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Rencontre

Manuella Maury: «J’aime les vaches parce que j’aime les humains»

Ce samedi 13 et ce dimanche 14 mai, Manuella Maury commente l’épique finale des reines, à Aproz (VS). L’espiègle journaliste valaisanne dit cette passion issue du fond des âges, dont elle est devenue une ardente défenseuse. Reportage à ses trousses, dans une arène du val d’Hérens.

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Manuella Maury

Manuella Maury avec un de ses amis éleveurs, l’agriculteur d’Evolène Marius Pannatier (à gauche). «Je suis revenue en Valais, car j’ai besoin de la communauté.»

Blaise Kormann

En ce frais dimanche d’avril, la veste en cuir de Manuella Maury crée une flaque claire dans l’arène emplie de monde des Haudères (VS), dressée dans un pâturage au bas du village. La journaliste a enfilé une jolie robe, elle a tenu à se parer pour l’occasion, la dernière manche qualificative des reines avant la grande finale d’Aproz. Pour elle, dit-elle, s’apprêter est une façon de rendre hommage aux vaches, comme dans les années 1950, quand paysans et spectateurs s’endimanchaient avec bonheur, assistaient aux combats en portant costard et chapeau. Gaie et vive, elle salue des connaissances tous les 10 mètres.

Les combats de reines, cette fille de restaurateur est tombée dedans «un peu par hasard». Si elle est née dans le val d’Hérens, ses parents n’avaient ni vigne ni vache. Dans les années 1970, elle se souvient plutôt de la fin d’un monde, d’une période où les paysans étaient déjà en train de disparaître. Avec une folle accélération après la construction des barrages, à laquelle son père a participé en travaillant à la Dixence.

C’est la télévision qui l’a ramenée aux vaches. En 1998, l’idée de retransmettre la finale des reines sur la RTS débouche sur un succès médiatique inattendu. Ce dimanche-là, avec Massimo Lorenzi au micro et la sociologue Yvonne Preiswerk en experte, l’audience dépasse celle du GP d’Espagne de F1, diffusé en même temps. Dans la tour genevoise, on se rend compte qu’on a touché là à une identité profonde, oubliée. Ses chefs se rappellent que Manuella est Valaisanne, on vient la chercher.

«Au départ, je n’y connaissais rien, sourit-elle. Je voyais les combats d’alpage mais sans en saisir la stratégie, je savais juste que les vaches établissaient une hiérarchie entre elles. Comprendre prend beaucoup de temps. Un peu comme pour les combats de sumo, moi qui ai souvent voyagé au Japon.» Même si la compétition en général ne lui fait ni chaud ni froid («Dans les jeux, je ne veux juste pas être la première éliminée...» rit-elle), elle attrape alors le virus des reines, découvre des aspects communautaires qui la bouleversent. «Je pense que j’ai commencé à aimer les vaches parce que j’aimais les humains. Ce fut comme si je retournais dans un rapport homme-animal qui ne se passait pas dans la domination, avec un côté sauvage préservé.»

«Elles font ce qu’elles veulent»


Peu à peu, la femme de passions et de rencontres épouse cet univers rustique et le défend. Elle aime que les vaches d’Hérens courent pendant toute la belle saison dans les prés des vallées. Elle souligne «leur intelligence spectaculaire, avec de la fierté et de la noblesse», que même les éleveurs d’autres variétés bovines reconnaissent. «C’est une race qui s’attache à l’humain et où chacune possède son propre caractère.» Elle se réjouit que l’animal ait le choix de se battre. «Elles font ce qu’elles veulent… Quand les rabatteurs essaient de les rapprocher mais qu’elles refusent, les hommes ne peuvent rien faire.» Cite l’histoire d’une vache de première catégorie, qui avait déjà gagné plusieurs fois et dont on attendait qu’elle récidive. «Or elle s’est postée au milieu de l’arène. Aucune adversaire ne l’a approchée, elle a levé la tête et est restée peut-être cinq minutes dans cette posture, avant de sortir. Elle voulait dire qu’elle ne voulait plus. Dans une attitude totalement acceptée par les gens d’ici.»

Devant elle, un combat se prolonge. Les rabatteurs ont beau tenter de séparer les deux vaches, celles-ci demeurent museau contre museau pendant de longues minutes, avant de renoncer à contrecœur. Peut-être si fatiguées que leurs propriétaires préféreront les retirer du concours, pour les laisser se reposer. «Ce temps incertain, c’est un drame pour un média aussi formaté que la télévision, mais j’adore. Beaucoup d’amateurs ne voient d’ailleurs pas l’irruption de la télé d’un très bon œil. Ils préfèrent les combats d’alpage, au pied des montagnes.»

combat de vaches

Le combat de deux vaches se prolonge pendant de longues minutes, sans que les rabatteurs puissent les séparer. «J’aime ce temps incertain», dit Manuella Maury.

Blaise Kormann

Au-delà de l’animal, elle révère les gens qui les élèvent, la somme de travail au quotidien, souvent sans vacances, loin d’une logique de profit. Elle aime que les classes sociales, avocats, paysans, familles, se retrouvent autour d’un enjeu qui leur échappe, sans jamais maîtriser l’envie de l’animal.

Revoilà Manuella combative devant certaines critiques: «Le drame, ce sont les gens qui en parlent sans jamais être venus, et il y en a beaucoup. Il faut leur enlever de la tête que les vaches souffrent, même si elles peuvent se blesser. Certains comparent avec la corrida, décrivent des hommes brutaux, l’avortement des veaux.» Elle s’enflamme: «Mais c’est faux, un pur mensonge, et je ne me trouve pas dans un monde de bisounours! Si j’avais le moindre doute, j’arrêterais tout de suite. Je ne supporte pas l’arrogance de ceux qui viennent donner la leçon au fond des vallées.» L’exemple de son père surgit, si respectueux des ressources naturelles que, mort à 82 ans, il a toujours consommé avec modération.

Une race en danger


C’est pour ces raisons que, il y a sept ans, Manuella Maury a quitté Genève pour revenir dans son village, Mase. «Même si j’ai un côté louve solitaire, j’ai besoin de la communauté.» Elle vit désormais à deux pas du restaurant familial, géré par un jeune couple et qui ne désemplit pas. «Ils ont réussi ce mélange entre des habitués des capitales et de simples gens qui viennent boire leur coup à midi.»

Elle qui vénère les mots jusqu’à animer chaque automne un festival de la correspondance aime aussi les registres que les paysans du passé écrivaient dans leur écurie, avec une belle écriture, après s’être lavé les mains. Dans le documentaire qu’elle a réalisé sur les reines, en 2021, on croise de beaux esprits valaisans comme Maurice Chappaz, Bernard Crettaz, Philippe Bender. Elle le conclut sur un vibrant: «Aux hommes de mener la lutte!» car, projecteurs de la RTS grands allumés ou non, le nombre de vaches d’Hérens diminue d’année en année. 

Par Marc David publié le 13 mai 2023 - 09:46