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Mathias Reynard: «Il y a tant à faire pour que les lignes bougent»

Quelques mois après avoir pris la tête du Département de la santé, des affaires sociales et de la culture, Mathias Reynard, 34 ans, évoque ses ambitions pour le Valais, son rapport avec le pouvoir et ce qui lui manque le plus.

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Mathias Reynard

«Cette voiture de fonction, c’est évidemment pratique et c’est ce qui est attendu pour les visites officielles, mais le jour où ça s’arrête, je serai toujours très bien avec ma Ford Fiesta et mon vélo», assure Mathias Reynard. Sa plus grande victoire? Le 9 février 2020, lorsque le peuple a voté pour que l’homophobie devienne un crime. Sa proposition avait été déposée en 2013.

Sedrik Nemeth

«Vous avez vu le beau gosse?» lance fièrement le cuisinier à Françoise, une résidente venue faire un tour dans le jardin. Ce 30 septembre, le «beau gosse» rend visite au home Saint-Sylve en sa qualité de ministre de la Santé du Valais. Françoise jette un œil à l’homme à l’allure juvénile, baskets aux pieds et éternel piercing à l’arcade sourcilière, occupé à enregistrer un message vidéo pour l’Avalems, la faîtière des EMS valaisans. Et nous prie de noter son nom sur un papier: elle a la mémoire qui flanche, ne sait plus bien si elle a voté, ni pour qui.

Mathias Reynard

30 septembre, home Saint-Sylve, Vex. Enregistrement pour l’Avalems, l’association faîtière des EMS valaisans, d’un message du conseiller d’Etat qui sera diffusé le lendemain, Journée internationale pour les personnes âgées. 

Sedrik Nemeth

C’est bien la seule fois, lors de cette semaine sur les pas du conseiller d’Etat, qu’il sera question de petit papier. «Il connaît tout le monde, c’est fou», glisse son secrétaire général, Damian Mottier, déjà en poste sous Esther Waeber-Kalbermatten. Cela nous est confirmé par les regards en coin, les sourires et les chaleureux «Mathias!» qui rythment le trajet du chef du Département de la santé, des affaires sociales et de la culture jusqu’au Café des Châteaux en vieille ville de Sion. Unique pause du ministre avant de se réattaquer aux dossiers et à une séance avec le Grand Conseil.

Mathias Reynard

29 septembre, séance du Conseil d’Etat, Sion. De g. à dr.: le chancelier Philipp Spörri, Franz Ruppen (UDC), Roberto Schmid (PDC), le président Frédéric Favre (PLR), Christophe Darbellay (PDC), Mathias Reynard et le vice-chancelier André Mudry. Mathias Reynard: «Je suis de nouveau le plus jeune, mais mes collègues ne me le font pas ressentir.»

Sedrik Nemeth

Le regard des Valaisans a changé depuis l’élection du printemps dernier qui a fait de Mathias Reynard le plus jeune ministre du canton – et le premier socialiste francophone – depuis plus d’un siècle. Comme il était, il y a dix ans, le benjamin du parlement fédéral lorsqu’il est devenu conseiller national à l’âge de 24 ans. «Je vois bien qu’il y a davantage de déférence envers ma fonction, alors que pour moi, aller à Berne était plus prestigieux. Même si je n’en avais jamais rêvé non plus.» Car, s’il endosse «avec plaisir» le costume de magistrat, le pouvoir n’a jamais été une fin en soi, assure-t-il. Son rêve à lui, il l’a souvent dit, c’est d’ouvrir un jour une librairie. «Même si je fais deux mandats au gouvernement, je serai encore jeune, on verra bien la suite. Mais je ne vois pas en quoi être ministre est plus prestigieux qu’une autre profession. Mon parcours est beaucoup lié au hasard, au fait d’être au bon endroit au bon moment. Il y a eu ce siège de gauche à sauver, ce retour dans mon canton qui représentait un joli défi, et j’ai décidé d’y aller.»

Mathias Reynard

30 septembre, home Saint-Sylve, Vex. En compagnie de la directrice, Geneviève Délèze, Mathias Reynard échange quelques mots avec une résidente dans le jardin de l’EMS. Il se dit très content d’avoir obtenu le Département de la santé et de la culture, le plus «proche de l’humain», selon lui.

