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Lesbiennes, la révolution

Comptes Instagram, essais, podcasts… de plus en plus de femmes invitent à mieux connaître la culture lesbienne et racontent comment elles ont pris conscience qu’elles l’étaient. Un cheminement qui peut parfois prendre du temps, en raison d’un manque de représentations historiques et d’une longue tradition d’invisibilisation et de mépris de la sexualité féminine. Bienvenue dans le monde des «coming in» lesbiens, où chaque parcours reste unique.

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Lesbienne

De plus en plus de femmes invitent à mieux connaître la culture lesbienne et racontent comment elles ont pris conscience qu’elles l’étaient. 

Amina Belkasmi

«Nul tourbillon irrésistible ne m’a entraînée. Je n’ai même pas eu de prédestination rétrospective – enfant, rien ne me poussait vers les autres filles, et encore moins vers les activités dites «de garçon», contrairement au cliché sexiste qui voudrait voir en chaque lesbienne un ancien «garçon manqué» […]. Et pourtant, aujourd’hui, je suis devenue gouine. J’ai tracé mon chemin, à pas de louveteau et à tâtons», écrit Louise Morel dans «Comment devenir lesbienne en dix étapes» (Ed. Hors d’atteinte), un essai flamboyant sur le lesbianisme à paraître le 5 mai. Avec pédagogie, l’essayiste raconte son vécu, «devenue lesbienne à presque 30 ans», et pourquoi nombre de femmes suivent le même chemin tardif, avant de vivre dans la joie leur orientation sexuelle et affective.

Louise Morel a d’ailleurs pensé son ouvrage comme un manuel de survie, ou plutôt, comme elle dit: «Un guide pour sortir de la survie. Parce que je crois que beaucoup de femmes se rendent compte que l’hétérosexualité n’est peut-être pas super-épanouissante, mais se disent que si elles avaient dû être lesbiennes, elles l’auraient su tôt, alors que des femmes le deviennent à tous les âges. Et je voulais normaliser ce parcours pour celles qui l’ont vécu, et ouvrir des horizons de questionnement. Le lesbianisme quand on a 30, 40 ou 50 ans peut faire peur, c’est l’inconnu. Le but du livre est donc de donner des repères, pour encourager plus de femmes.» Journalistes à la RTS et en couple à la ville, Aurélie Cuttat et Christine Gonzalez ont elles aussi décidé d’offrir un podcast didactique: «Voyage au Gouinistan». Dix épisodes passionnants et sensibles, entre confidences personnelles, témoignages de terrain et culture lesbienne.

>> Lire aussi: Aurélie Cuttat et Christine Gonzalez; «On fait plein de petits coming out tous les jours»

«On voulait s’adresser au plus grand nombre et fournir un objet de communication à toutes les personnes qui ne comprennent pas, ou n’ont pas toutes les cartes en main. Et après un mois de diffusion, les audiences sont très encourageantes, s’enthousiasme Christine Gonzalez. Une jeune fille nous a écrit pour dire qu’elle l’avait fait écouter à son père afin qu’il la comprenne mieux. Un père a envoyé un message pour dire que sa fille est peut-être lesbienne, qu’il n’en est pas sûr, mais se prépare avec le podcast. C’est hyper touchant. Nous avons aussi reçu des messages de femmes quadragénaires, en couple hétérosexuel, qui s’interrogent.»

Dès le premier épisode, intitulé «Les placards défoncés», les journalistes racontent comme le processus peut être long, «très long, parfois hyper long», avec une première étape, «s’en rendre compte soi-même». Ce qu’on appelle le «coming in». Car dans un monde où les fillettes restent biberonnées au mythe du prince charmant toujours prêt à embarquer pour la vie de château, rien ne facilite la prise de conscience. Dans son livre, Louise Morel évoque d’ailleurs la «contrainte à l’hétérosexualité» – théorisée par Adrienne Rich, célèbre intellectuelle lesbienne de la première moitié du XXe siècle – qui pèse sur les femmes, tel un rouleau compresseur: «Eduquées dans des sociétés patriarcales, nous ne sommes tellement pas les sujets de notre propre désir, et nous sommes tellement installées dans un système où ce qui est censé nous exciter d’un point de vue sexuel, mais aussi nous donner notre valeur d’un point de vue social, est le désir des hommes, que se reconnecter à sa puissance désirante peut prendre du temps. Le patriarcat maintient les femmes dans une dépendance affective et intime qui est parfois difficile à dénouer», nous dit-elle.

