Nous sommes le 6 juillet 2003. Ce jour-là, Roger Federer signale au monde entier qu’il faudra le compter parmi les plus grands sportifs de sa génération. Il passe en effet à la postérité en décrochant sa première victoire à Wimbledon. En même temps que son irruption définitive au sommet de l’univers du sport, une réflexion mûrit chez ce conquérant de 22 ans et elle dépasse largement les limites d’un court de tennis. Il veut «restituer à l’humanité une partie du bonheur [qu’il] éprouve». C’est à cet instant précis que naît la Fondation Roger Federer. Andre Agassi, alors numéro un ATP, incite le jeune Suisse à s’engager dans le domaine philanthropique. L’Américain l’admet: «Si c’était à refaire, j’aurais mis sur pied ma fondation bien plus tôt. Je ne connais pas de meilleure école de la vie.»
Janine Händel, juriste diplômée et spécialiste des fondations, est CEO de la Fondation Roger Federer depuis 2010. Elle explique la création de l’organisation caritative privée en évoquant les racines de Federer en Afrique du Sud. Tout en insistant sur la remarquable cohérence de ses actions: «Roger a délibérément tenu à prendre ses responsabilités et à façonner le projet. Il est le garant du contenu et de la qualité de sa fondation par son nom et par son engagement.»
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La Fondation Roger Federer se consacre essentiellement à la formation en général et à l’éducation précoce en particulier. Si Roger Federer a d’abord découvert ces domaines par le biais d’études et de seconds avis, c’est la naissance de ses propres enfants qui a encore renforcé sa prise de conscience. Il déclare: «Il est toujours étonnant de voir à quelle vitesse les jeunes enfants apprennent et se développent, pour autant qu’ils en aient la possibilité. Cette prise de conscience a donné à mon engagement en Afrique une intensité inédite.»
La maman de Roger Federer, Lynette, est à l’origine de son engagement en faveur de l’Afrique. Née Lynette Durand en 1952 à Kempton Park, près de Johannesburg, elle fait découvrir son pays natal à son fils dès son plus jeune âge. Elle emmène Roger en Afrique du Sud pour la première fois alors qu’il n’a que 3 mois. Quand on lui demande dans quelle mesure l’Afrique du Sud coule dans les veines de son fils, Lynette Federer répond: «J’ai l’impression que sa décontraction, son ouverture d’esprit, son affabilité et sa drôlerie sont plutôt des traits sud-africains. Mais mon mari, Robbie, est lui aussi très drôle.» Sa maman discerne également son pays d’origine dans l’enthousiasme de Roger pour le sport, qui est marqué par l’Afrique du Sud: «Ce que la victoire de l’équipe de rugby à la Coupe du monde 2019 a déclenché est complètement fou.»
Chaque voyage dans le sud de l’Afrique au nom de la fondation de son fils est toujours un événement émouvant pour Lynette Federer: «Constater les effets bénéfiques de notre engagement représente une expérience formidable. C’est génial de partager ces moments de joie avec mon fils. Ils nous rapprochent encore plus. C’est aussi très agréable de constater à quel point Roger aborde les enfants rapidement et aisément. Il a l’Afrique dans le sang et surtout dans le cœur.»
A l’exception du projet au Zimbabwe, où Roger Federer a voulu éviter d’offrir une plateforme médiatique au dictateur Robert Mugabe, la star du tennis a personnellement inspecté tous les programmes d’assistance. Sa notoriété ne revêt que peu d’importance. La plupart du temps, ni les élèves ni les enseignants ne le connaissent. Amusée, Janine Händel raconte: «Dans les régions essentiellement rurales, les gens n’ont pas la télévision. Ils ne peuvent même pas concevoir qu’il soit possible de gagner de l’argent en jouant avec une balle.» Un jour, un enseignant a demandé à Roger Federer quel sport il pratiquait. Comme il ne connaissait pas le tennis, Roger a dessiné un court et une raquette au tableau. C’est alors que le professeur a crié joyeusement: «Ah, tu joues au ping-pong!» La responsable poursuit son récit avec émotion: «Il est toujours génial d’observer Roger dans un jardin d’enfants. Bien que les enfants africains habitant dans des zones rurales soient généralement très timides, Roger sait briser rapidement la glace. Les enfants le touchent, lui ébouriffent les cheveux et jouent avec lui.» La familiarité s’installe naturellement.
