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Couronne d'Angleterre

Harry et Meghan, les raisons de la guerre contre Buckingham

Meghan et Harry ont dit leurs quatre vérités en se posant en victimes d’une institution obsolète lors d’une interview accordée à Oprah Winfrey sur CBS. Idées suicidaires, racisme et mensonges: ils ont lavé leur linge sale en public pendant deux heures. La reine riposte. Mais pourquoi et comment en est-on arrivé là? Décryptage.

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Oprah Meghan and Harry Interview

Les révélations explosives de Meghan et Harry face à la prêtresse des talk-shows américains, Oprah Winfrey, ont ébranlé la monarchie et secoué l’opinion.

Joe Pugliese/Harpo Productions/AP/Keystone

Harry et Meghan contre le palais de Buckingham: l’interview offensive et dévastatrice, accordée par le couple à l’Américaine Oprah Winfrey dans la nuit de dimanche à lundi, a tenu ses promesses. Elle a ébranlé l’image de la couronne, préoccupée par la santé du prince Philip, opéré du cœur à bientôt 100 ans. En prenant la parole publiquement et en couple au sujet de la famille royale et des raisons de leur départ, les «dissidents» se sont d’emblée posés en victimes du système. Une institution obsolète qu’il fallait fuir à tout prix. Elle les privait de leur liberté de geste et de parole, de leurs avantages, notamment financiers, s’arrangeait avec la vérité, menaçait leur santé mentale et se montrait raciste.

Ces révélations-chocs renvoient à celles de Diana, qui, en 1995, séparée de Charles, avait osé franchir, seule contre tous, la ligne rouge, face caméra en révélant: «Nous étions trois dans ce mariage.» Une allusion à Camilla, la maîtresse de son mari. L’interview accordée à la star de la télévision américaine Oprah Winfrey a permis à Meghan et Harry – fragilisés – d’exprimer leur mal-être et leur vérité. L'opération les aide à restaurer une image écornée et à envisager de construire leur avenir sur le sol américain, où l’on raffole de ce storytelling très calculé. Un jeu qui se monnaie cher. Un jeu de la vérité dont ils ressortent gagnants. Leur prestation a été commentée jusqu’à la Maison-Blanche.

Mais qu’a-t-on entendu et appris qui ne soit attendu? La main posée sur son ventre arrondi (elle attend une fille pour l’été), émue aux larmes, Meghan, 39 ans, a fait savoir qu’elle avait eu – à l’instar de Diana, à laquelle elle se réfère constamment et s’identifie – des pulsions suicidaires à cinq mois de sa première grossesse. «Je ne voulais tout simplement plus être en vie. Et c’étaient des pensées constantes, terrifiantes, réelles et très claires», dit-elle. A-t-elle demandé de l’aide? «On m’a répondu que je ne pouvais pas, que ce ne serait pas bon pour l’institution.» Fragile, elle s’est sentie abandonnée alors qu’elle attendait Archie, son premier enfant.

A son sujet, elle précise qu’«il n’a pas eu droit au titre de prince», ajoutant, sans le nommer, qu’un membre de la famille royale s’est inquiété de savoir «à quel point sa couleur de peau serait foncée lorsqu’il naîtrait». Oprah Winfrey, symbole de la réussite afro-américaine, femme la plus écoutée des Etats-Unis, n’en a pas cru ses oreilles. Qui a osé? Meghan a pris soin de ne désigner personne. «Ce serait très dommageable…» L’animatrice a tenu à faire savoir que Harry lui avait précisé, en coulisses, qu’il ne s’agit ni de la reine ni de Philippe Mountbatten. Ce moment-clé de l’entretien, comparé, dès le lendemain, au largage d’une bombe nucléaire sur Buckingham, est le plus dommageable pour la couronne.

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Meghan et son fils Archie, sur la plage, filmés par Harry. Le petit garçon fêtera ses 2 ans le 6 mai prochain. Meghan a sous-entendu, pendant l’interview, que son fils avait été privé de titre royal à cause de sa couleur de peau. En réalité, selon une règle (le décret George V), il sera nommé prince lorsque Charles accédera au trône.

