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Positivité toxique: quand voir le bon côté nous fait du mal

Voir le bon côté des choses en toute circonstance apparaît comme une bonne philosophie de vie, mais la tendance au «tout positif» rendue populaire par les réseaux sociaux et certains ouvrages peut gravement impacter notre santé mentale.

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positivité toxique

Alors que, selon ses adeptes, la pensée positive  nous permettrait d’être heureux en toute circonstance, plusieurs études ont au contraire démontré que les personnes dont on invalide les émotions ont plus de chances de développer des symptômes dépressifs.

Lucile Ourvouai
carré blanc
Margaux Sitavanc

«Tout est au mieux dans le meilleur des mondes possibles» répète inlassablement Pangloss à Candide dans le célèbre conte philosophique de Voltaire paru en 1759. Plus proche de nous, la belge Angèle chantait en 2018: «C’est simple, sois juste heureux, si tu le voulais, tu le serais.» Dans la vie de tous les jours, lorsque nous exprimons nos difficultés ou nos malheurs, il n’est pas rare de se voir opposer par notre entourage des réponses toutes faites, telles que: «Arrête d’être si négatif» ou encore: «Pense un peu aux gens qui ont moins de chance.» Il est également tentant, lorsque nous ressentons des sentiments désagréables, de nous répéter à nous-mêmes ce type de mantras qui foisonnent sur les réseaux sociaux ainsi que dans les ouvrages de développement personnel inondant le marché depuis une dizaine d’années. Le problème, c’est que lorsque cette «pensée positive» est appliquée à l’extrême, de manière généralisée et simplifiée, elle impacte gravement notre santé mentale. C’est ce que l’on appelle la positivité toxique, ou l’optimisme toxique.

Jasmine Gage, psychologue formée aux Etats-Unis et coach de vie depuis plus de quinze ans à Genève, connaît bien ce phénomène et ses conséquences. «On va commencer à étiqueter des émotions, des ressentis comme négatifs. Typiquement la tristesse, la peur ou la colère, qui sont certes désagréables mais font partie intégrante de la vie, qu’on le veuille ou non. Par ces petites phrases du type: «Arrête de t’apitoyer sur ton sort, vois le bon côté des choses», on casse la personne en niant ses difficultés. On instaure également chez elle ce que l’on appelle une dissonance cognitive, une tension interne due aux pensées contradictoires (je souffre/je dois être positif), avec pour conséquences stress, culpabilité, baisse de l’estime de soi ainsi qu’une incapacité à comprendre ses émotions ou celles des autres.» Dans «Déjouer les pièges du développement personnel» (Flammarion, 2021), Xavier Cornette de Saint Cyr note également que «revendiquer une quasi-obligation de bonne humeur est irréaliste et n’a aucun sens, car certaines situations sont réellement problématiques, et ne dépendent pas du point de vue que l’on peut avoir sur elles».

Comment expliquer alors que nous soyons si souvent confrontés à ce type de discours, au point de parfois les reprendre à notre compte? Jasmine Gage évoque d’abord une simplification extrême ou une mauvaise compréhension de certains concepts issus de la psychologie: «On voit énormément de contenus qui confondent les notions ou les dénaturent complètement. On se retrouve alors avec des phrases bateau qui n’aident personne.» Certains d’entre nous ressentent également de la gêne face à la souffrance d’autrui: «Tout le monde n’est pas capable d’accueillir ces souffrances, et c’est tout à fait compréhensible. Dans ce cas, mieux vaut alors faire preuve d’honnêteté et expliquer à votre interlocuteur que vous êtes vraiment navré de ce qui lui arrive, mais que vous n’êtes pas en mesure de lui apporter votre soutien, plutôt que d’avoir recours à des phrases toutes faites dans le but de nier une réalité trop douloureuse.» La spécialiste met cependant en garde: «Si le plus souvent la personne qui vous enjoint à «positiver» le fait avec les meilleures intentions, il est des cas où on se trouve en revanche dans le registre de la malveillance et de la manipulation et où on constate une absence totale d’empathie et de reconnaissance des émotions de l’autre.»

Comment ne pas tomber dans le piège de l’optimisme toxique? Pour remplacer un «pense un peu à tous ceux qui ont moins de chance que toi», Jasmine Gage prône un discours empathique prenant en compte le ressenti subjectif de votre interlocuteur, même si ce dernier vous semble exagéré: «Je vois, tu es angoissé/en colère/triste. De quoi aurais-tu besoin pour aller mieux? Est-ce que tu penses que je peux t’aider?» Et de conclure: «Il faut garder en tête qu’un ressenti est toujours juste. Quoi que vous pensiez de la détresse de la personne en face de vous, il s’agit de sa réalité.»

A l’inverse, comment réagir lorsque l’on est confronté à ce type d’injonction de la part d’un tiers? Imaginez: vous parlez avec une connaissance des difficultés personnelles que vous traversez actuellement. Cette personne, pour une raison qui lui est propre, vous accuse alors d’être négatif, de vous poser en victime, et vous enjoint à considérer les choses sous un angle positif. Xavier Cornette de Saint Cyr conseille de faire cesser ce discours dénué d’empathie en enjoignant votre interlocuteur à faire preuve de respect: «Pourrais-tu respecter ce que je vis en évitant de me servir ce type de phrases à l’emporte-pièce?» Si la personne en face de vous réplique qu’elle souhaitait simplement vous aider, l’auteur propose de répondre: «C’est gentil à toi, mais ça ne m’aide pas.» Et de conclure: «Si [elle] persiste, c’est qu’alors [elle] ne souhaite plus vous aider, ne sait pas ce qu’est l’empathie et a plus certainement le désir de prendre une position de dominant. Soyez plus ferme dans votre refus et changez de sujet de conversation ou bien quittez l’échange.»

Mais alors, comment se libérer de cette positivité toxique et adopter une vision plus réaliste et équilibrée de la vie dans son ensemble, faite de joie et de peines? L’antidote réside peut-être dans ce que le psychologue et survivant de l’Holocauste Viktor Emil Frankl appelle «l’optimisme tragique»: savoir qu’il y a de l’espoir et un sens à trouver dans la vie, tout en admettant l’existence du deuil, de la douleur, de la peur ou de la souffrance et en laissant de la place à nos émotions, quelles qu’elles soient. 


Les dérives de la pensée magique

Autre croyance populaire chez les prêcheurs du «tout positif», le fait que nous serions capables de changer la réalité par la seule force de nos pensées. Ainsi, si quelque chose de désagréable nous arrive, c’est forcément que nous l’avons «attiré» à nous. Auteure du best-seller «Le secret» (écoulé à plus de 30 millions d’exemplaires à travers le monde), Rhonda Byrne a par exemple osé affirmer dans une interview que les victimes du Tsunami de 2004 «devaient sans doute cultiver des pensées négatives quand la catastrophe est arrivée». Des propos qui se passent de commentaire.

Par Margaux Sitavanc publié le 14 octobre 2022 - 08:51