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On a testé le burger végane

Une famille ainsi que le chef genevois Philippe Chevrier ont testé le burger végétal vendu à la Coop imaginé par la marque californienne Beyond Meat qui prétend avoir inventé les meilleurs substituts de viande.

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Le burger à la Philippe Chevrier, mais avec le steak haché de Beyond Meat, à base de petits pois.

Pas facile d’être un citoyen modèle en 2019. Le défi commence déjà dans son assiette, où flottent désormais les spectres du réchauffement climatique et de la souffrance animale. Pour sauver la planète, il faudrait ainsi manger beaucoup moins de viande. Et pour ne plus passer pour un complice d’un génocide animal, il faudrait carrément y renoncer.

Contexte culpabilisateur

Pas étonnant que, dans ce contexte culpabilisateur, fleurissent dans les magasins des produits naguère étranges, à base de protéines végétales en tous genres, de tofu et autres substituts possibles à ces protéines animales désormais alimentairement incorrectes.

En avril dernier, dans le rayon où se bousculent tous ces nouveaux aliments, généralement juste à côté des sachets de raviolis frais et des pizzas prêtes à enfourner, la Coop a ajouté une marque américaine jouissant d’une aura particulière. Beyond Meat («au-delà de la viande») cherche à s’imposer comme le meilleur label mondial de substituts végétaux aux produits carnés. S’agit-il vraiment de la boulette magique qui convertira des milliers de Suissesses et de Suisses à devenir, sinon végétariens ou véganes, du moins flexitariens, c’est-à-dire à réduire sensiblement leur consommation de protéines d’origine animale?

1. Quel goût ça a? Notre test chez Philippe Chevrier

Avant même d’ouvrir le capot de ces steaks hachés sans viande, il nous est apparu plus important de les goûter, plus précisément de les faire tester par une famille qui aime se faire et s’offrir de bons repas, avec ou sans viande. Et pour que ce test gustatif ne souffre d’aucune faiblesse sur le plan culinaire, c’est à la brigade du grill house Chez Philippe que nous avons apporté nos galettes californiennes. Douchka et Jean-René Coray, et leur fils Thibault, allaient-ils distinguer le «vrai» hamburger du «faux», une fois apprêtés par cette brigade ultra-spécialisée?

L’enfant ne s’est visiblement pas trop posé de questions: il avait faim et a allègrement passé d’un hamburger à l’autre avec le même commentaire sobre et générique: «C’est bon!» Les deux adultes ont de leur côté identifié rapidement le steak végétal à cause de sa texture et de sa couleur brune. Mais pour Jean-René, le père de famille, le steak haché végétal était «plutôt bien imité».

Pour son épouse en revanche, après une première impression positive, c’est un sentiment mitigé qui s’est peu à peu imposé: «Il y a un côté écœurant, artificiel. Le bœuf est incomparablement meilleur.» Mais dans l’ensemble, ce test démontre que l’illusion fonctionne plutôt bien avec ce steak végétal industriel apprêté, il faut le rappeler, par de grands pros, avec des sauces maison, du pain et des ingrédients haut de gamme.

2. Qu’est-ce qu’il y a dans ce Beyond Burger?

Pas de miracle, il y a de la chimie et des substances transformées dans ces galettes: arôme de fumée, cellulose, méthylcellulose, maltodextrine, extrait de levure, acide ascorbique, acide acétique, amidon modifié, extrait de pomme, jus de citron concentré… Beyond Meat n’échappe pas par miracle aux contraintes de l’industrie alimentaire. Comme tout produit ultra-transformé, ces protéines de petit pois ont besoin d’adjuvants pour se donner et conserver plusieurs jours une apparence de fraîcheur. Et c’est bien là que se situent les limites de l’exercice, car ces processus industriels ont une odeur et un goût.

3. Les limites gustatives 
de ces Beyond Burger

La dégustation du produit brut, sans pain, sans sauce, sans ingrédients, est, disons-le, franchement, cruelle. A l’état cru, ce steak exhale déjà un parfum de chimie peu engageant pour un amateur de saveurs naturelles et fraîches comme votre serviteur. Et une fois cuit, il s’en dégage notamment un parfum de fumé pas très catholique. Quant à la texture, malgré le jus de betterave censé lui donner de la couleur, elle fait cruellement défaut. Et surtout, on cherche en vain la sensation de moelleux du bœuf haché cuit dans les règles de l’art.

4. L’éternelle guerre des pro- 
et des anti-viande


Passons rapidement sur les arguments à la fois sanitaires et éthiques qui divisent les partisans les plus convaincus d’une nourriture sans viande, voire sans œufs et sans produits laitiers, et les amateurs de viande. Les premiers jurent que rien ne leur manque et qu’ils ne se sont jamais sentis si bien que depuis qu’ils ont renoncé aux protéines animales. Les seconds soupçonnent les premiers de tricher en prenant en cachette des compléments alimentaires pour éviter des carences protéiniques.