Quel que soit l’angle sous lequel on l’étudie, la Fondation Roger Federer est une success-story qu’il est facile de comparer au bilan sportif de son fondateur. Alors que Roger Federer l’a lancée en 2003 avec un capital initial de 50 000 francs, la fondation a déclaré des actifs de 19,4 millions de francs en 2020. Chaque année, elle consacre 7 millions de francs à des projets. Même la fondation la plus sérieuse n’est cependant pas à l’abri de revers: «Nous devons sans cesse nous adapter aux conditions locales et ajuster les projets», déclare Janine Händel. Au Malawi, les responsables ont par exemple constaté, sur la base des retours d’expériences et d’enquêtes statistiques, que les enseignants ne progressaient pas. Cet immobilisme résultait du niveau intellectuel trop élevé du programme de formation. Elle explique: «Nous nous sommes rendu compte un peu tardivement que de nombreux enseignants étaient analphabètes et qu’ils n’arrivaient pas à suivre nos programmes. Nous avons donc dû simplifier la formation pour que son niveau soit réaliste.»
Dans le cadre du modèle de la fondation, le risque que l’argent versé ne soit pas investi de manière adéquate sur le terrain est relativement faible: «En fin de compte, nous ne nous engageons pas dans de grands projets d’infrastructures. Nous collaborons avec des partenaires locaux qui supervisent de près la mise en œuvre.» Il est néanmoins impossible d’éviter entièrement les pertes. C’est ainsi que deux «responsables financiers» locaux ont été reconnus coupables de fraude pour des sommes respectives de 1500 et de 7000 dollars. Janine Händel s’interroge: «Il est difficile d’imaginer que des gens risquent une peine de prison pour de si faibles montants.»
Roger Federer tient à être toujours informé de tous les processus: «Il veut savoir exactement où nous intervenons et comment l’assistance est accueillie sur place. On sent que le travail de la fondation le touche personnellement, affirme Janine Händel. Son action au sein de la fondation constituera probablement l’une de ses principales activités une fois qu’il se sera retiré du circuit du tennis professionnel.»
La première édition du Match for Africa (Match pour l’Afrique) au Hallenstadion de Zurich, qui l’avait opposé à Rafael Nadal en 2010, fut un jalon important de l’histoire de la fondation. Roger Federer se remémore encore aujourd’hui ce temps fort avec enthousiasme: «Cet événement restera un moment crucial pour moi. C’était notre toute première grande manifestation en faveur de la fondation. Avec des dons totalisant plus de 2,8 millions de francs, le succès fut éclatant.» Rafael Nadal, tout comme Andy Murray ou Stan Wawrinka, participe à titre gracieux à de tels événements caritatifs. Le principe de la réciprocité s’applique. Roger Federer prend part lui aussi à des événements organisés par les fondations de ses confrères sportifs.
Il est profondément touché lorsque la fondation célèbre son dixième anniversaire, en 2013: «Constater à quel point nous sommes en mesure d’aider chaque année près de 50 000 enfants à accéder à une éducation de qualité me remplit d’humilité et de joie. En février, j’ai pu rendre visite à 150 d’entre eux dans leur école enfantine de Limpopo, en Afrique du Sud. Ce fut un moment magique pour moi. Je ne connais pas de meilleure motivation pour notre engagement que de regarder ces enfants jouer, bouger et interagir. Dans ce contexte, je me réjouis des dix prochaines années de la Fondation Roger Federer et j’espère que des individus qui partagent ma conception de la vie m’accompagneront tout au long de ce périple.»