Quitter le boulevard de la norme hétérosexuelle est également plus contraignant du côté des femmes, affirme Ilana Eloit, sociologue, enseignante, chercheuse à l’Université de Lausanne et spécialiste des études de genre et de sexualité: «Elles ont beaucoup plus à perdre que les hommes quand elles sortent de l’hétérosexualité, du fait de leur condition. Ne serait-ce que parce que les femmes gagnent moins que les hommes et que les enjeux économiques font qu’il est souvent plus difficile de vivre sans homme lorsqu’on est une femme.»

Christine Gonzalez, aujourd’hui âgée de 42 ans, a elle-même vécu dix ans avec un homme avant de faire son coming in. «J’avais des parents très ouverts, qui avaient des copines lesbiennes à la maison, je ne pouvais pas me sentir menacée par un quelconque rejet, et pourtant, j’ai perdu quinze ans à m’empêcher de vivre mes désirs. Et je me suis beaucoup interrogée, souffle-t-elle. Je venais de Fribourg, qui, à l’époque, n’était pas la même ville qu’aujourd’hui, avec ses soirées, ses festivals et ses librairies queers. Dans le Fribourg que j’ai connu, il n’y avait pas de bar LGBT, et ce que je ressentais était inquestionnable à ce moment-là. Ma vie, mes potes étaient hétérosexuels. Nous étions entre couples où les filles parlaient des garçons, et les garçons des filles. C’était très binaire. Et puis je suis allée dans mes premières soirées où j’ai vu des hommes s’embrasser, des femmes s’embrasser, et ça a tout changé. C’est pour cela que je suis très animée par cette volonté de visibilité. La visibilité, ça change tout.»

Car l’invisibilisation des lesbiennes a longtemps été une constante, comme le rappelle Thierry Delessert, docteur en sciences politiques à l’Université de Lausanne et spécialiste de l’histoire homosexuelle en Suisse: «Historiquement, le lesbianisme a toujours été sous-thématisé, car la sexualité lesbienne suit la sexualité féminine en général, c’est-à-dire qu’elle est sous-estimée jusqu’à l’apparition du MLF (Mouvement de libération des femmes), dans les années 1970. Mais durant ces années, même le MLF a pensé la sexualité dans le cadre de l’hétérosexualité, faisant subir aux lesbiennes un double phénomène d’invisibilisation. A l’époque, d’ailleurs, les lesbiennes font vite scission.»

A ce jour, les œuvres et icônes lesbiennes restent largement méconnues du grand public, alors qu’il existe une pensée foisonnante, comme l’a découvert Louise Morel sur le tard: «Il faut vraiment se méfier des discours qui disent: «Enfin, le lesbianisme sort du secret!» Il y a toujours eu plein d’efforts des lesbiennes pour parler de leur parcours, et des pionnières dès le milieu du XXe siècle, et des vagues d’ouverture. Il y a vingt ans déjà, avec l’arrivée de la série télé The L Word, des articles s’extasiaient sur une nouvelle visibilisation. Et on oublie successivement toutes ces vagues, car il y a un travail efficace du patriarcat pour effacer tous les discours préalables.» Ce que confirme la sociologue Ilana Eloit: «Ce ne sont pas les lesbiennes qui se sont invisibilisées. Elles l’ont été par les représentations culturelles. Et même politiquement, on parle très rarement de lesbianisme dans les discours. En général, il est toujours question d’homosexualité.»

