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Thomas Wiesel: «J’ai adopté un rythme de vie plus serein»

Le coronavirus aura valu à l’humoriste lausannois Thomas Wiesel une chronique dans L’illustré, mais il l’a d’abord et surtout privé de scène en pleine tournée. Rencontre à distance avec un bosseur solitaire qui a quand même mis une semaine pour apprivoiser les conséquences psychologiques du confinement.

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Thomas Wiesel, aussi connecté que sa grand-mère. Valentin Flauraud

Il est tellement talentueux qu’il est drôle par anticipation: son nouveau spectacle, lancé en février, s’appelait «Ça va». Quand Thomas Wiesel remontera sur les planches, méfions-nous donc s’il rebaptise son spectacle «Ça va mieux». Représentant d’un monde du spectacle à l’arrêt total pour de longues semaines encore, le Lausannois ne se laisse pourtant pas abattre. Hormis les conséquences financières, cet hyperactif semble même trouver dans ce bouleversement une occasion de ressourcement.

- Comment vivez-vous de manière générale ce confinement?
- Thomas Wiesel: Au niveau professionnel, je suis bien sûr très pénalisé. Mon métier est un des premiers à avoir été interdit et sera un des derniers à être à nouveau autorisé. J’ai une Sàrl de laquelle je suis salarié, mon associé s’est occupé des démarches pour mettre tout le monde au chômage partiel, et lui et moi devrions pouvoir toucher le forfait pour les dirigeants salariés de leur entreprise.

- Et psychologiquement?
- Comme je passais déjà beaucoup de temps chez moi, je suis moins affecté que les gens qui avaient un besoin quasi vital de sortir et de voir du monde. Je suis plutôt casanier et solitaire, je ne souffre donc pas mentalement. De plus mon père, qui est médecin, et donc particulièrement soucieux de la bonne santé de sa tribu, m'a demandé de passer cette période chez lui. Du coup j'ai un jardin, ce qui est un privilège dans ce contexte.

- Il vous a quand même fallu quelques jours d’adaptation, non?
- Les cinq ou six premiers jours, j’étais en effet dans une sorte d'état de choc, d'épuisement, d'inquiétude sur l'avenir. Puis des habitudes se sont mises en place et ont fait baisser l'état de stress initial. Je regarde les conférences du Conseil fédéral, je fais du sport dans le jardin, je fais des vidéos pour les réseaux sociaux, je travaille en fait beaucoup et très sereinement. J'ai vite apprivoisé ce nouveau contexte. Mais c'est plus simple pour moi, que pour le personnel de santé qui doit se lever tous les matins ou faire des veilles à répétition pour sauver des vies.

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n/a Valentin Flauraud

- Le plus difficile dans cette nouvelle donne?
- Le plus difficile, à un niveau purement égoïste, c’est quand j’ai été mobilisé par la protection civile, pour deux semaines. J’avais l’impression de bien maîtriser ma routine de confinement, d’être productif et de maintenir une bonne santé mentale, et j’ai assez mal encaissé la nouvelle que je n’allais plus être maître de mon temps pendant quinze jours. J’ai été affecté dans un poste de commandement au CHUV pour filer un coup de main administratif aux employés surchargés ces temps. Je n’y suis vraiment pas allé de gaité de cœur, et c’était assez crevant de continuer à faire mon job en plus de la PC. Mais je crois que j’ai été utile. Et j’avais pas tellement le choix.

>> Lire sa chronique «Huis clos» de la semaine: «Servir»

- Qu'est-ce qui vous manque le plus?
- Bizarrement, ce sont les choses désormais interdites, alors que ce n'était pas ce que je préférais. Boire des verres avec des amis, cela me manque un peu alors que j'étais le premier à décliner une invitation à sortir. C'est de la psychologie contradictoire. Et ne plus voir mes grands-parents et mon ancien manager, qui est une personne à risque en raison de problèmes de santé, cela m’attriste. J’aimerais pouvoir les soutenir.

- Les bons côtés?
- Comme pour beaucoup de gens, c'est, je crois, l'occasion de découvrir un rythme de vie plus serein. Les gens comme moi se sentent presque stimulés par cette baisse de cadence. Je me concentre mieux sur les tâches que je peux encore faire dans ce nouveau contexte. Mais pour la minorité de gens qui exercent un métier essentiel, la pression a au contraire augmenté. Il est justement amusant de vérifier que la majorité des métiers ne sont pas essentiels. C’est plaisant aussi de voir que les gens qu'on plaçait plutôt au bas de l'échelle sociale, on les applaudit désormais tous les soirs et qu’on demande qu'ils aient de meilleures conditions de travail.