HARPO PRODUCTIONS

Oprah, amie de Meghan, invitée vedette à son mariage, l’avait déjà sollicitée. La jeune femme avait alors refusé sa demande d’interview. Pourquoi? «Parce que je n’en avais pas le droit.» «Réduite au silence», elle s’était sentie «piégée». On lui interdisait, précise-t-elle, jusqu’à sortir pour déjeuner, privée de ses clés, de son permis de conduire et de son passeport. Le couple vulnérable et démuni, a été laissé sans protection par l’institution. Meghan ajoute: «Je ne sais pas comment ils pourraient s’attendre à ce que, après tout ce temps, nous puissions garder le silence. La Firme joue un rôle actif dans le fait de colporter des mensonges sur nous.»

Dans un registre similaire, Harry a changé de cible, portant son attaque la plus violente contre son père. «Il m’a vraiment déçu. Je me suis senti lâché, a-t-il dit. Il a vécu quelque chose de similaire. Il sait ce qu’est la douleur.» Ajoutant qu’il y aura du travail pour améliorer leur relation –  le prince Charles n’a plus répondu à ses appels téléphoniques pendant le Megxit –, il a conclu par un «en même temps, je l’aimerai toujours».

A ce stade, on se demande dans quel état d’esprit Meghan, l’ex-actrice de la série TV «Suits», divorcée, roturière et métisse, est entrée dans la famille royale. «J’étais naïve, je ne savais pas à quoi cela ressemblait», avoue-t-elle, jouant les ingénues en ajoutant qu’elle n’avait même jamais songé à consulter Google pour savoir qui était le prince Harry. Elle a pourtant été accueillie par tous les membres de la famille et ne tarit pas d’éloges à propos de la reine. Harry ajoute: «Ma grand-mère et moi avons une très bonne relation. J’ai un profond respect pour elle. C’est mon colonel en chef. Elle le restera.» Quelques heures plus tôt, de l’autre côté de l’Atlantique, Elisabeth II a dégainé une phrase pleine de sous-entendus à l’occasion des célébrations annuelles du Commonwealth en prônant «un engagement et un dévouement désintéressés et le sens du devoir».

Le couple s’est-il, lui aussi, arrangé avec la réalité. «Ce que Meghan veut, Meghan l’obtient!» lâchait un Harry colérique pendant les préparatifs de ses noces. On colportait alors que Kate avait fondu en larmes à propos de la robe de sa fille Charlotte, demoiselle d’honneur. Sans attaquer sa belle-sœur, Meghan a rectifié: «Non, c’est elle qui m’a fait pleurer…» Aucun membre de la famille, au courant de l’incident, n’avait tenu à rétablir la vérité. La brouille a été colporté par la presse tabloïd «téléguidée» pour faire apparaître Meghan comme la méchante d’un feuilleton sans fin. Elle a compris à ses dépens qu’en ne jouant pas leur jeu, elle devenait leur cible.

Du tempérament et de l’aplomb, de l’intelligence, Meghan n’en manque pas. A 11 ans, elle avait critiqué le slogan d’une pub pour un produit de vaisselle qu’elle jugeait sexiste – «Les femmes de toute l’Amérique mènent le combat contre la vaisselle grasse» – et elle avait obtenu gain de cause. Elle aurait pu faire évoluer la monarchie. Mais la prise de parole y est interdite ou alors de façon codifiée. On ne donne jamais son opinion, surtout sur les sujets politiques.

Comme il l’a rappelé, Harry, 36 ans, a toujours pu compter sur Elisabeth II, sa grand-mère de 94 ans. Malgré ses frasques d'adolescence, il était son chouchou et celui de l’opinion publique. Granny avait passé l’éponge sur l’épisode du brassard nazi, photo publiée au moment des célébrations du 60e anniversaire de la libération du camp d’Auschwitz rappelant l’embarrassant passé d’Edouard VIII, proche du régime d’Hitler. La reine a joué un rôle protecteur auprès de William et de son cadet au moment du divorce de Charles et Diana. Mais elle n’a jamais, ou presque, fait évoluer l’institution qu’elle symbolise et dirige. 

En visionnant les deux heures d’entretien, on comprend que rien, hélas, n’a changé depuis les années Diana et la mort tragique de la princesse des coeurs. Dénigrée par la presse à scandale qui en avait fait son jouet et dont la Firme a toujours superbement ignoré les souffrances psychologiques.