Ce qui a changé? Le renouveau féministe, selon la chercheuse: «Il se passe quelque chose, et même à l’université, il y a de plus en plus de recherches sur cette question-là. Je pense que cette nouvelle visibilité lesbienne est indissociable de la vague du féminisme autour de «#MeToo», qui a permis une problématisation des rapports de domination des hommes sur les femmes. A partir du moment où l’on considère ces dominations sexistes et sexuelles comme étant des dominations structurelles, la question du lesbianisme émerge forcément.

Aujourd’hui, il y a une déconstruction des normes hétérosexuelles, et ce qui à l’époque pouvait sembler une pensée radicale est désormais réapproprié par des jeunes femmes et permet d’ouvrir un espace de redéfinition de soi.» En septembre 2020, Alice Coffin, élue écologiste parisienne, publiait «Le génie lesbien» (Ed. Grasset), un essai sur ses combats… la contraignant à vivre sous protection policière devant la violence des réactions lesbophobes. «Les lesbiennes sont vécues comme une menace du système patriarcal et tout ce qui va avec», décryptait-elle sur France Inter. Mais l’essai et le déferlement de haine ont néanmoins permis une prise de conscience.

«Le livre d’Alice Coffin et d’autres ont révolutionné la visibilité lesbienne, et le podcast est né de ce mouvement d’ouverture consistant à dire: «Maintenant on se montre, on existe et on prend une place, car on y a droit.» D’une manière plus générale, ça participe au mouvement des femmes qui ont décidé d’occuper l’espace, constate Christine Gonzalez. Mais on vit les montagnes russes: des gens nous remercient pour le podcast et on constate en même temps la persistance d’une réalité très crue des violences, du rejet et de la souffrance. Alors quand on me dit «Ça va mieux, maintenant, hein?», je pense qu’il reste au contraire beaucoup d’efforts à mener pour que les personnes LGBTQIA+ se sentent complètement intégrées. D’ailleurs une femme reste toujours vulnérable dans l’espace public, alors deux femmes… Vivre l’expérience de se tenir la main un samedi de marché à Lausanne n’est pas anodin. J’adore tenir la main, je l’ai toujours fait sans y réfléchir avec un homme et là, quand on le fait, on se serre pour se donner un peu de force, parce qu’il y a toujours des regards, bienveillants ou troublés, mais qui existent.»

Sur Netflix, le beau documentaire «A Secret Love» raconte l’amour indéfectible de Pat Henschel et Terry Donahue, durant sept décennies, dans une Amérique qui pourchassait encore les lesbiennes et les homosexuels jusque dans les bars. Pat et Terry ont prétendu qu’elles étaient cousines toute leur existence, avant de se marier, dans leur maison de retraite, couvées par leurs amis. Quand elles se sont rencontrées, à 18 et 22 ans, elles avaient eu quelques romances hétérosexuelles. Le coup de foudre fut immédiat. Jusque-là, elles n’avaient jamais entendu parler du lesbianisme.


De la stigmatisation à la célébration

Dans une industrie essentiellement masculine, les lesbiennes ont longtemps servi de repoussoir à l’écran, avant que les luttes ne changent cette sinistre vision du monde. Il était temps. Voici 7 films qui célèbrent les lesbiennes: 

1. «Morocco», de Josef von Sternberg (1930)

Marlene Dietrich embrasse une spectatrice dans un club colonial, sous les applaudissements. Une audace vite oubliée par son entreprise de drague de Gary Cooper...

1. «Morocco», de Josef von Sternberg (1930)
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2. «Rebecca», d’Alfred Hitchcock (1940)

Adaptée du roman de Daphné du Maurier, cette première représentation marquante d’une femme amoureuse d’une autre femme dépeint une virago forcément inquiétante...

