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Raphaël Domjan, bientôt seul à bord de SolarStratos

C’est une tout autre aventure que les «ego trips» en petite fusée des milliardaires Branson et Bezos. A Payerne (VD), le pilote d’essai Miguel A. Iturmendi va bientôt laisser Raphaël Domjan seul aux commandes de SolarStratos.

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Solar Stratos

Les deux pilotes de SolarStratos, Miguel A. Iturmendi (à gauche), et Raphaël Domjan (à droite), prennent la pose devant leur avion.

© Fred Merz | lundi13

Il faut du temps pour relever un tel défi. SolarStratos a donc encore besoin de deux ans de perfectionnement avant d’aller défier les stratosphériques 20 000 m d’altitude. Mais il faut aussi un temps favorable pour qu’un tel avion puisse décoller et multiplier les tests. La semaine passée, la météo s’est révélée trop capricieuse pour que puisse se réaliser une étape symbolique importante: le premier vol en solo de Raphaël Domjan, qui a jusqu’à présent toujours volé en double avec le pilote d’essai Miguel A. Iturmendi.

>> Lire aussi: Le coup de foudre de l'aventurier abandonné Raphaël Domjan

Et il faut enfin des sponsors solides pour financer le projet. Cette dernière condition a été remplie en juillet dernier avec l’inscription sur la carlingue en carbone de Longines, la grande marque horlogère de Saint-Imier (BE), comme partenaire principal. Et l’arrivée d’Active Solar, le premier fonds de placement spécialisé dans le secteur mondial de l’énergie solaire, comme troisième partenaire officiel a elle aussi mis du soleil sur les ailes de SolarStratos.

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Faire voler un avion électrique solaire dans la stratosphère, c’est-à-dire tutoyer les 20 000 m d’altitude, est un défi de pilotage, mais aussi et même surtout technologique. Le moindre gain énergétique est le bienvenu.

© Fred Merz | lundi13

Longines, rappelons-le, c’est une aventurière aéronautique héroïque et séculaire. Le grand Charles Lindbergh, après sa traversée de l’Atlantique de 1927, avait notamment contribué à perfectionner le chronographe de la marque imérienne. Le fameux modèle Lindbergh Hour Angle commença à être produit en 1931, et servit de GPS bien avant l’heure à des milliers de pilotes.

Longines peut citer d’autres pionniers de l’aviation, des pionnières notamment, qui portaient au poignet le sigle au sablier ailé: l’Américaine Amelia Earhart, qui battit le record d’altitude féminin en 1922 en montant à 4300 m avant de devenir la première femme à traverser l’Atlantique en solo en 1931, puis de disparaître tragiquement dans le Pacifique en 1937.

>> Lire également notre éditorial du 14 juillet 2021: Exploit ou bluff de Richard Branson?

Une autre Américaine de l’officieuse écurie Longines, Elinor Smith, au surnom un brin sexiste, «la garçonne volante de Freeport», avait battu à 17 ans le record d’endurance en volant en 1929 plus de treize heures d’affilée. Elle avait aussi signé un nouveau record d’altitude l’année suivante en dépassant les 8000 m. Si le CEO de Longines, Matthias Breschan, a décidé cette année de soutenir SolarStratos, c’est qu’il voit dans ce projet romand «une magnifique aventure solaire qui réunit courage et force mentale pour franchir tous les obstacles et repousser les frontières.»

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L’équipe technique étudie donc les données de vol pour maximiser l’efficience de tous les composants.

© Fred Merz | lundi13

Mais avec SolarStratos, s’il est là aussi question d’altitude record, les frontières à dépasser seront d’abord technologiques et surtout porteuses d’un message à un monde qui doit décarboner d’urgence ses sources d’énergie. Ce sera le seul Soleil qui devrait permettre cette fois à un humain et à son avion de voler dans la stratosphère. On sera loin des «exploits» que se sont offerts récemment les milliardaires Richard Branson et Jeff Bezos avec leur modèle respectif de fusée pour atteindre 86 et 107 kilomètres en quelques minutes avant de redescendre tout aussi rapidement sur Terre.

