Adieu radios et hit-parades qui rythmaient les tendances musicales de l’époque, et place aux plateformes de streaming. Sur Spotify, il est facile et public de voir quels artistes réalisent des chiffres d’écoute affolants et ce sont parfois les mêmes qui figurent à l’affiche des concerts et festivals. Les programmateurs, qui jonglent déjà entre la barrière de la langue et les habitudes d’écoute différentes de part et d’autre du Röstigraben, se basent-ils sur ces chiffres pour prédire leur succès en salle?
“Cet outil incroyable est à prendre avec des pincettes”, explique Sébastien Vuignier, directeur de l’agence Takk, qui reconnaît que c’est le nombre de billets vendus qui prime lorsqu’on organise un concert, et que la popularité d’un artiste sur Spotify peut alors assurer le succès d’une salle remplie. Mais attention, selon lui, cette technologie n’est pas toujours infaillible. “Les chiffres ne parlent pas toujours, on peut programmer un artiste qui fait des millions de vues sur YouTube ou d’écoutes sur Spotify et enregistrer 30 entrées”, confirme d’expérience Sylvain Maradan, qui a travaillé en tant que programmateur au festival Les Georges.
Ce n’est alors pas seulement le clic qui compte, mais aussi les tendances du moment alimentées par les artistes sur les réseaux sociaux ou dans les médias. C’est désormais TikTok qui fait en grande partie la loi sur les chiffres musicaux. En utilisant un extrait de quelques secondes d’un titre, on peut le rendre populaire et faire exploser son nombre d’écoutes sur les plateformes de streaming. “Il y a forcément un côté très tributaire de l’actualité; lorsqu’un artiste sort un album ou un single, il aura aussi forcément plus d’écoutes”, poursuit Sébastien Vuignier. En effet, ces chiffres se manifestent en nombre d’auditeurs, c’est-à-dire en nombre de personnes, comptabilisés sur le mois. Les statistiques peuvent alors fluctuer d’une période à une autre. Un exemple flagrant: celui du Fribourgeois Gjon’s Tears, récemment arrivé jusqu’en finale de l’Eurovision et qui se hisse en tête du classement des artistes romands les plus écoutés. S’y trouvera-t-il toujours dans quelques mois? “Il serait intéressant de réaliser des observations sur le long terme”, poursuit l’expert, qui compare les plateformes de streaming à l’ancien classement des radios qui se renouvelait en permanence.
Autre phénomène éphémère cette fois bien propre à Spotify, les playlists qui regroupent les titres en vogue en fonction du style musical. “Si un titre est inclus dans une playlist, les chiffres d’auditeurs mensuels peuvent monter très fortement mais peuvent aussi rechuter”, alerte l’ancien programmateur. Mais, globalement, ces playlists permettent à des inconnus d’être révélés au grand public tout en touchant diverses parties du monde. Le jeune artiste nyonnais Chelan, qui comptabilise environ 70 000 écoutes par mois sur Spotify, a vu sa chanson "5 a.m." ajoutée à la sélection “Acoustic Soul”, faisant de ce titre le plus écouté de son profil (avec 616 000 écoutes). Idem pour Bertholet, un beatmaker qui produit de la musique électronique atteignant les 10 millions d’écoutes pour un seul titre sur son compte Spotify, et qui a également créé sa propre playlist, qui dépasse les 4 millions d’écoutes.
Ces nouveaux modes de diffusion permettent de propulser de jeunes artistes émergents en haut des classements sur les plateformes tout en les laissant souvent inconnus du grand public. Car il est aussi important d’identifier le nom du musicien. Mais les artistes sont-ils tous réellement bons en live ? Liza Mazur, du label zurichois Starter Gang insiste sur le fait que, dans l’industrie musicale actuelle, les seuls revenus réels d’un artiste sont générés par les concerts. Selon une étude réalisée par l’organisation belge Aepo-Artis en 2020, 90% des artistes touchent moins de 1000 francs par an avec leur nombre d’écoutes sur Spotify, car la plateforme ne garantit qu’environ 0,004 francs par écoute générée, selon le site Digital Music News. Gare alors aux chiffres délirants sur ces plateformes, qui ne garantissent pas toujours une carrière confirmée.
Et c’est là que l’écart entre les générations se creuse: alors que les fans de groupes ayant connu le succès avant les années 2000 achetaient des disques, les amateurs de Vendredi sur Mer, par exemple, l’écoutent sur YouTube ou Spotify. “Si on prend des groupes comme Krokus, qui vendait énormément de billets de concert en Suisse, on peut dire qu’ils avaient un immense succès, mais qui ne se traduit pas sur les plateformes aujourd’hui, car le public est plutôt cinquantenaire”, constate Sébastien Vuignier. Pareil pour The Young Gods, “des artistes suisses de référence, dont on ne peut pas baser le succès sur leur nombre d’écoutes sur Spotify”, juge Sylvain Maradan, en voyant les 14 000 écoutes mensuelles que les Genevois réalisent. Le public et les groupes des générations 1970, 1980 ou 1990 ont alors parfois du mal à se renouveler sur les plateformes contemporaines, mais certains se conservent aussi très bien. “En somme, ce qui compte, c’est la consistance. Plus l’artiste publiera du contenu sur les plateformes en planifiant le tout, plus il interagira avec son audience et donc pourra espérer avoir de gros chiffres; c’est la nouvelle règle qu’impose le digital, conclut Liza Mazur. Et même si ce n’est pas systématique, la croissance d’un artiste peut toujours se faire de manière organique, comme son nombre d’écoutes sur Spotify”, mais cela prend du temps
Les artistes suisses-romands les plus écoutés
Gjon's Tears - 2 millions d'écoutes par mois
Celui qui nous a fait vibrer en finale de l'Eurovision!
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>> Gjon's Tears emmène la Suisse sur le podium de l'Eurovision
Kadebostany - 969 865 écoutes par mois
Le projet du lausannois Guillaume Bozonnet qui a dépassé les 30 millions de vues sur YouTube avec le tube Castle in the Snow en 2014.
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Yves Larock - 786 231 écoutes par mois
Le Dj neuchâtelois qui a travaillé avec Bob Sinclar, a cartonné avec le titre Rise Up en 2007 (comptabilisant 178 millions de vues sur YouTube).
Charles Dutoit - 754 299 écoutes par mois
Chef d'orchestre lausannois, il a été directeur musical de l'orchestre symphonique de Montréal et de l'Orchestre national de France.
Son morceau le plus écouté sur Spotify:
Vendredi sur mer - 575 472 écoutes par mois
La Genevoise expatriée à Paris amoureuse de la chanson française (4,9 millions de vues sur YouTube sur son clip Ecoute Chérie.
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Stephan Eicher - 351 000 écoutes par mois
L'artiste Suisse Allemand d'origine yéniche s'est fait connaître en France puis à l'internationale, tout en chantant en plusieurs langues dont l'allemand et le français.
Arma Jackson - 279 000 écoutes par mois
Le rappeur lausannois, lauréat d'un Swiss Music Awards vient de sortir son premier album en juin 2021. Il est programmé au Montreux Jazz cette année!
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Di-Meh - 240 000 écoutes par mois
Le membre du trio SuperWak Clique vient de sortir son premier album « Mek+oub » sorti le 14 mai.
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Muddy Monk - 231 000 écoutes par mois
Le fribourgeois au style rétro qui est très connu en France et en Belgique.