«Rebecca», d’Alfred Hitchcock (1940)
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3. «Femmes en cage», de John Cromwell (1950)

Dans ce film sur une prison de femmes, les cryptolesbiennes incarnent des prédatrices sadiques et toujours prêtes à harceler de jeunes innocentes...

«Femmes en cage», de John Cromwell (1950)
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4. «La rumeur», de William Wyler (1961)

Deux directrices d’un pensionnat se retrouvent accusées par une élève d’entretenir une relation. Et, forcément, tout dans cette histoire est tragique et finit mal...

«La rumeur», de William Wyler (1961)
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5. «Go Fish», de Rose Troche (1994)

Sortie en 1994 et réalisée par une femme, avec très peu de moyens, cette ode aux chassés-croisés amoureux est, pour beaucoup, le premier film à montrer la vraie culture lesbienne.

Go fish
DR

6. «But I’m a Cheerleader», de Jamie Babbit (1999)

Parodie de teen movie, romance entre filles et dénonciation des thérapies de conversion imposées à certaines personnes gays et lesbiennes, ce film a marqué.

«But I’m a Cheerleader», de Jamie Babbit (1999)
DR

7. «Portrait de la jeune fille en feu», de Céline Sciamma (2019)

Acclamée à Cannes, cette œuvre dépeint une magnifique histoire d’amour et sort enfin du fameux «male gaze»: les femmes uniquement érotisées par les hommes.

«Portrait de la jeune fille en feu», de Céline Sciamma (2019)
DR

 

>> Lire aussi: Que signifie LGBTQIA+ ?


Des coming out à tous les âges

Comme l’écrit Louise Morel, «on naît lesbienne et on le devient». Pour certaines, c’est clair depuis le tout début, pour d’autres, c’est plus tardif, telles ces célébrités qui n’hésitent pas à confier leur histoire.

Cynthia Nixon, 56 ans

Cynthia Nixon, 56 ans
Walter McBride/WireImage/Getty I

Après quinze ans de mariage avec un enseignant (ils ont eu deux enfants, dont un fils transgenre), l’actrice a épousé sa compagne Christine Marinoni (à gauche). Grandes militantes des droits LGBTQIA+, elles ont également un fils. «Tomber amoureuse de ma femme a été l’un des grands plaisirs de ma vie», affirme celle qui a aussi été candidate à l’élection du gouverneur de l’Etat de New York en 2018.

Wanda Sykes, 58 ans

Wanda Sykes
Arturo Holmes/FilmMagic

Après sept ans de mariage avec un producteur, l’actrice et productrice a épousé une femme et fait un coming out public à passé 40 ans. Selon elle, son éducation l’a longtemps poussée à «choisir d’être hétéro». Depuis, elle a coproduit la série Visible: Out on Television, pour Apple TV, qui retrace l’évolution de la représentation LGBTQ+ à la télé.

Meredith Baxter, 74 ans

Meredith Baxter, 74 ans
Beck Starr/WireImage/Getty Images

Connue pour son rôle dans une sitcom familiale aux Etats-Unis, l’actrice a divorcé de ses trois premiers maris, avec qui elle a eu cinq enfants, avant de s’installer avec sa compagne, à 56 ans, et de l’épouser. «Je suis lesbienne et cela a été une prise de conscience tardive. C’était un réveil. J’ai compris pourquoi j’avais eu tant de difficulté à me connecter avec les hommes dans mes relations.»

Kristen Stewart, 32 ans

Kristen Stewart, 32 ans
Jon Kopaloff/WireImage/Getty Ima

A 20 ans, en couple avec Robert Pattinson, elle est la proie des paparazzis. Un trauma. En 2016, elle déclare: «Je suis amoureuse de ma copine», puis apostrophe Trump qui tweete compulsivement sur elle: «Je suis si gay, mec!» Désormais, elle confie: «J’ai pris conscience que je pouvais aider d’autres filles à assumer leur sexualité publiquement, en osant parler de la mienne ouvertement.»

Par Julie Rambal publié le 5 mai 2022 - 08:39