A Payerne, dans le hangar de l’avion, la petite équipe de SolarStratos fait dans la dentelle, énergie électrique et solaire oblige. Il s’agit d’économiser le moindre watt pour optimiser la chaîne énergétique, gagner le moindre gramme aussi et affiner sans cesse l’aérodynamisme. Et parfois, comme pour tout prototype, les choses se passent mal, comme en 2018 quand une aile se brise lors d’un test de résistance au sol.

L’instigateur du projet, Raphaël Domjan, nous énumère les innovations dont bénéficie son avion quatre ans après son premier vol d’essai: «Nous avons bien sûr dû changer les ailes et donc les cellules solaires, qui atteignent désormais 25% de rendement (c’est-à-dire transforment 25% de l’énergie lumineuse en électricité, ndlr), mais nous avons aussi changé l’empannage de profondeur pour gagner du poids. Le système électrique est totalement neuf, avec notamment de nouvelles batteries. Entre l’année de la construction en 2016 et aujourd’hui, la technologie a tellement progressé qu’il fallait mettre l’avion à niveau. Cela complique forcément le projet, car chaque innovation exige une certification officielle. C’est mon premier projet aéronautique, mais je peux déjà affirmer que ce sera le dernier, car, par rapport au bateau solaire PlanetSolar par exemple, les contraintes administratives de l’OFAC prennent énormément de temps. Ce n’est pas une critique, car l’OFAC n’est pas formaté pour des aventures hors du commun comme celle-ci.»

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L’aventurier neuchâtelois s’apprête à voler seul à bord de l’avion solaire et profite encore des conseils de son mentor. Mais la météo doit répondre à des critères très exigeants pour que SolarStratos puisse décoller.

© Fred Merz | lundi13

Et le vol record, c’est pour quand? Il va falloir encore être patient: «Le vol stratosphérique, ce sera pour 2023. Mais avant ça, il y a un record intermédiaire à battre, celui du vol entièrement électrique et solaire détenu par SolarImpusle avec 9400 m, explique Raphaël Domjan. Nous visons donc les 10 000 m dans un premier temps.»

Mais la stratosphère, les 20 000 m, demeure encore un territoire susceptible de provoquer de très mauvaises surprises: «A cette hauteur, l’avion pourrait entrer en résonance et se désintégrer. Nos tests de résonance au sol se sont révélés plutôt rassurants à cet égard, mais, en situation réelle, il reste toujours des inconnues. C’est ça l’exploration, c’est une progression lente et patiente.»

Pour le pilote d’essai Miguel A. Iturmendi, SolarStratos est certes un avion très spécial, mais son comportement est comparable à celui d’un planeur de compétition avec ses ailes démesurément longues par rapport à son fuselage: «La caractéristique d’une telle configuration, c’est la vitesse très lente, 70 km/h environ, et sa modeste vitesse ascensionnelle de 2 ou 3 m par seconde. Et comme les planeurs, il ne faut jamais faire pencher l’avion à plus de 20 degrés sur le côté. Le pilotage doit donc être prudent, mais n’implique pas non plus des talents hors du commun. Ce qui est merveilleux une fois en vol, c’est de constater que l’appareil consomme moins d’énergie qu’il est capable d’en engranger.»

Sur le plan purement énergétique, SolarStratos est en effet déjà dans ses marques en consommant 3 kW en vol stabilisé, tout en recueillant 5 kW d’énergie solaire en conditions d’ensoleillement idéales. «Nous comptons aussi sur l’énergie des batteries, précise Raphaël Domjan. Mais attention, pour les vols record, nous sortons l’avion du hangar avec les batteries déchargées. Nous laissons le Soleil les charger avant de décoller, puis, à l’atterrissage, les batteries devront avoir stocké au moins autant d’énergie qu’au décollage. Cette exigence permet de dire que tout le vol a été effectué à 100% à l’énergie solaire.» Il faudrait juste, désormais, que le Soleil soit plus souvent au rendez-vous qu’il ne le fut cette année.

Par Philippe Clot publié le 2 septembre 2021 - 08:12