- Donc ce corona est plutôt une bonne chose pour vous?
- Non, car toutes ces personnes qui souffrent et qui meurent, c'est tragique. Il n’y a pas de cynisme possible. Et puis voir notre société aussi fragilisée par cette épidémie, c'est l’inconfortable démonstration de sa fragilité économique. Car ce virus a beau ne pas tuer tout le monde comme dans un livre d'anticipation, il faut constater qu'un pays aussi structuré que la Suisse a des centaines de tanks en état de manche mais pas de réserve de masques médicaux pour assurer le minimum de protection. C'est la démonstration qu'on était à la rue.

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Une session Skype avec une bière et un autre T-shirt à motif. Valentin Flauraud

- Vous l’avez vu venir de loin, cette situation sans précédent?
- Non. Comme la matière première de mon travail, c'est en partie l'actualité, j'ai pourtant bien suivi ce virus et je l'ai d'abord minimisé, notamment parce que les chiffres fournis par la Chine étaient sans doute édulcorés. Le premier sketch que j'ai écrit sur le sujet consistait à dénoncer le racisme anti-asiatique apparu quand le premier cas de malade a été annoncé en Europe. Puis les cas se sont multipliés en Italie, ce qui changeait la donne. Le tournant, pour moi, c’est quand les dates de spectacle ont commencé à être annulées. Monter dans un train sans savoir si je pourrais donner mon spectacle, c’était spécial.

- La réalité vous a au fond rejoint sur scène?
- Oui, tout à fait. D’ailleurs un soir, je descendais justement de scène où je venais de faire plein de gags sur le coronavirus et mon père m'a appelé pour m'informer que le fiancé de ma sœur était suspecté d'avoir contracté le virus, à un moment où il n'y avait encore qu'une dizaine de cas déclarés en Suisse. Je me suis dit que c'était le karma qui me rattrapait et me ramenait à l'ordre. Puis d'autres membres de ma famille l'ont contracté et cela m'a obligé à aborder autrement ce thème.

- Vous avez 30 ans, donc presque aucun risque mortel. Mais vous avez très vite montré sur les réseaux qu’il fallait prendre ce danger au sérieux.
- Dès qu'on comprend qu'on peut contaminer d'autres personnes à risque, le civisme et la solidarité s'imposent automatiquement. Et comme avec d'autres humoristes, nous avons fait une campagne très tôt pour promouvoir les bons gestes à adopter, c’était la moindre des honnêtetés intellectuelles d’être cohérent avec ces quasi leçons de morale.

- Eprouvez-vous quand même des sentiments de solitude parfois?
- Non ça va. Le contact physique me manque quand même un peu. Ne plus pouvoir taper dans la main d'un pote, faire un câlin, ça ne peut pas être remplacé par les outils de communication numériques à distance. A part quoi, ces outils nous permettent d'avoir des nouvelles immédiates. J’en suis presque reconnaissant envers les géants du web…

- Et pas de copine pour vivre tout ça à deux?
- Non, célibataire en confinement. J'aurais dû y penser avant.

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Thomas Wiesel dans la vie normale. Valentin Flauraud

- Le moment le plus drôle de cette crise?
- Philippe Leuba au TJ, le conseiller d’Etat vaudois responsable de l'Economie. Chacun de ses mots, on sentait qu’il allait les regretter. Là je me suis dit qu’il m’offrait de la matière pour six minutes sur scène. On avait l'impression qu'il n'avait pas pris la mesure de ce qui arrivait sur le plan médical. C'était un ministre de l'Economie qui, avec son ton à la fois martial et terrien d'ancien arbitre de foot, faisait la leçon aux gens en leur disant de continuer à aller au restaurant quatre jours avant que tombe l'ordre de se confiner. On voyait qu'il était en train de se mettre un pied dans la bouche et c'était irrésistible, ce comique involontaire. Et j’ai bien ri aussi de l’interdiction de jouer au jass de Madame Sommaruga. Il y a aussi eu la fameuse petite phrase de Berset, qu’il a pris le soin de répéter 3 fois pour bien qu’elle s’imprime, j’ai senti rapidement qu’elle allait marquer les esprits durablement. Dans le même exercice, Parmelin a été beaucoup moins heureux et j’imagine que l’oreiller va lui coller aux basques longtemps.

