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OnlyFans: Sexe, argent, abonnement et libération de soi

OnlyFans a le vent en poupe. Cette plateforme en ligne payante, qui propose en majorité des contenus pour adultes, revendique aujourd’hui plus de 150 millions d’utilisatrices et d’utilisateurs dans le monde. Plongée dans cet univers avec trois Romand.e.s qui ont accepté de lever le voile sur leur activité. Au menu: sexualité assumée, émancipation des corps et maîtrise de l’image.

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«Plus jeune, j’étais très complexée par mon corps. Les réseaux sociaux m’ont aidée à l’accepter. On peut plaire tout en étant ronde. Ça m’a libérée.», @nympheaswissgirl, 32 ans, Vaud

GABRIEL MONNET

Coup de tonnerre en août dernier! OnlyFans annonce sa décision de bannir «tout contenu sexuellement explicite» dès le 1er octobre. Avant de rétropédaler… cinq jours plus tard. Si le réseau social britannique était déjà bien connu des travailleuses et travailleurs du sexe (TDS) ainsi que des amatrices et amateurs de photographies et de vidéos érotiques, ce revirement l’a propulsé sous le feu des projecteurs. A la différence d’Instagram et de Facebook, réseaux sociaux prohibant la nudité, où un simple téton apparent suffit à bloquer un utilisateur, elle est omniprésente sur OnlyFans. Surnommée «l’Instagram du sexe», la plateforme se décrit comme «un site d’abonnement qui permet aux créateurs de monétiser leur influence». On peut y retrouver des professeur.e.s de yoga, des coachs de fitness, des stars comme la rappeuse Cardi B, l’actrice Bella Thorne ou, plus proche de chez nous, le chanteur Bastian Baker, mais la majorité des contenus monnayés relèvent de l’érotisme, voire de la pornographie.

Devenu extrêmement populaire, OnlyFans revendique aujourd’hui plus de 150 millions d’utilisateurs. Lancée en 2016 déjà, la plateforme a vu son nombre d’abonné.e.s exploser à la faveur de la crise sanitaire et des confinements successifs vécus par une partie de la population mondiale. Son fonctionnement est simple: les utilisateurs, les «fans», paient (de 4,99 à 49,99 dollars par mois) pour s’abonner à des profils et accéder à des contenus exclusifs. Un abonnement qui leur permet également d’envoyer des messages privés et des «pourboires» aux influenceuses et influenceurs amateurs ou professionnels afin d’obtenir des créations personnalisées, en fonction de leurs goûts sexuels. OnlyFans prélève au passage une commission de 20% sur toutes les transactions.

>> Lire aussi: Sexe, plaisir et Instagram

@nympheaswissgirl s’est inscrite sur OnlyFans en juillet 2019. La jeune femme de 32 ans aux cheveux fuchsia et aux courbes généreuses et tatouées s’y dévoile à visage découvert et publie régulièrement des photographies ou vidéos explicites pour ses 150 abonné.e.s qui, en échange, se délestent de 6,90 dollars par mois. Si la plateforme fait miroiter la possibilité d’empocher des sommes astronomiques, la réalité est plus modeste, comme nous le confirme Nymphea: «Je gagne entre 600 et 1000 francs par mois.» Un complément de revenus important pour cette polygraphe employée à 100%. A son retour du travail, elle entretient sa communauté, retouche images et vidéos, et ce, jusqu’à 23 heures. Elle admet: «C’est du boulot! Mais grâce à cet argent, j’ai pu régler mes dettes et me remettre à flot. Aujourd’hui, je le mets de côté et j’investis surtout dans les tatouages. Je n’ai pas la pression des TDS qui doivent en vivre et payer leurs factures à la fin du mois. C’est un bonus pour moi.»

Ce sont essentiellement les requêtes personnalisées qui font tourner la boutique de @spaecemoon, Lausannoise de 24 ans. Elle s’est lancée sur la plateforme à la fin de l’année dernière, par plaisir et pour se réapproprier son corps. Elle se met en scène, seule, face à la caméra. Pour des prix allant de 10 à 30 dollars, elle fait parvenir des contenus personnalisés et satisfait certains fétiches de ses «fans». Elle confie: «Je suis hyper-ouverte d’esprit par rapport à tous les «kinks» possibles. Ça m’amuse, il n’y a aucune gêne ou honte à avoir. Qu’on me paie pour obtenir une photo de mes pieds glissés dans des chaussures à talons ou en train de me donner du plaisir, je trouve ça génial!»