Sedrik Nemeth

Il a beaucoup hésité avant «d’y aller», d’ailleurs. Après avoir échoué sur le fil, face à la PDC Marianne Maret, à entrer au Conseil des Etats en 2019, il pensait continuer à siéger à la Chambre basse, s’était lancé dans une cocandidature pour présider le Parti socialiste. Mais ce qui lui manque le plus aujourd’hui, cela fuse comme un cri du cœur «c’est l’école»! Soit le cycle d’orientation de Moréchon, dans sa commune de Savièse, où il enseignait le français et l’histoire. «Quitter ce job que j’adore a beaucoup pesé dans la balance.»

Mais il a été élu. «Au début, ça a été très dur. J’ai vraiment eu l’impression d’être dans une machine à laver.» Au deuxième jour de son entrée en fonction, il se retrouve avec deux projets de loi à défendre devant le Grand Conseil. «Je suis resté en contact permanent avec mon équipe pour qu’ils me confirment les infos.» Il cite le «Je suis ministre, je ne sais rien faire» de Louis de Funès dans La folie des grandeurs et éclate de rire. «Sérieusement, ça va mieux. J’arrive à prendre le temps de me poser pour étudier les dossiers.» Et même de lire des poèmes. Ce matin, ceux de la poétesse russe Anna Akhmatova, que lui a fait découvrir son ex-camarade de parti Géraldine Savary.

>> Lire aussi: Géraldine Savary: «J’ai décidé de reprendre ma liberté»

Mathias Reynard

1er octobre, OSEO, Sion. A g., Philippe Varone, président de la ville de Sion. Valérie Berset Bircher (deuxième depuis la droite) a succédé à Mathias Reynard à la présidence de l’OSEO (Œuvre suisse d’entraide ouvrière) Valais, dont le nouveau bâtiment est inauguré ce jour.

Sedrik Nemeth

Il s’est jeté dans l’aventure après une campagne qui s’est appuyée sur une démarche participative, par laquelle il a appelé les citoyens à formuler des propositions. Dans le style d’Emmanuel Macron? Il grimace, l’air dégoûté. «Surtout pas!» Sur 400 propositions reçues, une centaine ont été retenues. Damian Mottier s’agite. «Il a fallu plancher sur tout ça, un gros boulot!» souffle le secrétaire général. Mathias Reynard espère notamment la mise en place de la convention collective de travail (CCT) dans les EMS, faire valider un poste destiné aux besoins des personnes en situation de handicap, mettre sur pied un Samu social, faire en sorte que la traite des êtres humains dans le canton soit mieux combattue… Pour 2022, il rêve d’une campagne cantonale pour les droits LGBT: «Ça casserait l’image du canton.» Après avoir fait campagne contre le copinage, ce qui lui a valu des critiques lorsqu’il a nommé un proche – l’ex-président de la section cantonale du PS Gaël Bourgeois – comme porte-parole, il sait qu’il est attendu au tournant.

Mathias Reynard

Après l’intensité des premiers mois, lors desquels il a notamment tenu à rencontrer tous les collaborateurs de son département, le conseiller d’Etat a trouvé ses marques. Ce qui le frappe le plus? Le grand nombre de décisions prises au quotidien.

Sedrik Nemeth

Ce qui change le plus de Berne, c’est le nombre de décisions «prises au quotidien». Il cite l’unité de prise en charge psychiatrique pour les jeunes mise en place après un rapport qu’il a commandé et qui a montré une augmentation de 50% dans les demandes de consultations depuis le début de la pandémie. «A Berne, les projets étaient plus impressionnants puisqu’ils concernaient l’entier du pays. Mais ça prend tellement de temps… Et nous étions souvent renvoyés vers les cantons. Maintenant, le canton, j’y suis et je peux agir très rapidement. Il y a tant à faire pour que les lignes bougent en Valais. C’est aussi ça qui est génial!»