- Des indignations?
- Cette histoire de masques dont on avait pas prévu de stocks, je trouve ça scandaleux.

- Vous suivez de près l’actualité internationale. Quelles différences culturelles vous ont-elles frappé dans la manière de réagir à cette pandémie?
- C'est justement de constater à quel point cette crise aplanit les différences. J'ai en effet l'habitude de m'informer beaucoup sur la politique internationale dans la mesure où je travaille dans différents pays. Or, à l’exception des nuances de communication, tout a été uniforme. Même dans les pays latins, les gens restent cloîtrés de manière disciplinée. La crise nous révèlent plus comme des humains similaires que comme des énergumènes diversifiés. Quand c'est une question de vie ou de mort, nous sommes pareils. Je n'avais jamais vécu une situation où le monde entier fait face au même gros problème, comme ce fut le cas durant les grandes guerres ou les pires crises économiques. Là, je peux parler avec des humoristes au Québec et leurs anecdotes de confinement pourraient s'être passées ici en Suisse.

- Une héroïne, un héros dans cette crise?
- Non pas d'individu particulier. On l'attend encore. Ce sera celle ou celui qui trouvera le vaccin. Sinon ce sont les travailleurs de la santé et des autres services indispensables qu'on applaudit tous les soirs.

- Et en politique?
- Oui il y en a qui m'ont heureusement surpris. Alain Berset gère ça plutôt bien. Il aurait pu faire nettement pire en tout cas.

- Le pire salaud dans cette crise?
- Seulement quelques «covidiots», c’est-à-dire les gens qui ont mis du temps à comprendre. Ceux qui, en Belgique par exemple, ont organisé des lock-down festifs, des fêtes confinées, et qui sont tous tombés malades. Ou bien cette influenceuse sur le web qui léchait une cuvette de toilette pour montrer qu'elle n'avait pas peur du virus. Mais le karma s'occupe d'eux et leur donne des raisons d'être moins bêtes. J'ai eu un peu d'énervement aussi contre les gens qui ne comprenaient pas que leur chiffre d'affaires était moins important que la santé de leurs employés. L’affaire révélée cette semaine que des entreprises suisses ont exporté des tonnes de précieux matériel médical au plus offrant juste avant que la pénurie frappe nos hôpitaux m’a aussi fait bouillir le sang.

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Ce grand bosseur n’a pas chômé ces deux derniers mois, avant tout pour réaliser des vidéos et jusqu’à ce qu’une lettre jaune de la protection civile ne le convoque au CHUV. Valentin Flauraud

- Le truc le plus sympa?
- Les gens qui nous remercient, nous les humoristes, de les faire rire sur nos pages Facebook. Certains malades du Covid-19 m'ont dit que cela leur avait fait du bien au moral de rigoler quelques minutes par jour. Des infirmières et des toubibs aussi qui m’ont remercié de les faire rire pendant leur pause et que cela leur donnait de l’énergie. Et puis ma grand-maman, qui est très connectée et en confinement, qui m'envoie des SMS pour me dire qu'elle a aimé telle ou telle vidéo, ça me fait très plaisir.

- Quelles conséquences à long terme pensez-vous que cette crise aura dans le monde?
- J'espère que les faiblesses de notre modèle actuel que cette crise a mises en évidence vont être corrigées. Ce serait con de ne pas tirer des conclusions utiles, comme cette dépendance envers l'Asie en matière de masques sanitaires. La délocalisation par le profit au détriment du bon sens, on a pu vraiment voir ce que cela donne. Une de mes têtes de turc favorite, ce sont les traders. Et ces temps, on voit qu'ils veulent surtout sauver leurs billes et aggraver ainsi la crise. Donc cette crise sera je l’espère l'occasion d'inverser certaines valeurs. Et aussi de respecter enfin cette planète puisque ces nouveaux virus sont aussi une conséquences des dommages que l'on fait subir aux écosystèmes.

- Vous en sortirez optimiste?
- Pas tellement je crois. Quand on entend les commentaires des experts, c'est toujours le PlB qu'il faudra sauver à Davos. Est-ce qu'on veut vraiment conserver toutes ces compagnies aériennes? Bref, je crains que cette économie n'écrase tout sur son passage, d’autant plus qu'elle est actuellement malade.

- Qu’est-ce qui va changer dans votre métier d’humoriste?
- La grosse difficulté, ce sera d’être original, car tous les humoristes vont tous être inspirés par ça. Et pas seulement les humoristes; les séries TV, les films aussi, surtout que les scénaristes en Californie sont eux aussi tous confinés dans leur villa d’Hollywood. On va en bouffer des histoires de confinement!