Autre sujet de discorde: la souffrance animale. Les premiers dénoncent un génocide. Les seconds rappellent que la plupart des éleveurs, en Suisse, respectent leur bétail. Selon plusieurs nutritionnistes qui ont commenté sur internet la valeur diététique des Beyond Burger, ceux-ci ne peuvent prétendre surpasser la viande, notamment en raison d’un surplus de sel.

5. Le principal atout de ces burgers: leur moindre impact écologique. Mais l’écart est-il vraiment si grand?

Là où les produits industriels cherchant à remplacer la viande peuvent vraiment prétendre faire la différence, c’est par leur impact écologique. L’élevage intensif pose indéniablement d’énormes problèmes écologiques. Mais les chiffres brandis par Beyond Meat pour vanter le bilan environnemental de ses produits font débat parmi les experts des écobilans. Est-ce que ces galettes ont réellement besoin de 99% d’eau en moins que leurs concurrentes de bœuf? Cela semble excessif. Et que dire des emballages imposants de ces paquets de deux galettes végétales? Et l’énergie de la fabrication industrielle, des transports de matières premières et de la chaîne du froid est-elle vraiment comptabilisée dans les calculs qui permettent aussi à Beyond Meat de revendiquer 90% de gaz à effet de serre en moins que la vraie viande?

6. Un prix plutôt… carnivore!

Le Beyond Burger a un prix: le paquet de deux steaks coûte 7,95 fr. dans sa version congelée et 8,95 fr. au rayon réfrigéré. C’est environ 30% de plus que les deux steaks hachés de bœuf bio vendus à la Coop également. Ces substituts de viande ne sont donc pas donnés.

Et les actionnaires de la marque californienne n’ont pas investi uniquement dans la démarche pour des raisons éthiques et écologiques. Le business, même dans l’industrie végétarienne, conserve toujours un côté carnassier.

7. La meilleure option 
n’est-elle pas de cuisiner?

Les végétariens et les véganes cuisinent-ils plus volontiers que les omnivores? On aurait tendance à le penser, en présupposant que ces catégories de consommateurs tiennent à maîtriser jusqu’au bout leur alimentation. Mais, faute de données précises, rien ne permet de l’affirmer. Le succès croissant des produits industriels végétariens et véganes pourrait même signaler qu’il ne suffit pas de renoncer à la viande ou d’en diminuer sa consommation pour consacrer du temps à cuire amoureusement légumes, céréales et légumineuses. Un paradoxe de plus dans ce dossier. Car tous les nutritionnistes sérieux sont d’accord sur un point: avec ou sans viande, une alimentation saine passe d’abord par des produits frais, et non par des aliments ultra-transformés. Et cette remarque est aussi valable sur le plan de l’impact écologique, du moins si on respecte les règles d’une consommation locale et de saison.

Les meilleurs hamburgers, avec ou sans viande, seront bel et bien ceux élaborés avec des produits frais. Et difficile de se trouver 
des excuses pour ne pas se mettre 
aux fourneaux. Il existe en 
effet une vaste littérature et 
des milliers de recettes en ligne pour s’amuser à créer des galettes végétales vraiment goûteuses pouvant faire office de viande, dans un hamburger lui-même parfaitement apprêté. Et pour 
les végétariens que la seule perspective d’émincer un oignon affole, nous conseillerons le 
livre «Simplissime: les recettes végétariennes et vegan les + faciles du monde», aux Editions Hachette Cuisine.


«Il y a mille autres meilleures manières de manger végétarien»

Il a fallu insister pour que Philippe Chevrier surmonte ses réticences et goûte lui-même un petit morceau de Beyond Burger. Son verdict est sans appel: «On ne sait pas ce qu’on mange.»

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Le chef Philippe Chevrier et les hamburgers véganes, dans l'un de ses établissements genevois. David Wagnières

- Avant de goûter ce burger végétal cuit par votre équipe de Chez Philippe, que dites-vous de son apparence avant cuisson?
- Philippe Chevrier: Je dirai que la seule chose que cette tranche végétale a en commun avec un burger, c’est la forme. Il faut dire que j’ai lu les indications sur l’emballage... Cela ne me fait pas envie. Et même pas du tout. Il y a trop de chimie pour moi là-dedans. D’ailleurs, cela se confirme à l’odeur, une odeur qui évoque celle de la nourriture pour chat.

- Etes-vous aussi contre le principe d’essayer d’imiter la viande?
- Non, mais si on tente cet exercice, que j’estime impossible, faisons-le au moins de manière naturelle, avec de bons produits.