Mathias Reynard

2 octobre, Savièse. La détente, mais du travail quand même avec les vendanges. Avant la pandémie, il aimait partir en Amérique latine, qu’il affectionne «pour ses figures combatives populaires et sa gauche catholique marquée par la théologie de la libération». Sans téléphone.

Sedrik Nemeth

Son enthousiasme ne semble pas émoussé par les années passées au Palais fédéral. «Etre idéaliste, ce n’est pas forcément être naïf. C’est un moteur, même si je sais aussi faire des compromis et que je n’oublie pas que le Valais n’est pas de gauche. Il faut trouver des majorités. Ma seule ambition reste de changer les choses, d’améliorer le quotidien des gens.» Cette attention aux minorités ainsi que son féminisme – il prend soin, depuis une discussion avec une militante, de se qualifier d’«allié de la cause» plutôt que de féministe – sont visibles dans son bureau, orné d’une affiche du film Femmes et fières, sur la grève des femmes du 14 juin 2019, et d’un portrait de Marguerite Burnat-Provins par Ernest Biéler. Il nous tend Cantique d’été et Le livre pour toi, s’enflamme en évoquant cette femme «rejetée» qui passa plusieurs étés à Savièse au tournant du XXe siècle et vécut une grande passion avec un Sédunois.

Il a, souvent, été interrogé sur le pourquoi de cette sensibilité. «C’est juste une question de valeurs, répond-il. J’ai toujours été révolté par les injustices et j’ai grandi avec, sous les yeux, le modèle égalitaire de mes parents. Une maman infirmière et un papa poseur de sols m’ont inculqué cette notion qu’un ouvrier ne vaut pas moins qu’un cravaté du Conseil d’Etat» – même si, quand il le faut, il la met, la cravate. Un observateur de la politique valaisanne nous glisse que son grand défaut, c’est de ne pas supporter qu’on ne l’aime pas. «C’est mieux d’être aimé que détesté, non?» Il nous décoche un nouveau sourire. Reprend. «On m’a prévenu que j’allais trouver difficile de devoir trancher, mais en fait ça va très bien, même si évidemment j’aime mieux dire oui!»

Mathias Reynard

1er octobre, centre de vaccination de Sion. C’est la deuxième visite pour le conseiller d’Etat. Après avoir rencontré des civilistes et le personnel soignant, il souligne combien le covid a pris le pas sur tout le reste. 

Sedrik Nemeth

A ses yeux, sa plus grande victoire reste le 9 février 2020, lorsque le peuple a voté pour que l’homophobie devienne un crime. Sa proposition avait été déposée en 2013. «Là, tu te dis que les choses changent vraiment et que tu y es pour quelque chose.» Un engagement qui continue d’alimenter les rumeurs, parfois farfelues, sur sa supposée homosexualité. «Tout ce que je peux dire, c’est qu’il n’est pas nécessaire d’être homo pour défendre la cause LGBT», sourit-il.

>> Lire également: La cause LGBT en étendard

Il sait aussi que les recherches Google concernent essentiellement sa vie privée, une curiosité alimentée par sa discrétion. «Mes proches n’ont rien demandé et n’ont pas à entrer dans ce jeu-là. Oui, il m’arrive de partager une photo de Sierre-Zinal sur Facebook, mais l’idée n’est pas «regardez-moi courir». Il y a des valeurs derrière, l’humilité, l’endurance… C’est à moi de faire en sorte que ce ne soit pas le côté people qui intéresse au final.» L’affaire Berset ressortie ces derniers jours? «Je pense que les gens s’indignent surtout que l’on mette la vie privée de Berset sur la place publique. En quoi cela nous regarde?»

Il s’assombrit seulement lorsque nous évoquons le climat politique lié au covid. «Voir que les conseillers fédéraux doivent vivre sous protection m’inquiète. C’est désolant de constater que l’ADN du pays, cette proximité et ce respect mutuel entre les élus et la population, est en train d’être remis en question.» «Depuis qu’il est devenu ministre, il est resté accessible, fidèle à lui-même», salue une Valaisanne proche des milieux syndicalistes. «J’espère juste que le pouvoir ne le changera pas.» On parie que non.

Par Albertine Bourget publié le 7 octobre 2021 - 08:55