- Votre spectacle actuel était en milieu de tournée. Vous allez devoir le modifier quand les salles ouvriront à nouveau leurs portes?
- Oui sans doute. Mais bon je disais déjà dans ce spectacle que j'aimais rester chez moi à ne rien faire. Mais ma manière générale d'essayer de faire rire ne changera pas. On ne peut pas changer ça.

- Ce coronavirus, c’est comme l’irruption d'un scénario de science-fiction dans la réalité. Cela va changer durablement les individus?
- Jusqu’à un certain point, oui. Ces interdictions inédites vont nous faire apprécier plus que jamais la liberté. En Israël, au moment du confinement, j’ai vu des tweets qui demandaient aux Israéliens ce que ça faisait de vivre comme les Palestiniens de la bande de Gaza. Mais je connais aussi des gens qui sont déjà en train de planifier des voyages lointains pour cet automne en se disant que ce sera moins cher. Les habitudes sont trop ancrées pour imaginer une révolution des consciences.

- Vous avez fait HEC, c'est quoi votre analyse de la crise économique en marche?
- Je ne sais pas si mon diplôme HEC, qui dort dans un tiroir, me donne la moindre légitimité pour une analyse économique. J'ai seulement l'impression que si on continue de valoriser les profits et les dividendes, on va se casser la gueule. J'ai d'ailleurs trouvé stupéfiant que des politiciens demandent de verser moins de dividendes dans le contexte actuel. Comme si on admettait enfin que rémunérer le capital était moins primordial que rémunérer le travail. C'était déjà un des trucs qui m'énervait le plus, le fait que le meilleur moyen de gagner beaucoup d'argent c'était d'avoir, à la base, beaucoup d'argent. Les bonnes entreprises seront celles qui auront préservé la santé et les postes de leurs employés, pas celles qui auront louché sur leur bilan comptable.

- On va s'en sortir comment de cette crise économique selon vous?
- J'imagine que les pays qui avaient un filet social solide s'en sortiront le moins mal. Les Etats-Unis risquent donc de beaucoup souffrir.

- Le revenu minimal universel, largement refusé par les Suisses, revient un peu sur le tapis avec cette crise. Vous vous en réjouissez?
- Des bonnes idées comme celle du revenu universel, qui échouent à 78% en votation, ne reviennent pas d'habitude aussi rapidement dans le débat. Je l'avais défendue à l'époque, cette initiative, car cela valorisait des statuts comme celui de proche aidant. Et cette crise permet de vérifier l’utilité de ces rôles. Les leaders économiques qui répètent en boucle que le pire danger pour la santé économique, c'est le social, vont peut-être devoir changer de refrain. Car le pire danger économique, c'est visiblement cette économie elle-même.

- Il y aura un peu de nostalgie quand le déconfinement sera achevé?
- Il y aura des aspects qui vont certainement nous manquer. J'ai fait du sport tous les jours depuis le début du confinement. Cela ne m'était jamais arrivé dans la vie. Dans six mois, je me dirai que j’étais en pleine forme à l’époque.

>> Lire le témoignage de sportifs romands en confinement

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  Valentin Flauraud

- Quels sports?
- Ces vidéos d'exercices, de challenges, des trucs en ligne à la mode sur YouTube que m’envoie ma sœur.

- Si un déconfinement total se produisait – ce qui ne sera pas le cas – du jour au lendemain, que feriez-vous en premier? Une beuverie avec vos meilleurs amis?
- Je n'ai jamais été porté sur les beuveries. Mais là, peut-être qui si on me le proposait, je me laisserais convaincre. Non, en fait, je me précipiterais sur scène pour donner un spectacle. Et j’irais voir mes grands-parents.

- Le truc anecdotique qui vous restera de ce confinement?
- Un petit service de Netflix qui permet de voir un épisode en même temps avec des amis et donc de faire des commentaires ensemble sur FaceTime.

>> En attendant de retrouver l’humoriste sur scène, on peut le suivre sur internet, notamment sur son site www.thomaswiesel.com et sur sa page Facebook www.facebook.com/thomaswieselcomedy

>> ... et via sa chronique «Huis clos» (deux récents volets ci-dessous): 


Par Clot Philippe publié le 7 mai 2020 - 09:20, modifié 18 janvier 2021 - 21:10