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Interview

Rébecca Balestra: «En accouchant, j’ai cru mourir puis renaître»

Connue à la fois pour ses rôles profonds sur scène et ses chroniques volontiers trash aux «Beaux parleurs», l’actrice et humoriste Rébecca Balestra a eu sa deuxième fille juste avant Noël. Touchante, elle dit son incroyable expérience de la maternité, qu’elle place sur le même plan que son amour pour le théâtre.

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L'humoriste Rébecca Balestra ici en Cléopâtre parle de maternité

Rébecca Balestra en Cléopâtre au biberon dans sa cuisine avec sa première fille, Rosa. Maman et comédienne à la fois, l’état du monde ne l’a pas empêchée de se lancer dans la maternité: «Je n’y ai pas pensé une seconde. Je suis plus stressée par les prochaines étapes de ma vie que par le monde qui va me tomber sur la tête.»

Julie de Tribolet

La jeune Rosa, 2 ans, n’a pas l’air de trouver extraordinairement étonnant de voir sa mère scintiller en costume de Cléopâtre dans la cuisine ou s’afficher en diva extravagante à robe rouge de grande dame. C’est que sa maman est Rébecca Balestra, 35 ans, comédienne, metteuse en scène, humoriste. La chroniqueuse aux mots trash des «Beaux parleurs», au spectacle «Olympia» qui emplit les salles, au stand-up qui aime provoquer en mode sulfateuse. Or la sylphide genevoise vient d’avoir sa deuxième fille; elle a accouché le 23 décembre en catégorie turbo (elle le racontera). Quoi? Tant de cynisme affiché et terminer en suppôt de la maternité, à repeupler une planète qui n’en finit plus de se fabriquer peurs et guerres? Il fallait en avoir le cœur net. 

- Comment s’est passé votre accouchement?
- Rébecca Balestra: Rapidos, comme le premier. Je ne me suis pas rendu compte que j’accouchais, en fait. Comme j’avais des contractions, nous avons fait un monitoring à la maternité. J’étais stoïque, comme d’habitude. A tel point que l’infirmière m’a dit que je n’étais pas en train d’accoucher, que je n’avais pas assez mal. De mon côté, malgré les douleurs, j’avais peur de passer pour une chochotte. Alors on est rentrés à la maison. Mais les symptômes étaient si forts, on est repartis. J’ai failli accoucher dans la voiture, j’ai perdu les eaux dès mon arrivée. Ma fille est venue en deux secondes. 

- Comment l’avez-vous vécu?
- Je suis ravie que la sage-femme se soit trompée. Cela m’a permis d’accoucher sans la péridurale de la première fois. Ce premier accouchement avait été tellement extraordinaire que je pensais que j’allais être déçue. Là, sans péridurale, j’ai eu l’impression de mourir puis de renaître, une aventure initiatique. J’avais les yeux fermés, j’entendais mon mari et l’obstétricien. Leurs voix ont été des guides auxquels je me suis raccrochée. Au théâtre, on dit qu’une deuxième représentation est souvent ratée; là, j’ai eu une deuxième première. 

- Qu’a représenté ce moment?
- Une des grandes expériences de ma vie. Si la douleur est incommensurable (je n’ai pas de mots), on apprend à avoir confiance en son corps, dont les réflexes sont fous. Les grossesses ne m’intéressent pas plus que cela, mais je trouve les accouchements formidables. 

- N’avez-vous pas eu de questionnements avant de devenir mère?
- Juste le questionnement tout court de pourquoi faire des enfants. Pour moi, la question est la même que de faire du théâtre: pourquoi me mettre dans des situations ultra-stressantes, fatigantes, risquées? Or le bonheur et le savoir que j’en retire surpassent les moments douloureux.