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Le Daily Mail, comme tous les tabloïds, se déchaîne en s’ingéniant à ternir l’image de Meghan. Elle a récemment fait condamner le quotidien. Il avait dévoilé le contenu d’une lettre de rupture destinée à son père.

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Quand Harry a annoncé sa volonté de quitter ses obligations le 8 janvier 2020 via l’Instagram Sussex Royal, il a trahi la confiance du clan; il a abdiqué. Ce renoncement fait horreur à Elisabeth II. Après qu’Edouard VIII, son oncle, a quitté le trône pour les beaux yeux de l’Américaine, roturière et divorcée Wallis Simpson, le père d’Elisabeth a accédé au trône, devenant George VI. Lorsqu’il décède à 57 ans, en 1952, elle n’a que 26 ans et fait preuve, depuis, d’un sens infaillible du devoir. Elle a surmonté tant de crises et de scandales. Serait-ce celui de trop? Elle a connu 14 premiers ministres et a démis de ses fonctions royales son propre fils, Andrew, mouillé dans l’affaire Epstein.

>> Lire: «Sexe et monarchie, la déchéance du prince Andrew» 

Lorsque l’institution est attaquée, la reine contre-attaque. Lundi matin, elle a demandé à ses secrétaires de lui rapporter au petit-déjeuner ce qui s’était dit sur CBS pendant la nuit.

Dans la foulée, elle a temporisé, refusant de signer un communiqué préparé par son secrétariat le jour même. Elisabeth II a finalement cédé, le lendemain, face à l’ampleur du scandale en publiant, fait rare, un texte signé de son nom. «Toute la famille est attristée d'apprendre à quel point ces dernières années ont été difficiles pour Harry et Meghan. Les questions soulevées, en particulier celle de la race, sont préoccupantes.» Elle nuance et ajoute: «Bien que certains souvenirs puissent varier, ils sont pris très au sérieux et seront traités par la famille en privé.» Le texte conclut que Harry, Meghan et Archie «seront toujours des membres de la famille très aimés». La marge de manœuvre est très faible alors que le monde entier, scandalisé, s’interroge pour savoir qui, au sein de la famille, a pu tenir ces propos racistes.

Les déclarations fracassantes du couple, enregistrées en février, n’ont pas eu le temps d’intégrer les révélations du Times, parues le 3 mars. Meghan y est accusée de harcèlement envers le personnel du palais. Un missile britannique venu torpiller «à titre préventif» l’attitude victimaire du couple. Une plainte pour harcèlement a été déposée en octobre 2018. Elle émane de Jason Knauf, secrétaire à la communication de Harry et Meghan. Dans la foulée, Buckingham a demandé l’ouverture d’une enquête.

La duchesse de Sussex aurait chassé deux assistants personnels et sapé la confiance d’un troisième. L’un d’eux a révélé qu’il ne pouvait pas «s’arrêter de trembler» à la seule idée d’entrer en confrontation avec elle. Au total, huit personnes auraient été malmenées. Par le biais de ses avocats, Meghan s’est dite blessée, ayant elle-même été victime de harcèlement par le passé. Désormais, elle prône le respect à travers la fondation Archewell, dont le slogan est «compassion in action», et la sensibilisation autour de la santé mentale. Mais alors, qui manipule qui?

Sans elle, Harry n’aurait sans doute jamais rompu les amarres. «Il y a eu une période où je voulais sortir de la famille royale, puis j’ai décidé d’y rester et de m’y créer un rôle», avouait-il il y a trois ans. Faute d’avoir trouvé sa place, il s’est éloigné physiquement, emménageant à Frogmore House, à 30 kilomètres de Londres. Le couple prenait ses distances d’avec William et Kate, destinés à monter sur le trône. Un temps unis, les deux frères sont brouillés. Ils devraient se retrouver cet été pour inaugurer une statue de Diana, leur trait d’union. Que penserait-elle? «Elle serait en colère et triste», a dit Harry.

Harry assagi, soucieux de protéger sa femme et leur enfant à naître, a craint que Meghan ne devienne la proie des tabloïds et que le cauchemar qu’avait vécu sa mère, morte lorsqu’il avait 12 ans, ne se répète. Il a mis vingt ans avant d’oser parler de ce traumatisme. Dès le début de sa relation avec Meghan, il s’est montré menaçant. La presse de boulevard, la première, a tenu des propos racistes envers la nouvelle venue. De son côté, Meghan a osé assigner le Daily Mail en justice. Elle vient de gagner. Le quotidien avait révélé le contenu d’une lettre intime, destinée à couper les liens entre elle et son père. Mais, sur le long terme, personne n’a jamais gagné contre ces empires de papier, ou alors à quel prix?