- Comme dans votre Denise’s Art of Burger, votre restaurant de hamburgers installé dans le Globus de Genève?
- Oui, dans une adresse spécialisée dans les hamburgers, cela m’avait semblé pertinent de concevoir une galette végétale pour proposer un hamburger végétarien, plus précisément pour lacto-ovo-végétariens, car ma recette (voir plus bas) comprend des œufs.

- Il n’a en revanche jamais été question, ici, dans ce «grill house» à la new-yorkaise, de pratiquer une démarche d’imitation de viande pour végétariens et véganes?
- Non. Mais les végétariens et les véganes sont les bienvenus dans tous mes restaurants. Toutes nos cartes comportent des suggestions pour eux: des salades, des soupes. Même à Châteauvieux (ndlr: le gastronomique deux étoiles Michelin et 19 points au GaultMillau), ces clients sont les bienvenus et sortent enchantés. Mais là, il faut quand même qu’ils nous préviennent à l’avance.

- Bon, voici le burger Beyond Meat cuit par votre équipe. On goûte?
Euh... Essayons... Bon, l’aspect cuit est plutôt joli, mais on devine à l’œil qu’il est étrangement ferme. Ce sont sans doute les adjuvants industriels qui expliquent cette fermeté.

- Et au goût?
- Je suis embarrassé. Je n’aime pas démolir ces gens, qui tentent ici de répondre à la demande du marché. Mais là, je suis obligé de dire qu’on ne sait pas ce qu’on mange. Au niveau texture, il y a du granulé, mais c’est peut-être la noix de coco. Et le goût de fumé, c’est clairement l’arôme artificiel de fumée. Tout cela me donne des frissons négatifs. Cela n’a rien à voir avec de la viande. Pour moi, c’est raté. Si un ex-mangeur de viande passe à ça, il va vite retourner à la vraie viande. Mais bon, ce produit est sans doute conçu pour des consommateurs qui vont naper, voire noyer cette tranche dans de la mayonnaise et du ketchup industriels, entre deux pains eux aussi industriels. C’est pourtant tellement facile de faire de la bonne cuisine végétarienne simple!

- Quel conseil général donnez-vous pour faire cette «bonne cuisine simple»?
- J’insisterai sur les œufs, qui permettent de faire d’innombrables préparations végétariennes variées. Et pour les véganes, je dirai que les risottos permettent des variations infinies, goûteuses, corsées. Il y a mille possibilités de manger végétarien et végane sans avoir recours à ce genre de produit industriel qui, en plus, n’est pas donné: 4,50 fr. la galette, c’est plus de deux fois plus cher que ce que je paie pour le bœuf premier choix que j’utilise dans les hamburgers que nous servons ici.

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Philippe Chevrier et l'une de ses brigades. David Wagnières

Recette de base du burger végé de Philippe Chevrier

Pour 4 galettes de 120 g:
360 g de maïs en grains, cuit au bouillon de légumes
50 g de farine de blé (farine de maïs si sans gluten)
75 g d’œufs entiers
Sel, poivre

- Mixer tous les ingrédients (avec d’autres légumes selon envie) et mouler 4 galettes de 120 g chacune.

- Cuire le tout au four à 160°C pendant 20 minutes.


Beyond Meat: «rolls» végane

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L'emballage d'un burger végane.

Beyond Meat («au-delà de la viande), c’est la success-story californienne par excellence. Cette viande qui n’en est pas est née à Los Angeles, il y a dix ans, dans le cerveau d’un certain Ethan Brown, 47 ans, un universitaire ayant d’abord travaillé dans les énergies renouvelables et l’environnement. C’est en comprenant à quel point la production et la consommation massives de viande sont responsables d’une grande partie des émissions de gaz à effet de serre qu’il décide d’inventer, avec l’aide de spécialistes, des substituts végétaux aux produits carnés, plus proches que jamais de la texture et des saveurs de la volaille, du porc et du bœuf.

Encore déficitaire

En 2013, les premiers produits Beyond Meat sortent d’usine, grâce notamment au financement de Bill Gates, le fondateur du géant informatique Microsoft. Leonardo DiCaprio, la star la plus écologiste de Hollywood, a lui aussi misé sur cette marque pourtant encore déficitaire (30 millions de dollars de pertes en 2018 pour un chiffre d’affaires de 88 millions), mais qui n’en finit pas de croître et qui ambitionne de devenir un leader mondial de la foodtech. Et la finance semble y croire: trois mois à peine après son entrée en bourse, la valeur de l’action Beyond Meat a presque décuplé!

En Suisse, la Coop a ajouté en avril dernier les burgers de Beyond Meat à son assortiment de produits pour végétariens et véganes. Avec succès, selon la porte-parole du grand distributeur, Marilena Baiatu: «Dès les premiers jours, plus de 1000 Beyond Burgers ont été vendus.»


Par Clot Philippe publié le 2 août 2019 - 15:25, modifié 18 janvier 2021 - 21:05