Bill Gates est l’un d’eux. Sa fondation, qu’il soutient avec son ex-femme Melinda, est une référence centrale en matière de philanthropie pour Roger Federer: «Bill et Melinda sont de vrais modèles à mes yeux. Leurs connaissances et leur carnet d’adresses sont très précieux. Les rencontres avec eux m’ont inspiré et m’ont conforté dans mon approche.»
Après son retour fulgurant à la suite d’une grave blessure, Roger Federer fixe également des objectifs ambitieux pour la fondation en 2017 et les associe aux efforts que consentent les politiciens dans le monde. Voici ce qu’il écrit dans le rapport de la fondation à ce propos: «Dans le cadre de l’Agenda 2030 des Nations unies, il faut par exemple éradiquer la pauvreté et la faim et garantir une éducation de qualité à tous les enfants. Une telle ambition peut sembler utopique compte tenu des besoins immenses. Depuis l’adoption de cet ensemble de mesures en septembre 2015, la société a connu un sursaut tangible. Un nouveau partenariat mondial a en effet été conclu entre tous les acteurs, qu’ils soient privés ou publics ou qu’ils viennent du monde des entreprises. Chacun d’entre eux est appelé à contribuer à l’effort visant à atteindre les objectifs fixés.» La Fondation Roger Federer participe activement à l’opération. Jusqu’à fin 2020, 1,75 million d’écoliers et 7570 écoles et jardins d’enfants ont en effet bénéficié de ses programmes éducatifs. La fondation a également formé 25 150 enseignants. Et Janine Händel de préciser: «Notre efficacité est un indicateur plus pertinent que le montant des sommes que nous versons.»
Le grand public peut constater par lui-même les apparitions spectaculaires du fondateur. Le semestre hivernal 2019-2020 a ainsi été placé sous le signe du Match in Africa qui s’est tenu au Cap. Une expérience émouvante pour Roger: «La soirée du 7 février 2020 restera à jamais gravée dans ma mémoire comme un moment magique. Aux côtés de plus de 51 000 fans frénétiques, d’amis et de membres de la famille, nous avons assisté à un festival de tennis inoubliable et établi un record mondial de fréquentation. Les enfants et les jeunes de l’école de cirque Zip Zap et de la chorale des jeunes Ndlovu ont envoûté toutes les personnes présentes avec leur spectacle et leur ont rappelé que la manifestation était organisée au profit d’enfants.»
Les recettes, qui ont dépassé la barre des 3,5 millions de dollars, ont été affectées à des projets éducatifs dans la région. Sur le plan financier, cette manifestation a été le point d’orgue de l’histoire de la Fondation Roger Federer. Elle comptait toutefois beaucoup plus pour Roger. Elle lui a permis de renouer avec ses racines et l’a encouragé à rendre, à l’avenir, le monde meilleur pour autant d’enfants que possible grâce au travail de sa fondation.
Actions en Suisse
La Fondation Roger Federer accomplit aussi de bonnes actions en Suisse. Elle se concentre surtout sur l’assistance extrascolaire proposée à des enfants frappés par la pauvreté. Un coach soutient les parents de familles défavorisées sur le plan éducatif afin qu’ils puissent aider leurs enfants à accéder au jardin d’enfants et à l’école. La fondation finance aussi des terrains de jeux proches de la nature et des espaces de détente. Elle soutient des garderies accueillant une forte proportion d’enfants issus de familles pauvres. La fondation vient par ailleurs en aide chaque année à 40 jeunes sportives et sportifs provenant de milieux défavorisés par le biais de la fondation Aide Sportive Suisse, principalement dans des disciplines sportives marginales.
>> Pour en savoir plus sur les actions de la Fondation Roger Federer en Suisse et à l'étranger, rendez-vous sur rogerfedererfoundation.org