- En France, le nombre de naissances a reculé de 6,8% en 2023. En Suisse, la natalité est à son plus bas niveau depuis 20 ans. Comprenez-vous cette situation?
- Evidemment. Qu’ajoute-t-on au monde en faisant un enfant sinon des cris, des pleurs et du plastoc? Moi, je suis restée très égoïste, en voulant juste fonder une famille. Il ne me serait pas venu à l’idée de faire des enfants avant de rencontrer mon mari. Là, je suis avec la bonne personne. J’ai la chance d’avoir un mari très présent, une famille très présente. Mais suivant les conditions où l’on se trouve, il est parfois impossible d’y penser. On a aussi le droit de privilégier sa carrière.

L'humoriste Rébecca Balestra en Cléopâtre au biberon avec sa première fille Rosa

Rébecca Balestra et son mari, l’entrepreneur Marc Gouzer, ont appelé leur fille Rosa pour la force et la féminité de ce prénom. Quant à Allegra, ce fut le premier mot, en romanche, qu’a prononcé la maire de Sils Maria (GR) quand ils se sont mariés là-bas. «J’ai fondu en larmes, j’ai trouvé cela tellement beau», dit-elle.

Julie de Tribolet – Mise en beauté Nicole Hermann

- Vous n’avez pas peur de la misère dans le monde, de la crise de l’énergie, des guerres?
- Je n’y ai pas pensé une seconde. Je me dis que je vais déjà crever au Lignon en reprenant avec deux spectacles à la suite et un nouveau-né pendu à mon sein. Je suis si angoissée par mes petits problèmes que je me dis que je vais claquer de cela. Je suis plus stressée par les prochaines étapes de ma vie que par le monde qui va me tomber sur la tête.

- Même dans le couple le plus égalitaire, c’est souvent la femme qui assume...
- En commençant par l’allaitement, oui. C’est aussi pour cela que travailler est une bouffée d’oxygène, une porte dans mon cerveau. Ecrire, apprendre un texte, monter sur scène, c’est ce que je suis, c’est ce qui me définit. Je ne me bats pas pour faire une sieste, je me bats pour travailler. J’allaite quarante minutes, je berce mon enfant alors que je suis en train d’écrire. A l’inverse, quand je suis surmenée au travail, je me raccroche à mon foyer, ma famille. Cet équilibre entre vie privée et professionnelle me tient debout. 

- Qu’avez-vous à dire aux femmes de votre génération qui doutent?
- Je n’ai pas d’autre conseil que d’écouter leur cerveau ou leurs tripes.

- Vous parlez souvent de votre anxiété. La maternité vous apporte-t-elle de la sérénité?
- Non, comme tous les parents j’ai hyper peur, j’imagine le pire, je fonce sur internet à chaque symptôme. Par contre, et c’est assez fou avec ma personnalité d’actrice égocentrique, le fait d’avoir des enfants m’a décentrée. Se réjouir à ce point pour quelqu’un d’autre que soi, c’est fou. Quand mes enfants sont heureux, je suis encore plus heureuse que quand je suis heureuse. C’est aussi pour cela que j’ai refait un enfant, pour ce bonheur démultiplié, une sensation que je ne connaissais pas.

- Aimez-vous aussi fort votre métier?
- Oui, il m’a poussée à tout un tas d’efforts débiles. Comme jouer «Derborence» à Derborence à 6 heures du matin en claquant de froid ou apprendre des centaines de pages de médicaments pour une pièce sur le suicide. C’est de l’amour. C’est pour cela que je mets la maternité et le théâtre sur le même plan. L’amour me pousse à ce choc d’adrénaline et de bonheur qu’on ressent au théâtre.

- Croyiez-vous être aussi touchée par la maternité?
- Je ne le savais pas. Mais la fiction m’a tant appris de la vie. Grâce à des auteurs ou des livres lus, j’ai pu comprendre la parentalité avant de la vivre. Je pense à «La Côte d’Azur», une pièce sur Romy Schneider écrite par Guillaume Poix. Elle expliquait cet amour viscéral, les mots étaient si bien choisis que j’ai tout ressenti dans mes tripes avant de le vivre. J’ai l’impression que j’ai déjà été mère avant de le devenir.

