ne pense pas qu’on puisse totalement éradiquer le virus du covid puisqu’il passe aussi par les animaux, mais une des hypothèses est qu’il pourrait devenir à l’avenir moins virulent. En attendant, elle et son équipe continuent à œuvrer pour la protection de la population. D’autant plus que, avec ce nouveau statut de BioHub, ce petit coin bucolique du canton de Berne va jouer un rôle de plus en plus important au niveau mondial dans la prévention de futures épidémies.