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«Mon corps est un outil de travail. Je ne suis pas pudique. J’ai toujours été très ouverte et à l’aise avec ma sexualité.»@spaecemoon, 24 ans, Lausanne

GABRIEL MONNET

Pour l’heure, elle gagne entre 100 et 400 francs par mois, une somme non négligeable pour cette étudiante qui vient de terminer son bachelor dans un domaine qu’elle préfère garder secret. Tout comme son identité. Pour quelle raison? «Mes parents me soutiennent encore un peu financièrement. Ils ne comprendraient pas pourquoi je me suis tournée vers ce type d’activité pour gagner de l’argent. Ils ne sont pas prêts à entendre ça. Je suis lesbienne, artiste… disons que je cumule. Alors imaginez si j’ajoutais travailleuse du sexe au tableau!» lâche-t-elle dans un grand éclat de rire.

Pourquoi alors ne pas avoir opté pour un petit job d’étudiant, disons, plus classique? «Avant de tourner une vidéo solo, je vais prendre le temps de me préparer, d’enfiler des vêtements qui me font sentir belle et sexy. Je ne simule pas, c’est un moment de plaisir pour moi. Je reçois des messages de personnes qui me remercient. Etre rémunérée pour cela est valorisant et je me respecte totalement dans ce que je fais. C’est gratifiant d’être payée pour ces deux heures, plutôt que de bosser huit heures par jour pour un salaire misérable et sans la moindre considération», répond la jeune femme à la chevelure blonde, avant de préciser: «Si on me demande un truc qui va à l’encontre de mes envies, je refuse. Idem quand je n’ai pas envie de poster une vidéo, je ne le fais pas. Je maîtrise mon agenda et mon contenu.»

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«Avec OnlyFans, je peux garder le contrôle sur ce que je publie. Si une photo ne me plaît plus, je la supprime. Avec le porno, c’est différent. Dès lors que tu as vendu ton image, tu n’as plus ton mot à dire.»@adamjoneslive, 41 ans, Genève

GABRIEL MONNET

Ce ne sont pas les motivations financières qui expliquent la présence de @adamjoneslive sur OnlyFans. D’ailleurs, ce visual merchandiser qui collabore avec des marques horlogères entend reverser ses gains (une centaine de francs par mois) à des associations LGBT+. Longtemps complexé par son image et par son corps ne correspondant pas nécessairement aux stéréotypes du milieu gay, il explique sa démarche: «J’avais un gros problème d’estime de moi. J’ai décidé de travailler là-dessus en m’affichant, dans un premier temps, sur les réseaux sociaux. Cela m’a beaucoup aidé pour me construire une image plus positive de mon corps et de ma sexualité. Il y a une grande évolution dans mon bien-être personnel et dans la façon dont je me perçois, même si tout n’est pas réglé.»

>> Lire aussi: Drogue et sexe, la nouvelle épidémie?Sur Facebook et Instagram, où il dispose d’une importante communauté, respectivement de 13 400 et de 6350 abonnés, on le voit souvent accompagné de son objet fétiche: sa moto. Le biker se marre: «J’obtiens le double de likes, quand je pose avec ma bécane. A se demander si mes abonnés ne la préfèrent pas à moi!» Son arrivée sur OnlyFans et, par conséquent, la monétisation de ses contenus ont marqué une étape supplémentaire dans la reconquête de son image. «Du moment que mes abonnés sont prêts à payer pour voir mes photos et vidéos, cela signifie que ça leur plaît. D’autant plus s’ils se réabonnent mois après mois. C’est valorisant et encourageant.»

Ne craint-il pas de s’afficher à visage découvert sur une multitude de plateformes? «Non, au contraire, c’est une forme de militantisme en faveur d’une sexualité assumée et de l’homosexualité. Je suis conscient qu’on vit dans une société où il n’est pas aisé d’en parler. La nudité et le sexe permettent d’attirer l’attention. Si j’allais dans la rue avec une pancarte pour faire passer ces messages, je serais probablement moins entendu. Le corps a ce pouvoir-là», assure le quadragénaire genevois.

Pour Nymphea, qui, tout comme Adam, témoigne à visage découvert, la démarche revêt également une dimension émancipatrice où viennent se mêler féminisme et body positivism: «J’ai envie de montrer que tous les corps sont beaux, qu’on soit filiforme ou avec des rondeurs, qu’on ait de la cellulite ou pas, des petits ou des gros seins ou une vulve différente. C’est dur d’aimer son corps, mais c’est tellement libérateur de pouvoir se dire: «Je m’en fiche, je mets cette jupe dans laquelle je me sens bien, même si Cristina Cordula la déconseille pour mon type de morphologie!» raconte-t-elle avant de conclure: «La sexualité est un domaine infiniment intéressant. Il ne faut pas en avoir honte ou se cacher. En tant que femme, c’est toujours difficile de l’assumer. Il faut encore travailler sur cela. Ce genre de réseau permet une certaine ouverture d’esprit.»

Par Alessia Barbezat publié le 4 novembre 2021 - 08:56