- Vous affichez volontiers un cynisme absolu. On vous imaginerait envoyer balader l’aspect maternité, le trouver ringard...
- Je suis un paradoxe. J’ai un cynisme absolu et je suis absolument sensible. Dans ma carrière, vous me retrouvez dans un stand-up où je frise la vulgarité et dans des projets plus poétiques.

- Rien ne changera dans vos chroniques des «Beaux parleurs», alors?
- Ce n’est pas parce que je deviens mère que je vais me passer de mes outils d’autrice. Je dis des mots crus, vrais, poétiques; j’écris avec mes tripes et rien ne change. Je suis la même personne, je suis mère comme je suis femme et actrice. L’idée de la maman est pour moi comme l’idée du personnage de théâtre: cela n’existe pas. Ce n’est pas le rôle de Phèdre qui se trouve sur une scène: c’est nous, avec notre vérité.

- Gronderez-vous vos enfants avec des gros mots?
- Ah non, jamais. Je trouve pourtant des mots comme «chtouille» ou «chiasse» sympathiques, c’est un vocabulaire qui se perd. Il y aura sans doute une tirelire à jurons où je devrai raquer à chaque «merde». Ce qui est surprenant, c’est que mon recueil de poèmes «Minuit Soleil» est étudié au collège en Suisse romande. Plus que des expressions vulgaires, il s’agit d’argot, de patois, de mes racines. Je trouve beau et drôle que des mots comme «derche» ou «nosta’» puissent être transmis dans un cadre éducatif. 

L'humoriste Rébecca Balestra avec ses filles Rosa et Allegra

Moment de complicité entre Rébecca Balestra (35 ans) et ses filles Rosa et Allegra, nées en janvier 2022 et décembre 2023. «Elles me donnent de la force et de l’inspiration», dit la comédienne genevoise, vêtue d’une robe caftan du spectacle «Olympia». Formée à La Manufacture, elle a lancé en 2021 cette création musicale et poétique puis un stand-up en 2022, tout en devenant chroniqueuse au vitriol dans l’émission «Les beaux parleurs».

Julie de Tribolet – Mise en beauté Nicole Hermann

- Et les moments à soi?
- Etre moi-même, c’est apprendre ou écrire un texte. J’ai envie de laisser à mes filles l’idée qu’une femme peut avoir un univers qui n’appartient qu’à elle. Je ne travaille pas pour amasser de l’argent. Je le fais parce que je m’aime ainsi, c’est ma place. J’ai écrit mon stand-up en allaitant ma première fille, j’ai joué enceinte de mes deux enfants, je rêve à des spectacles et je répète mes textes quand mes bébés dorment contre moi. Mes filles me donnent de la force et de l'inspiration. J'espère que je leur en donnerai aussi et qu’elles ne me tiendront pas rigueur des soirs où je ne peux pas les coucher parce que je suis sur scène. 

- La dimension de la beauté vient souvent…
- Trouver du beau dans la bassesse du quotidien, c’est mon spectacle «Olympia». En ce moment, j’ai des cernes noirs sous les yeux, je suis dans une nuit blanche infinie emplie de vomis et de cacas. Or il se glisse des accalmies où je regarde le bébé et je me dis: «La vie est vachement belle.»

>> Rébecca Balestra est de retour dans «Les beaux parleurs» (RTS La Première). Spectacle «Olympia» et stand-up les 2 et 3 février au Lignon (GE). Lecture d’une nouvelle de Ramuz le 9 mars au Théâtre 2.21 (Lausanne). Réimpression au printemps du recueil de poèmes «Minuit Soleil», avec code QR vers des audios musicaux. Stand-up les 15, 16 et 17 mars à l’Arsenic (Lausanne).

Par Marc David publié le 2 février 2024 - 06:28