Pour Harry, personnalité publique depuis l’enfance, rester au sein de la Firme, c’était rester prisonnier de son traumatisme et de celui, naissant, de Meghan. «J’ai beaucoup de compassion pour mon père et mon frère car ils ne peuvent pas quitter l’institution», a-t-il dit. Pour lui, il était vital de «sortir de l’aquarium», quitter cette atmosphère toxique, travailler pour gagner son indépendance financière, payer pour la sécurité des siens et se réapproprier sa liberté. Le couple, imaginant qu’il aurait pu conserver un statut hybride, a songé à vendre des produits dérivés portant le sceau Sussex Royal. La reine a tranché: «On ne peut pas avoir un pied dedans et un pied en dehors de la famille royale.» Il a fallu renoncer aux patronages, comme Harry a dû renoncer à ses titres militaires. Sa fierté, son métier.

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Avant la tempête, la reine portait dimanche la broche de ses fiançailles, en soutien à son mari hospitalisé.

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Redevenu «simple citoyen» sous le soleil californien, le duc de Sussex est apparu le 26 février dans le show de James Corden. L’animateur vedette – autre personnalité invitée à la noce – a fait de son hôte un faire-valoir un peu ridicule. Harry devant le perron de la villa de la série américaine «Le prince de Bel-Air», tel un enfant, a fait savoir qu’il avait un pressant besoin d’aller faire pipi. Il justifiait déjà son départ de la famille royale: «Cela détruisait ma santé mentale. C’était toxique. J’ai fait ce que n’importe quel père ou mari aurait fait. J’ai sorti ma famille de là!» Au sujet de la série «The Crown», il ajoute: «Ça donne une bonne idée de la vie royale, de la pression de ce devoir qui passe avant la famille et le reste.»

Harry ne réclame rien d’autre qu’un peu de tendresse et d’humanité. Mais il a besoin d’argent désormais, ne serait-ce que pour financer sa sécurité qui n’est plus assurée. «On nous a coupé les vivres.» Ses révélations et celles de Meghan n’ont toutefois pas été rétribuées. C’est ce qu’affirme Oprah Winfrey, ajoutant qu’elle ne verserait pas un cent à leur fondation, mais elle a glissé, pendant l’entretien, qu’elle allait faire une série d’entretiens avec Harry pour Apple.

Le couple n’est pourtant pas à plaindre financièrement, notamment grâce à l’héritage laissé à son fils cadet par Diana. Harry de Sussex est à la tête de 40 millions de dollars, Meghan, elle, en posséderait 10. En décembre, elle a investi dans une marque de café éthique. Ces sommes sont dérisoires en comparaison des poids lourds du showbiz qu’ils fréquentent désormais. Ils ont acheté, via un trust, une maison à 14 millions de dollars. Un deal immobilier arrangé par… Oprah Winfrey, dont l’empire médiatique pèse 2,5 milliards de dollars. C’est grâce à l’acteur et producteur Tyler Perry, dont la fortune est estimée à 800 millions de dollars, que Meghan et Harry ont pu être logés dès leur départ du Canada. Le richissime entrepreneur a mis à leur disposition ses hommes et son service de surveillance.

Oprah, c’est elle, la grande gagnante de l’opération «linge sale à Buckingham» suivie, en direct, par 17 millions de téléspectateurs. Sa société, Harpo, a touché entre 7 et 9 millions de la part de CBS pour l’interview historique du couple. La chaîne américaine compte se rembourser sur les recettes publicitaires. Sans parler de la revente. En Angleterre, ITV a déboursé 1 million de dollars pour la diffusion de l’événement avec 24 heures de décalage. En France, c’est TMC. Harry et Meghan, désormais «à vendre», attirent la lumière. Ils ont négocié pour 128 millions de francs un contrat avec Netflix et un autre pour 38 millions avec Spotify mais n’ont encore rien produit à ce jour. Au pays de l’Oncle Sam, on mélange volontiers les mouchoirs, les larmes et les dollars. The show must go on!

Par Didier Dana publié le 10 mars 2021 - 08:28